mercredi 27 mars 2013

Et Clarín se penche sur les préoccupations domestiques du Pape [Actu]


Et c'est une des raisons pour lesquelles Clarín est moins présent dans ces colonnes que son concurrent (et rude adversaire politique) Página/12 : la plupart du temps, Clarín choisit d'aborder l'actualité sous un angle anecdotique, pittoresque, là où Página/12 fait des analyses de fond, au risque de se tromper lourdement comme c'est systématiquement le cas sur les questions religieuses qu'il aborde comme des thématiques politiques. En procédant à sa façon, Clarín prend moins de risques, c'est sûr. Vous allez le voir ici...

Ce matin, le quotidien nous apprenait en effet ce que les observateurs avaient déjà deviné depuis belle lurette, depuis qu'ils avaient vu l'expression du visage du Pape pendant qu'il visitait les appartements pontificaux dans l'aile droite du palais apostolique. En toute cohérence avec le reste de ce qu'il fait et de ce qu'il dit, François a donc décidé de s'installer dans la Maison Sainte Marthe, cette résidence hôtelière située à l'intérieur du domaine du Vatican et conçue par Jean-Paul II pour recevoir tout au long de l'année un certain nombre d'ecclésiastiques et autres représentants des diocèses du monde entier en visite à Rome et, en période de vacance du Saint-Siège, offrir un toit et une communauté de vie priante aux cardinaux-électeurs pendant la durée du conclave.
Capture d'écran sur le site de Clarín

Le Pape a donc à présent quitté la chambre n° 201 que lui avait attribuée le sort des mains de Monseigneur Rey le 11 mars, à la veille de l'entrée dans la chapelle Sixtine, et il a aménagé dans une petite suite où il devrait vivre à titre permanent, au contact des résidents de passage, donc en relation constante avec la réalité mouvante du monde extra-vatican, et non plus dans le splendide et mortifère isolement des appartements officiels qui transformaient en deux temps trois mouvements un évêque normalement constitué en Pape-Pharaon intouchable et déconnecté de la réalité de tout un chacun...

Pour tout dire, l'article de Clarín ne casse pas trois pattes à un canard mais il a l'avantage de montrer la troisième facette de la papamania argentine, non plus l'acharnement idéologique (mais vacillant) de la gauche athée, non pas la ferveur spirituelle des croyants (que ce soit au San Lorenzo ou à la cathédrale), mais l'enthousiasme de Monsieur Tout le Monde, la joie, la fête, la fierté nationale aussi, qui n'a pas encore recouvert le marbre de Página/12, une papamania à la tonalité un peu différente de celle qui fleurit dans une Europe grelottant encore de froid, forme de culte de la personnalité jusqu'à présent admirablement endigué, voire même délicatement contrarié par le Souverain Pontife dont j'ai admiré dimanche qu'il ait réussi à traverser la Place Saint-Pierre jusqu'à l'obélisque central assis dans sa grande tenue liturgique rouge sang, à bord de son command-car (ex-papamobile débarrassée de ses hideux vitrages blindés) sans que la foule ne se mette à crier et à l'acclamer. Et il a réédité l'exploit ce matin, à sa première audience générale, où il est parvenu à empêcher les hispanophones de crier plus fort que tous les autres, alors qu'arrivé à la quatrième langue du jour, tout le monde était déjà bien échauffé et prêt à se lancer dans un concours de hurlements qui aurait pu atteindre des sommets acoustiques dignes des deux règnes précédents...

Au lieu de parler lui-même toutes les langues de la terre, ce qui a le don de déclencher l'hystérie collective et l'agitation frénétique de drapeaux et autres banderoles, il s'est entouré d'un beau symbole de la future collégialité du gouvernement de l'Eglise (attendue comme le Messie depuis au moins huit ans), à savoir une vigoureuse brochette multilingue d'évêques de la Curie auxquels il a confié cette tâche tandis que lui s'adressait à tous les groupes linguistiques, les uns après les autres, dans le même italien pour tous, ce qui a épargné à tout un chacun la tentation idolâtrique et rétabli le lien entre les audiences générales du XXIe siècle et les pratiques de l'Eglise antique : l'évêque offrant lui-même aux fidèles un temps de catéchèse, belle tradition de proximité avec le peuple que le successeur de saint Pierre assume en priorité sur Rome (Urbs en haut latin) et, par voie de conséquence seulement, sur le reste du monde (Orbs en latin tout court). Bref, ni l'Angelus ni l'audience générale ne sont plus des attractions touristiques dans la Ville Eternelle et personnellement, je m'en réjouis... Rome ne va pas disparaître, l'Urbs a d'autres atouts et d'autres atours à faire valoir et le Pape ne s'épuisera pas à faire du saute-mouton linguistique deux fois par semaine (à la longue, c'est épuisant et ce n'est pas ça qui va remonter l'Eglise du Seigneur, comme demandé à saint François d'Assise au XIIIe siècle et à son homonyme portègne aujourd'hui).