C'est à un grand artiste du folclore et de la musique criolla argentineet déjà un mythe que Página/12 consacre aujourd'hui la une de son supplément culturel quotidien. L'auteur-compositeur-interprète Atahualpa Yupanqui, qui était né en 1908, est en effet décédé à l'aube du 23 mai 1992, à Nîmes, après un malaise survenu au lendemain d'un récital très applaudi. Il s'était établi dans le midi de la France, pays où il avait passé toutes ses années de réfugié politique. Il avait demandé que ses cendres restent en France mais son corps fut néanmoins rapatrié et l'Argentine de Menem organisa une veillée funéraire au Congrès, à Buenos Aires, dans un grand concours de personnalités artistiques et politiques.
Il fut un guitariste de grand talent et un poète exceptionnel, avec cette dimension gaucha qu'il parvenait à faire vivre, sur scène ou à la télévision (1), où il se produisait en costume cravate, à mille lieues des habituels déguisements du folklore à trois sous. Son oeuvre est entré aujourd'hui dans le répertoire classique de tous les chanteurs, en Argentine et bien au-delà de ces frontières.
Sur le plan politique, il a laissé une grande blessure dans le camp prolétarien, puisqu'il avait adhéré publiquement au Parti Communiste en 1945, en pleine ferveur pour la victoire de l'Armée Rouge sur le monstre nazi, et avait répudié sa carte en 1952, en pleine guerre froide, alors que le monde entier était suspendu au sort des Rosenberg, condamnés à mort aux Etats-Unis pour espionnage en faveur de l'URSS. Et sa dénonciation avait été tout aussi forte que son adhésion, puisqu'il l'avait rendu publique dans une lettre ouverte à La Prensa, le journal de la droite atlantiste pure et dure. Les marxistes lui en gardent une profonde rancoeur et beaucoup de gens de gauche le tiennent pour un personnage ambigu.
Au fur et à mesure que ces tensions s'apaisent et que la revendication identitaire argentine s'affirme avec le développement de la démocratie, on découvre le caractère fondateur de son oeuvre dans l'élaboration de ce pays nouveau, qui, vendredi, célèbrera les 202 ans de sa souveraineté...
Pour aller plus loin :
(1) Les gens de mon âge se souviennent de Yupanqui comme d'un intervenant habituel du Grand Echiquier de Jacques Chancel à la télévision française, alors uniquement publique. Il ne se passait guère de mois sans qu'on l'y voie chanter au moins une fois, quelque fût l'invité principal de cette émission culte.