jeudi 8 septembre 2011

Le Gouvernement portègne va quitter la Plaza de Mayo [Actu]


Mauricio Macri, le Chef du Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, fraîchement réélu pour un deuxième mandat, vient d'annoncer que le siège de ce Gouvernement local allait déménager, d'ici quelques années, dans le quartier de Barracas, un quartier tout au sud de la capitale argentine, avec cinq des ministères qui le composent.

Les raisons indiquées par l'élu sont la nécessité de "revitaliser le sud de la ville" de Buenos Aires, de "continuer à remédier" (1) aux injustices et d'en finir avec la location de nombreux immeubles en centre-ville pour y loger divers services de ministères géographiquement éclatés sur plusieurs sites (tous situés en centre-ville, dans ce que l'on appelle localement le micro centro, grosso modo entre l'Obélisque et la Plaza de Mayo, ce coin de Buenos Aires aux infrastructures ultra-développées et si facile à parcourir à pied en tout sens parce que tout y est près de tout).

Tout cela sonne un rien étrange dans la bouche de Mauricio Macri. En effet, la politique menée jusqu'à ce jour a très nettement laissé le sud de la ville à l'abandon, pour ne pas parler de son délabrement (et ce que j'en ai vu cette année ferait pleurer les pierres, avec ces gens qui ont trouvé refuge sous l'énorme pont qui supporte l'autoroute 25 de Mayo, qui traverse tout le sud de la ville d'est en ouest). D'où vient donc cet apparent changement de cap de politique urbano-sociale, alors que Mauricio Macri a été élu triomphalement et dans toutes les communes, du nord comme du sud, à l'est comme à l'ouest, et qu'il est donc dispensé de donner des gages à ses électeurs, si tant est qu'il en ait jamais donné ?

N'en doutons pas, son opposition, à la Legislatura comme dans les colonnes du quotidien Página/12, ne manquera pas de scruter les appels d'offre, les adjudications et les modalités de réalisation des travaux du nouveau bâtiment, censés commencer dans les prochaines semaines, à la recherche d'un lien personnel ou politique entre Mauricio Macri, le groupe industriel dont il est, avec son père et son frère, l'un des dirigeants-propriétaires et les entreprises qui auront été contractées sur ce chantier. En général, les opérations publiques de cette envergure et même moins importantes bénéficient économiquement à des amis du Chef du Gouvernement. Cet état de fait a été amplement établi et par bien des méthodes...

C'est aussi un symbole politique fort et vieux de plus d'un siècle que vient briser ce déménagement, qui correspond, il faut certes le reconnaître aussi, à un regroupement qui est loin d'être inutile et de manquer à la cohérence gestionnaire. Ce n'est pas par hasard en effet que Torcuato de Alvear, le très lointain prédécesseur de Macri, a voulu implanter sa mairie (intendencia) dans le bâtiment hautain, somptueux et tarabiscoté que ce maire bâtisseur avait fait édifier à l'angle de Avenida de Mayo et Plaza de Mayo, à la même hauteur que le vieux Cabildo colonial (dont il reprenait une partie des anciennes attributions) et face à la Casa Rosada (Casa del Gobierno), gouvernement avec lequel Alvear devait partager une partie de la gestion de la ville (2), alors que la capitale argentine venait tout juste de gagner son autonomie sur la Province de Buenos Aires.

D'autre part, il n'est pas sûr que le déménagement du Gouvernement Portègne soit une si bonne nouvelle que  Mauricio Macri veut bien le dire pour le quartier de Barracas (où vote mais sans y habiter la future vice-chef du Gouvernement, l'actuelle Ministre du Développement social, pas plus que son chef, qui lui aussi vit en dehors de la ville) : en effet, il ne serait guère surprenant que ce déménagement ait pour effet à Barracas de faire grimper tous les prix, y compris celui de l'immobilier, locatif inclus, ainsi que celui de tous les produits de la vie quotidienne dans tous les commerces du coin, ce qui manquera pas de rendre insupportable la vie des habitants de ce quartier très modeste et les obligera donc, sans beaucoup de doute possible, à déménager encore plus au sud, dans la banlieue ouvrière de Avellaneda, Lanús ou Quilmes, voire plus loin encore, c'est-à-dire, de toute manière, en dehors de la juridiction de Macri, dans la Province de Buenos Aires, actuellement à gauche (le gouverneur, Daniel Scioli, appartient au Frente para la Victoria, comme la Présidente). Sans oublier que les fonctionnaires municipaux ne bénéficieront plus des nombreuses stations de métro et de tous les bus qui circulent dans le centre-ville, leur permettant aujourd'hui d'accéder, dans des conditions à peu près décentes, à leur travail, quelque soit, ou à peu près, le lieu où ils résident. L'absence de toute station de métro à Barracas et le peu de probabilité que le réseau soit étendu rapidement vers le sud (on l'étend plutôt en ce moment vers le nord et vers l'ouest, mais à une vitesse d'escargot) vont très certainement entraîner de nouveaux avatars de transport pour les fonctionnaires les plus modestes, qui n'ont pas les moyens de venir travailler en voiture (et quand on voit le prix de l'essence !), dont certains sont peut-être (allez savoir !) des syndicalistes acharnés, quelque peu empêcheurs de tourner en rond dans la sens des indicateurs de la Bourse.


Il ne serait donc pas étonnant que les véritables motivations d'un déménagement aussi insolite soient à rechercher du côté de tous ces effets sociaux colatéraux, qui contribueront encore un peu plus à détricoter la mixité sociale qui demeure vaille que vaille à Buenos Aires et à en faire encore davantage une ville uniquement accessible à des gens aisés, appartenant, pour les moins riches, à la bonne classe moyenne, et à rejeter en périphérie, une fois de plus, les classes sociales les plus défavorisées.

Pour en savoir plus :
lire la dépêche de Telam (l'agence de presse argentine)



Ajout du 8 septembre 2011 dans la matinée (heure de Buenos Aires), dans l'après-midi (heure de Paris) :


Cela n'aura pas traîné. Dès ce matin, Página/12 dénonçait le projet de déménagement du siège du Gouvernement portègne sur un terrain qui appartient en fait à l'hôpital psychiatrique Borda (3), l'un des meilleurs établissements spécialisés sur le continent sud-américain, un hôpital qui a passé une bonne partie de cet hiver sans chauffage du fait de l'administration de l'actuel gouvernement de la ville... L'avenir de l'hôpital n'est pas remis en question, en tout cas, Macri a promis d'en respecter l'existence, mais imagine-t-on sérieusement et à long terme la proximité d'un tel établissement de jour (car le Borda, c'est surtout de la médecine ambulatoire) avec le microcosme du monde politique, officiel et institutionnel ?

En revanche, l'unité de rétention judiciaire psychiatrique est, elle, bel et bien vouée à disparaître. C'est pourtant l'un des seuls endroits à Buenos Aires où les détenus atteints de troubles mentaux peuvent être soignés, dans cette partie du parc à l'écart du reste des installations de médecine de ville... Je me disais aussi !

Pagina/12 illustre en outre son article avec un plan (voir ci-dessus) qui laisse apparaîttre clairement que le projet d'installation du gouvernement portègne à cet endroit cache un probable  projet immobilier d'une envergure pharaonique, dans lequel, sur les terrains dont le prix aura doublé grâce à l'installation du gouvernement, les deux hôpitaux toujours en activité et en très mauvais état, le Borda et le Moyano, ainsi que l'ancien hôpital Rawson, qui abrite aujourd'hui les services de la Médecine du Travail, sont voués à disparaître. L'opposition a déjà fait entendre sa voix et met clairement en doute la légalité de toute l'opération annoncée hier soir (heure de Buenos Aires).


Pour en savoir plus :

(1) Il est permis de s'interroger sur la nature exacte de la lutte contre les injustices à laquelle Mauricio Macri faisait ainsi allusion devant la presse. Voir mes autres articles sur la politique déjà menée pendant les 4 années du mandat actuel, depuis décembre 2007, en cliquant sur le mot-clé GCBA dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, que vous trouvez en tête de chaque article de ce blog
(2) Avant l'adoption en 1994 du statut actuel de Buenos Aires, qui dispose désormais, à l'égal d'une Province, d'un Gouvernement et d'une chambre législative appelée Legislatura, les rues de la ville étaient de la responsabilité du maire mais les avenues de celle du Gouvernement, puisque Buenos Aires était à la fois une municipalité ordinaire et la Capitale Fédérale. Son nouveau statut, au début des années 1880, provenait justement de la fédéralisation de la ville qui, en tant que capitale nationale, ne pouvait plus dépendre, a-t-on estimé alors, d'aucune Province qui soit mais bel et bien du Gouvernement national, lequel s'entendait en ce temps jadis comme larrons en foire avec le maire de la Ville. Les choses ont bien changé depuis !
(3) Ce qu'on appelle "Hospital Tiburcio Borda", ou "el Borda", à Buenos Aires, n'est autre que le vieux "Vieytes" dont s'est évadé le fou amoureux et délirant de Balada para un loco, de Astor Piazzolla et Horacio Ferrer, dont vous pouvez trouver la traduction en français dans mon ouvrage publié en mai 2010 aux Editions du Jasmin, Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, à la page 316. En 1969, lors de la création de ce tango devenu un classique, Vieytes était encore un hôpital de très mauvaise réputation, on en parlait toujours comme d'un asile de fous, comme lors de sa construction au 19ème siècle, quand l'on y internait sous contrainte les malades de la syphillis. C'est là que sont morts, atteints par ce mal alors incurable, les poètes Pascual Contursi (1888-1932) et Dante A. Linyera (1903-1938), dont vous lirez aussi quelques œuvres dans Barrio de Tango.