De
toute évidence et temporairement au moins (mais qui sait si
cela ne sera pas durable), Página/12 semble atténuer
son hostilité envers l'ex-cardinal Bergoglio (1).
Il y
a d'abord cette une étonnante avec jeu de mots (c'est bon de
retrouver le ton habituel et drôle de ce quotidien !) (2), avec la
photo, très valorisante, du Pape à la réception de
l'hôtel où il est allé tôt hier matin, et à
pied dit-on, régler la note de son séjour, accompagnée
d'un commentaire qui reconnaît la divergence profonde entre le
regard que la gauche argentine (que Página/12 n'hésite
pas à assimiler au pays tout entier) porte sur l'ancien
archevêque de Buenos Aires et le regard du monde catholique
dans son ensemble sur le Pape :
Visto
como conservador en Argentina, pero como un reformista en el seno de
la Iglesia, y en un Vaticano medieval desbordado por escándalos
de corrupción, Jorge Bergoglio comenzó su primer día
como el Papa Francisco con gestos de austeridad, como pagar él
mismo la cuenta del hotel...
Página/12
Vu
comme un conservateur en Argentine mais comme un réformiste au sein de l'Eglise, et dans un Vatican médiéval
(3) débordé par les scandales de corruption, Jorge
Bergoglio a commencé son premier jour en tant que Pape
François avec des gestes d'austérité, comme
[celui] de payer lui-même sa note d'hôtel....
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Vous
aurez remarqué la réticence à reconnaître
le nouveau ministère à travers l'utilisation des noms
successifs de baptisé puis de Pape. Il est vrai que cette
manière de s'exprimer est aussi une tradition très
vivante en Italie où l'on parle couramment du "Papa Ratzinger" sans qu'il faille y voir la moindre hostilité (c'est plutôt
une forme de familiarité qui différencie les Italiens
du reste du monde, eux sont à tu et à toi avec il suo
Papa tandis que nous, nous pouvons ronger notre frein !). Cependant, dans la
Botte, l'indifférenciation des noms n'a pas cours dans les
premiers jours d'un pontificat. C'est un moment où l'on a bien
trop à cœur de signifier que le peuple a adopté son
Pape, qui est aussi et avant tout l'Evêque de Rome et le Primat
du pays et encore plus cette fois-ci où le Pape s'est présenté
uniquement dans ce ministère originel et en parlant explicitement du
peuple pour la première fois depuis le concile Vatican II, qui
avait consacré ce terme pour désigner les laïcs
(4).
Au-delà
de cette une qui, sans être aimable, n'est pas malveillante, on
trouve un titre intérieur beaucoup plus agressif où il
est question de "Gestes
du Pape pour vaticanistes sceptiques"
- dont on se demande bien qui ils pourraient être (à
part Página/12 et ses homologues partout dans le monde, leurs
rédacteurs et leurs lecteurs). Que ce soit les employés du
Vatican, certes un peu bousculés dans leurs habitudes mais
selon toute apparence fort sensibles à la bonhomie du nouveau
souverain, ou les vaticanologues distingués, tout le monde a
été conquis et convaincu par les manières du
Pape et tous les catholiques du monde entier voient bien, à
travers les témoignages des évêques-cardinaux transmis par la presse, la radio, la télévision,
que ce conclave a été une expérience spirituelle
très intense pour tous les participants, qu'ils aient été réunis
physiquement dans la chapelle Sixtine ou qu'ils se soient unis par la
prière au collège cardinalice, puisque le fidèle
de base se sent lui aussi touché par une grâce de
conversion même s'il est loin de Rome et de la Péninsule. Le
reste de l'article rappelle les croyances obstinées
entretenues par la gauche (et en particulier par Página/12)
sur la soi-disante méconduite du futur pape sous la
dictature (5) puis il se contente de rapporter ce qui se passe en ce
moment même à Rome, et qui laisse le journaliste de
Página/12 aussi pantois que le reste de ses confrères,
quelles que soient leurs dispositions intellectuelles, culturelles et idéologiques
vis-à-vis de l'Eglise et de ses institutions.
A
tel point que la rédaction a décidé (il était
temps) de consacrer un article de fond à l'histoire de la
Compagnie de Jésus rappelant sa longue tradition d'engagement
social (qui a laissé en Argentine
un souvenir somptueux grâce aux cent cinquante ans de présence
dans les Missions -voir mon article du 3 décembre 2012 sur le
mate et la province de Misiones-, dont il reste une petite partie au nord du pays,
le reste couvrant le nord de l'Uruguay, une micro-partie du sud du
Brésil, le Paraguay et une bonne partie de la Bolivie).
L'article mentionne en particulier le nombre impressionnant de
jésuites dont la vie a été sacrifiée dans ce type
d'engagement, notamment dans le Nouveau Monde, depuis la création
de la compagnie à Paris, au milieu du XVIe
siècle.
Página/12
n'en donne pas moins une nouvelle fois la parole à une femme,
fille d'une des fondatrices de Madres de Plaza de Mayo, une ONG très
hostile à Bergoglio et donc au nouveau Pape (et très proche du gouvernement en place). Cette dame
prétend que sa famille a été trahie par Jorge
Bergoglio en 1977, c'est-à-dire lorsqu'il occupait une charge
dans la Province (6) argentine de la Compagnie de Jésus. Ses
accusations sont graves mais elle avoue aussi n'avoir pas gardé
mémoire des détails de l'entretien qu'elle aurait eu
avec le Père Bergoglio. Ce qui fragilise beaucoup ses propos
dénués de preuve et chargés de haine comme l'ensemble de ces attaques ad hominen dirigées contre l'ancien
Primat d'Argentine. Tout se passe comme si très a posteriori (car ces
scandales sont apparus il y a seulement quelques années) on
attende d'un homme, qui allait devenir archevêque et cardinal mais qui ne
l'était pas encore, qu'il ait possédé je ne sais
quels pouvoirs magiques le rendant capable de dénicher des informations, on se
demande par quel canal, sur des disparus dont par définition
leurs bourreaux faisaient disparaître les traces, ou d'arracher ces malheureux aux mains de leurs geôliers, comme si un prêtre, du
seul fait qu'il a reçu l'ordination, pouvait se présenter
devant un quarteron de putschistes, agiter l'index de manière
comminatoire et obtenir ipso facto qu'on libère des
prisonniers politiques tenus au secret dans des salles de torture
clandestines. En étant en plus un quarantenaire totalement
inconnu des médias et même du commun des fidèles dans son propre pays !
Il
est bien triste de voir cette rédaction s'entêter ainsi
dans des fantasmes dont, maintenant qu'ils se trouvent sous les
projecteurs mondiaux, on perçoit bien la fragilité
intellectuelle. Toutefois, ce qui me paraît important pour le moment,
si c'est bien l'indice d'une évolution que le temps
confirmerait, c'est l'ordre dans lequel Página/12 traite ces
différents articles. La rédaction a mis la priorité sur le comportement visible du Pape et relayé les calomnies en pages intérieures, à l'inverse de ce que je craignais sincèrement mercredi soir (voir mon article du 13 mars 2013).
Dernier
article qui mérite qu'on s'y arrête : la description de
la délégation officielle argentine qui s'envolera dimanche pour Rome,
pour assister à l'installation du Pape mardi
matin. Malgré toute l'acrimonie qui l'oppose depuis longtemps
à l'ancien Primat argentin, la Présidente a mis les
petits plats dans les grands et elle a bien raison (il faut être
opportuniste en politique et savoir saisir les occasions de valoriser son pays). Elle emmène
avec elle une représentation pluraliste du pays, avec
des parlementaires de tous les partis -et c'est très exceptionnel en Argentine- et quelques gouverneurs provinciaux (alliés). Mauricio Macri a été
écarté (rien d'étonnant). Il se rendra à Rome de sa propre
autorité... sur le budget de la Ville probablement (fidèle à
la démagogie classique de la droite, il ne manquerait pour
rien au monde de s'attribuer un petit bout de gloire papale, lui
qui, dans sa vie privée comme publique, se fiche comme d'une
guigne des principes chrétiens et conduit une politique en
tout point opposée aux vues de l'ancien archevêque, qui
ne cesse de dénoncer le règne de l'argent roi). Le seul
vrai problème politique de Cristina de Kirchner aura été
de ne pas faire atterrir l'avion officiel, Tango 01, en Italie pour éviter que les investisseurs privés n'aient la mauvaise idée
de profiter de l'instabilité gouvernementale qui affecte le
pays depuis quinze jours pour s'emparer de l'aéronef
national comme ils avaient fait au Ghana avec la frégate-école Libertad (voir mon article du 10 janvier 2013 sur le retour du bâtiment). La suite officielle se rendra donc au Portugal ou au Maroc
et de là, prendra un avion privé, affrêté
à cet effet, pour gagner la Ville Eternelle...
Pour
en savoir plus :
lire
l'article de Página/12 sur les premiers pas de François
lire
l'article de Página/12 sur l'histoire de la Compagnie de Jésus
lire
l'article de Página/12 sur la délégation
officielle argentine
lire
l'article de Página/12 sur l'affaire de la disparue Elena De
La Cuadra, fille d'une des fondatrices de Madres de Plaza de Mayo.
(1)
Le Père Lombardi, porte-parole du Saint-Siège sortant
et donc toujours en charge jusqu'à la nomination d'un successeur
éventuel, a émis dans l'après-midi un communiqué
officiel disant que les attaques contre le Pape étaient le
fait d'une gauche anti-cléricale (ce qui est parfaitement
juste). Página/12 vient de réagir. Bien sûr, le
journal se sent visé au premier chef et il a bien raison
puisqu'il est l'organe majeur de cette campagne-là !!!!! On
verra demain comment les choses évoluent, mais pour ma part,
pour cause de salon du livre à Bourg-lès-Valence, je ne
m'en inquiéterai que dimanche matin ou lundi.
(2)
Pagadios : Pagado (payé) c'est le tampon qu'on applique sur
une facture lorsqu'elle a été réglée.
C'est un jeu de mot, comprenons-le ainsi. Mais assimiler le pape à
Dieu, c'est vraiment ne pas bien comprendre la fonction, surtout avec
le tour que l'actuel titulaire a l'air bien décidé à
lui donner. Si vous en doutez, allez regarder sur différents
sites Internet de télévision (à commencer sans doute par le site du Saint-Siège lui-même) le film de l'audience
donnée ce matin aux cardinaux dans la Salle Clémentine.
Le spectacle de ce pape recevant debout l'accolade chaleureuse et
cordiale de chaque dignitaire et plaisantant avec les uns et les
autres, sur un bruit de fond constitué par les conversations
de tout le monde avec tout le monde, en lieu et place du spectacle
assez peu édifiant tout compte fait d'un homme hiératiquement
assis sur un trône (pas très joli en plus) et devant
lequel se prosternent une longue suite de vieillards tous
uniformément en rouge et noir, ça vaut toutes les
leçons d'ecclésiologie du monde...
(3)
Toujours la même difficulté des Argentins pour
s'orienter dans l'histoire européenne. Le Vatican n'a pas
grand-chose de médiéval. D'ailleurs il n'existait pas
au Moyen-Age. A cet
endroit-là, il existait une Basilique et c'était à peu près tout. Comme les souverains temporels de cette lointaine époque, le Pape et sa cour avaient un mode de vie passablement nomade dans le Latium et même au-delà dans une bonne partie de l'Italie. Dans sa forme actuelle, le Vatican institutionnel
date de l'unité italienne, c'est-à-dire de la seconde
moitié du XIXe siècle. Auparavant, rien
n'existait de tout ce qui est mis en cause aujourd'hui, ni la banque
dite du Vatican, ni la Curie, ni le mode de vie au sein des palais
apostoliques...
(4)
Dans l'Eglise, on distingue les clercs, qui ont reçu un
sacrement de l'ordre, les consacrés qui ont prononcé des vœux définitifs,
et les laïcs (qui ne sont ni ordonnés et ni soumis à des vœux perpétuels). Le civil s'oppose quant à lui au militaire et non au clerc (clergé). Laïc, dans ce contexte, ne veut donc dire ni anti-clérical ni
favorable à la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
(5)
A leur procès hier, une brochette de criminels de la Dictature
est entrée dans la salle d'audience en exhibant à la
boutonnière les couleurs vaticanes et en se réclamant
du Pape François (ils sont bien équipés, pour
réagir aussi vite, et rudement bien aidés depuis
l'extérieur de leur prison). Il est sûr que ce type
d'attitude de leur part n'aide pas à clarifier les choses mais
ces gens-là ont toujours montré beaucoup de talent pour
embrouiller tout le monde. D'un autre côté, un tel
comportement montre clairement comment les militaires de la Junte ont
instrumentalisé la religion et l'attachement de leurs
compatriotes à l'Eglise catholique.
(6)
Rien à voir avec l'organisation constitutionnelle fédérale
argentine. Le terme Province relève ici du droit canon et désigne
une juridiction territoriale. Une Province correspond à un pays indépendant, au sens politique du terme. Dans
certaines régions du monde et c'est assez rare, une Province
peut rassembler plusieurs pays, soit parce qu'ils sont petits, soit
parce que l'Eglise y est peu présente.