mardi 19 mars 2013

Hugh ! Moi venir boire mate avec Frère Blanc pour enterrer hache de guerre [Actu]

"Ce fut fructueux et important".
Une de Página/12 de ce matin
En manchette, Jorge Rafael Videla qui, depuis sa prison, a appelé hier
les "militaires jeunes et vigoureux" à renverser Cristina
par un nouveau coup d'Etat

Eh bien voilà, nous y sommes. Ce n'était pas plus compliqué que ça... Il fallait juste qu'il change de costume, le monsieur, et après on peut causer. Il n'a même pas eu besoin de changer de pendentif ni de lunettes !

La réconciliation spectaculaire entre la Présidente argentine et l'ancien archevêque de Buenos Aires fait les délices des chroniqueurs sur la RAI comme sur France-Inter, France-Télévision, LCI et d'autres encore et donne raison à Paz et Rudy qui, vendredi, retrouvant leurs esprits (avec leur causticité habituelle), nous racontaient que l'élection du Pape avait débarrassé Cristina d'un opposant redoutable (voir mon article du 15 mars 2013).

L'entretien informel a duré une vingtaine de minutes puis s'est prolongé avec un déjeuner partagé à la maison Sainte-Marthe où le Pape continue de résider sine die. Selon les déclarations de la Présidente, elle a sollicité l'intervention du Saint-Père pour que s'engage un dialogue qu'elle appelle de ses vœux depuis de nombreuses années et qu'elle cherche à faciliter à chaque réunion internationale (Assemblée générale des Nations Unies, G20...) entre l'Argentine et la Grande-Bretagne sur la souveraineté des Malouines, conformément à une résolution de l'ONU à laquelle le Royaume-Uni ne s'est jamais plié et qu'il a même piétinée délibérément, entre autres il y a quelques jours avec ce référendum désavoué par les Nations Unies où les habitants des îles ont dit qu'ils voulaient rester britanniques. Bien entendu, si Cristina de Kirchner veut mettre toutes les chances de son côté pour l'heureuse issue de cette médiation (avec un pays à majorité anglicane et protestante !), elle a intérêt à faire taire les rumeurs qu'elle est fortement soupçonnée, avec son mari, d'avoir montées en épingle pour jeter le soupçon sur le comportement du Pape sous la dictature. Il y a fort à parier qu'après quelques barouds d'honneur, Página/12 va battre en retraite sur ce point et que les ONG vont se rendre à l'évidence du peu de consistance des accusations qu'elles soutiennent et qui se résument, selon le contenu même des articles parus dimanche dans Página/12, au fait que le Pape n'a été ni arrêté ni torturé ni assassiné pendant cette sinistre période. Pour le reste, tout le monde reconnaît qu'il n'a jamais été le complice actif de la Dictature (ce qui veut dire qu'il n'a trahi personne) et qu'il a même payé sur sa propre cassette les billets d'avion des prêtres qu'il arrivait à faire sortir du pays quand ils avaient la chance d'être libérés par leurs geôliers (1). Vous avouerez que c'est mince pour continuer à accuser quelqu'un d'avoir un passé trouble...

Le mate, ici avec son pied (dans la main du Pape)
et sa bombilla traditionnelle en métal torsadé (dans les doigts de la Présidente),
est un symbole d'amitié, de cordialité et aussi de sobriété,
le vecteur d'un véritable rite de sociabilité en Argentine.
Le choix de ce cadeau en dit long sur le retournement de la Présidente.
Au cours de cet entretien d'hier, Cristina de Kirchner a fait au Pape deux cadeaux très jolis pour ce qu'ils représentent en Argentine : un ensemble à mate dû au travail d'une artisane de la Province de Buenos Aires et un poncho, artisanal lui aussi, en provenance du Nord-Ouest. Pour les journalistes, cela a donné des images très télégéniques, très belles et même émouvantes, comme ce baiser qu'ils ont échangé à la mode argentine (un seul baiser sur la joue droite et indifféremment, qu'on soit homme, femme, vieux, jeune...) . Les images témoignent d'une rencontre détendue et en apparence au moins tout à fait sereine des deux côtés. Ce matin, pendant la messe d'installation, j'ai été frappée par les plans de coupe que la RAI faisait sur elle pendant l'homélie. Elle a hoché la tête, d'un mouvement très naturel et très discret, en signe d'adhésion à des propos (en italien) qui n'étaient pas si plaisants pour elle à entendre au regard des relations épouvantables qu'ils ont entretenues depuis des années. Et pour que les sources vaticanes n'en cachent pas le caractère conflictuel, il faut que ça ait été très tendu. J'ai aussi été frappée par son émotion après son court entretien dans la Basilique alors qu'elle était la première dignitaire (ça doit jouer, ça aussi) à se présenter, dans un évènement à portée mondiale. Elle en a oublié de saluer le cardinal à la droite du Pape et il a fallu que le service du protocole la cornaque. Pour moi, c'est un signe qui ne trompe pas. Cette femme est une politique madrée, ce n'est pas une petite fille nunuche qui s'emballe pour un oui ou pour un non. Comme tous ceux qui exercent le pouvoir, elle tombe parfois dans la démagogie et elle sait se contrôler, en bonne avocate qu'elle est de métier. Pour qu'elle arrive à ne pas voir un cardinal ou un évêque à la droite de la personnalité qu'elle vient de saluer (ce n'est pas discret un cardinal en grande tenue, ça se voit de loin !), il faut que l'émotion la submerge. Que ce soit un calcul politique ou un changement intime, il s'est passé quelque chose pour elle cette semaine. Il suffit de comparer son attitude d'aujourd'hui et la froideur du message de mercredi soir, lorsque la nouvelle de l'élection, dont elle ne parvenait pas à cacher ni qu'elle lui déplaisait ni qu'elle la prenait au dépourvu, est tombée... Dilma Roussef aussi était très enthousiaste ce matin mais le plus étonnant demeure encore l'air rayonnant de Rafael Correa, qui n'a pas vraiment un profil public de bon catho confit dans l'eau bénite...

Pour en savoir plus :
Vous disposez du lien vers le site Internet de Página/12 dans la Colonne de droite, partie basse (rubrique Actu)
Lire les articles sur le Pape sur le site Internet de l'agence Télam
Lire l'article des médias du Vatican sur la rencontre entre le Pape et la Présidente hier (version française).



(1) A cela s'ajoutent des récriminations fantaisistes et même farfelues auxquelles Página/12 tenait encore dimanche comme à la prunelle de ses yeux et dont voici un exemple très éclairant. On accuse Jorge Bergoglio de n'avoir pas retiré sa "licence sacerdotale" (jamais une telle licence n'a existé dans le droit canon, la capacité à célébrer les sacrements relevant d'une ordination par définition indissoluble et irrévocable, ce qui n'a rien à voir avec un permis de conduire qu'on vous confisque si vous avez pris l'autoroute en contresens et avec 4 gr d'alcool dans le sang), à un prêtre qui célèbre toujours la messe dans une prison au Chili (c'est son droit, le péché, pour grave qu'il soit, ne saurait être en soi un empêchement au sacerdoce, sinon il ne pourrait pas y avoir de prêtres puisque nous sommes tous pécheurs) où il est détenu après une condamnation lourde pour crimes contre l'humanité (en l'occurrence des enlèvements, des actes de torture et des homicides commis au bénéfice de la Dictature). Imaginer un seul instant que l'évêque de Buenos Aires (Argentine) ou de n'importe où ailleurs puisse intervenir dans les affaires d'un autre diocèse, pire encore, dans un diocèse d'un pays étranger, et quel pays étranger (le Chili), c'est ne vraiment rien comprendre au mode et à la logique presque deux fois millénaires de fonctionnement de l'Eglise...