Qui
aurait cru pouvoir trouver un jour dans les colonnes de Página/12,
ce quotidien qui boulotte du curé tous les matins, des phrases
comme celles-ci :
Jorge Bergoglio eligió en su
reemplazo a Mario Aurelio Poli, hasta ahora obispo de Santa Rosa. Es
un hombre cercano a su perspectiva y de su directa confianza,
moderado y de bajo perfil. La designación deja fuera de juego
al sector ultraconservador de la Iglesia.
Página/12, 28.03.2013
Jorge Bergoglio a choisi pour le
remplacer Mario Aurelio Poli, jusqu'à présent évêque
de Santa Rosa. C'est un homme proche de sa manière de voir et qui a sa
confiance directe, [un homme] modéré au comportement discret. Cette désignation laisse hors jeu le secteur
ultra-conservateur de l'Eglise. (1)
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Or c'est bien ce que vient
d'écrire un des rédacteurs idéologiquement très marqués, Washington Uranga, dans les pages intérieures
de ce quotidien, sous le titre général Una sede que ya
no está vacante - Un siège qui n'est déjà
plus vacant, au sujet de la nomination du nouvel archevêque de
Buenos Aires.
Monseigneur Mario Poli est né en
novembre 1947 à Buenos Aires. Il a fait des études de
théologie et s'est formé au service social. Ordonné
prêtre en 1978 à Buenos Aires après dix années
d'études pluridisciplinaires (donc presque aussi longues que celle d'un jésuite), il a d'abord été
envoyé comme vicaire (simple prêtre) à la
paroisse San Cayetano de Liniers, dont l'église, qui a rang de
basilique, accueille un important flux de pèlerins composé
essentiellement de personnes en difficulté sociale, économique
et professionnelle (San Cayetano, que nous appelons saint Gaëtan,
un évêque italien, est le patron des travailleurs
et le saint auxquels les fidèles recourent lorsqu'ils
cherchent du travail ou voient leur emploi menacé ou dégradé).
En 2002, Monseigneur Poli a été ordonné évêque,
toujours à Buenos Aires, par Monseigneur Bergoglio pour être
l'un de ses auxiliaires, un ministère qu'il a rempli jusqu'en
2008, date à laquelle il a été nommé par
Benoît XVI évêque de Santa Rosa, capitale de la
Province de La Pampa, au sud-ouest de la Province de
Buenos Aires...
Santa Rosa est un peu à l'Argentine ce que
Pont-L'Evêque est à la France : c'est une région
où l'on produit des fromages particulièrement appréciés
dans le pays (et assez chers même si l'Argentine n'a pas encore
développé la même notion de terroir que celle qui
existe en Europe)...
A mon
humble connaissance, ce choix constitue la toute première décision pastorale du
nouveau Pape en dehors du diocèse de Rome et il donne le ton pour ce qui va venir. Les sceptiques, dont quelques journalistes de Página/12, disaient que les gestes d'humilité, c'était bien joli mais qu'on l'attendait désormais au tournant des décisions. Nous y sommes et celle-ci déjoue une
nouvelle fois les pronostics puisque Mario Poli n'apparaissait pas
dans la liste des candidats pressentis par la presse argentine et les cercles qui s'auto-définissent comme "bien informés".
La
nomination, et c'est Página/12 qui le dit, a été
bien accueillie par le Gouvernement actuel qui n'en fera donc pas un
fromage (elle est lourde, je sais, mais avouez qu'elle était
tentante, le jour où l'on célèbre le Dernière
Cène, comprenez le dernier dîner du Seigneur).
Après le rude choc politique
qu'a été l'élection du 13 mars 2013 et dont je
vous ai abondamment parlé dans ce blog (cliquez sur le nom du
Pape dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, pour accéder
à l'ensemble des notes sur le sujet), il était
important qu'il en soit ainsi et que soient minimisés pour
l'avenir les risques de voir se répéter les mêmes
erreurs stratégiques dans l'affrontement de points de vue qui
ne manquera pas d'intervenir encore, un jour ou l'autre, entre le
nouveau prélat et tout Gouvernement en place car ces frictions
et ces conflits sont inhérents à la différence
des enjeux, spirituels pour l'Eglise et politiques pour la conduite
des Etats. Depuis la reconnaissance du catholicisme par l'empereur
Constantin, ils n'ont cessé de se multiplier, avec des
contentieux qui se sont plus ou moins bien résolus sous
Philippe Le Bel, sous Henri VIII, sous Napoléon 1er
ou avec le chancelier Bismarck pour ne citer qu'un petit nombre de
querelles retentissantes...
Non content de reconnaître
implicitement que Bergoglio n'appartenait donc pas à
l'extrême-droite et qu'il en est même très
éloigné, contrairement à tout ce qu'il a
toujours affirmé jusqu'au 13 mars dernier, l'article de
Página/12 va jusque se conclure par une citation, assez
longue, exacte et complète, du Pape François telle que
l'avait reprise Mario Poli le 15 mars, le lendemain de cette homélie
papale, lors de la dernière ordination sacerdotale qu'il aura
célébrée à Santa Rosa :
“Cuando caminamos sin la cruz, cuando
edificamos sin la cruz y cuando confesamos un Cristo sin cruz, no
somos discípulos del Señor: somos mundanos, somos
obispos, sacerdotes, cardenales, papa, pero no discípulos del
Señor. Quisiera que todos, después de estos días
de gracia, tengamos el valor, precisamente el valor, de caminar en
presencia del Señor, con la cruz del Señor; de edificar
la Iglesia sobre la sangre del Señor, derramada en la cruz, y
de confesar la única gloria: Cristo crucificado. Y así
la Iglesia avanzará”
Quand nous marchons sans la croix,
quand nous construisons sans la croix et quand nous confessons un
Christ sans la croix, nous ne sommes pas disciples du Seigneur : nous
sommes du monde, nous sommes évêques, prêtres,
cardinaux, pape mais pas disciples du Seigneur. J'aimerais que tous,
à compter de ces jours de grâce, nous ayons le courage,
le courage oui vraiment, de marcher en présence du Seigneur,
avec la croix du Seigneur, de construire l'Eglise sur le sang du
Seigneur, répandu sur la croix, et de confesser la seule
gloire [qui existe] : le Christ crucifié. Et de cette manière,
l'Eglise avancera.
(Traduction Denise Anne Clavilier) (2)
Il y a trois jours, je n'aurais même
pas osé imaginer retrouver des paroles aussi radicalement
éloignées de la vision matérialiste du monde qui
prévaut à Página/12 dans les colonnes de ce
quotidien pour lequel j'ai un attachement profond parce qu'il y a
chez les journalistes qui le font, jour après jour, une
véritable recherche de la démocratie et ils sont, me
semble-t-il, en train d'en faire une nouvelle fois la preuve en
lâchant petit à petit leur dogmatisme erroné...
Ils m'épatent !
Pour aller plus loin :
lien avec l'article de Página/12
lien avec l'article de La Nación
lien avec le portrait de Mario Poli
dans Info Región, le journal de la région
métropolitaine bonaerense.
Je n'ai pas trouvé l'information ce matin (mais il est encore très tôt) sur le site Internet de l'Archidiocèse de Buenos Aires.
(1) Selon Página/12 (à
prendre avec des pincettes par conséquent), le secteur
ultra-conservateur de l'Eglise serait dirigé par Monseigneur
Héctor Aguer, évêque de La Plata, qui a adopté
des positions très fermes à plusieurs reprises sur des
questions de mœurs, ce qui est encore et toujours le critère
de référence du soi-disant progrès pour le
quotidien portègne (et en général pour tous les
courants athées qui ne comprennent pas que le cœur du message
de l'Eglise ne se situe pas du tout dans cette zone conceptuelle).
Mais bon, on ne peut pas tout avoir d'un seul coup.
(2) J'ai pris ici l'initiative de
procéder moi-même à cette traduction parce que
j'ai encore l'homélie en italien qui résonne à
mes oreilles. Pour qui l'a écoutée une fois, il n'est pas très difficile de s'en
souvenir toujours : simple, concise, courte, admirablement structurée et de vol stratosphérique, tout ça en même temps. Les internautes soucieux de connaître le
texte intégral dans sa traduction française officielle
se reporteront au site Internet www.vatican.va,
sur les pages en français consacrées aux homélies
du Saint Père à la date du 14 mars 2013 (homélie
de la messe avec le collège des cardinaux célébrée
dans la chapelle Sixtine au lendemain de l'élection).