Eh
bien voilà, nous y sommes. Ce n'était pas plus
compliqué que ça... Il fallait juste qu'il change de
costume, le monsieur, et après on peut causer. Il n'a même
pas eu besoin de changer de pendentif ni de lunettes !
La
réconciliation spectaculaire entre la Présidente
argentine et l'ancien archevêque de Buenos Aires fait les
délices des chroniqueurs sur la RAI comme sur France-Inter, France-Télévision, LCI et d'autres encore et donne raison à Paz et Rudy qui, vendredi,
retrouvant leurs esprits (avec leur causticité habituelle),
nous racontaient que l'élection du Pape avait débarrassé
Cristina d'un opposant redoutable (voir mon article du 15 mars 2013).
L'entretien
informel a duré une vingtaine de minutes puis s'est prolongé
avec un déjeuner partagé à la maison
Sainte-Marthe où le Pape continue de résider sine die.
Selon les déclarations de la Présidente, elle a
sollicité l'intervention du Saint-Père pour que
s'engage un dialogue qu'elle appelle de ses vœux depuis de
nombreuses années et qu'elle cherche à faciliter à
chaque réunion internationale (Assemblée générale
des Nations Unies, G20...) entre l'Argentine et la Grande-Bretagne
sur la souveraineté des Malouines, conformément à
une résolution de l'ONU à laquelle le Royaume-Uni ne
s'est jamais plié et qu'il a même piétinée
délibérément, entre autres il y a quelques jours
avec ce référendum désavoué par les Nations Unies où les habitants des îles
ont dit qu'ils voulaient rester britanniques. Bien entendu, si
Cristina de Kirchner veut mettre toutes les chances de son côté
pour l'heureuse issue de cette médiation (avec un pays à majorité anglicane et protestante !), elle a intérêt
à faire taire les rumeurs qu'elle est fortement soupçonnée,
avec son mari, d'avoir montées en épingle pour jeter le soupçon sur le comportement du Pape sous la
dictature. Il y a fort à parier qu'après quelques
barouds d'honneur, Página/12 va battre en retraite sur ce
point et que les ONG vont se rendre à l'évidence du peu
de consistance des accusations qu'elles soutiennent et qui se résument, selon le
contenu même des articles parus dimanche dans Página/12,
au fait que le Pape n'a été ni arrêté ni
torturé ni assassiné pendant cette sinistre période.
Pour le reste, tout le monde reconnaît qu'il n'a jamais été
le complice actif de la Dictature (ce qui veut dire qu'il n'a trahi personne) et qu'il a même payé sur sa propre cassette les
billets d'avion des prêtres qu'il arrivait à faire
sortir du pays quand ils avaient la chance d'être libérés
par leurs geôliers (1). Vous avouerez que c'est mince pour
continuer à accuser quelqu'un d'avoir un passé
trouble...
Au
cours de cet entretien d'hier, Cristina de Kirchner a fait au Pape deux cadeaux
très jolis pour ce qu'ils représentent en Argentine : un ensemble à mate dû au travail
d'une artisane de la Province de Buenos Aires et un poncho, artisanal
lui aussi, en provenance du Nord-Ouest. Pour les journalistes, cela a donné des images très télégéniques, très belles et même émouvantes, comme ce baiser qu'ils ont
échangé à la mode argentine (un seul baiser sur
la joue droite et indifféremment, qu'on soit homme, femme,
vieux, jeune...) . Les images témoignent d'une rencontre détendue et en
apparence au moins tout à fait sereine des deux côtés.
Ce matin, pendant la messe d'installation, j'ai été
frappée par les plans de coupe que la RAI faisait sur elle
pendant l'homélie. Elle a hoché la tête, d'un
mouvement très naturel et très discret, en signe
d'adhésion à des propos (en italien) qui n'étaient pas si
plaisants pour elle à entendre au regard des relations
épouvantables qu'ils ont entretenues depuis des années. Et pour que les sources
vaticanes n'en cachent pas le caractère conflictuel, il faut
que ça ait été très tendu. J'ai aussi été
frappée par son émotion après son court
entretien dans la Basilique alors qu'elle était la première dignitaire (ça doit jouer, ça aussi) à se présenter, dans un évènement à portée mondiale. Elle en a oublié de saluer le
cardinal à la droite du Pape et il a fallu que le service du
protocole la cornaque. Pour moi, c'est un signe qui ne trompe pas.
Cette femme est une politique madrée, ce n'est pas une petite
fille nunuche qui s'emballe pour un oui ou pour un non. Comme tous
ceux qui exercent le pouvoir, elle tombe parfois dans la démagogie
et elle sait se contrôler, en bonne avocate qu'elle est de
métier. Pour qu'elle arrive à ne pas voir un cardinal ou un évêque à
la droite de la personnalité qu'elle vient de saluer (ce n'est
pas discret un cardinal en grande tenue, ça se voit de loin !), il faut que
l'émotion la submerge. Que ce soit un calcul politique ou
un changement intime, il s'est passé quelque chose pour elle
cette semaine. Il suffit de comparer son attitude d'aujourd'hui et la
froideur du message de mercredi soir, lorsque la nouvelle de
l'élection, dont elle ne parvenait pas à cacher ni qu'elle lui déplaisait ni qu'elle la prenait au dépourvu, est tombée... Dilma Roussef aussi
était très enthousiaste ce matin mais le plus étonnant
demeure encore l'air rayonnant de Rafael Correa, qui n'a pas vraiment un profil public de bon catho confit dans l'eau bénite...
Pour
en savoir plus :
Vous
disposez du lien vers le site Internet de Página/12 dans la
Colonne de droite, partie basse (rubrique Actu)
Lire
les articles sur le Pape sur le site Internet de l'agence Télam
Lire
l'article des médias du Vatican sur la rencontre entre le Pape
et la Présidente hier (version française).
(1)
A cela s'ajoutent des récriminations fantaisistes et même
farfelues auxquelles Página/12 tenait encore dimanche
comme à la prunelle de ses yeux et dont voici un exemple très
éclairant. On accuse Jorge Bergoglio de n'avoir pas retiré
sa "licence
sacerdotale" (jamais
une telle licence n'a existé dans le droit canon, la
capacité à célébrer les sacrements relevant d'une ordination par définition indissoluble et irrévocable, ce qui n'a rien à voir avec un permis de conduire qu'on vous confisque si vous avez pris
l'autoroute en contresens et avec 4 gr d'alcool dans le sang), à
un prêtre qui célèbre toujours la messe dans une
prison au Chili (c'est son droit, le péché, pour grave qu'il soit, ne saurait être en soi un empêchement au sacerdoce, sinon il ne pourrait pas y avoir de prêtres puisque nous sommes tous pécheurs) où il est détenu après une condamnation lourde pour crimes contre l'humanité (en l'occurrence des enlèvements, des actes de torture et des homicides commis au bénéfice de la Dictature). Imaginer un seul
instant que l'évêque de Buenos Aires (Argentine) ou de n'importe où ailleurs puisse
intervenir dans les affaires d'un autre diocèse, pire encore,
dans un diocèse d'un pays étranger, et quel pays étranger (le
Chili), c'est ne vraiment rien comprendre au mode et à la
logique presque deux fois millénaires de fonctionnement de l'Eglise...