Et
c'est une des raisons pour lesquelles Clarín est moins présent
dans ces colonnes que son concurrent (et rude adversaire politique)
Página/12 : la plupart du temps, Clarín choisit
d'aborder l'actualité sous un angle anecdotique, pittoresque,
là où Página/12 fait des analyses de fond, au
risque de se tromper lourdement comme c'est systématiquement
le cas sur les questions religieuses qu'il aborde comme des
thématiques politiques. En procédant à sa façon,
Clarín prend moins de risques, c'est sûr. Vous allez le voir ici...
Ce
matin, le quotidien nous apprenait en effet ce que les observateurs
avaient déjà deviné depuis belle lurette, depuis
qu'ils avaient vu l'expression du visage du Pape pendant qu'il
visitait les appartements pontificaux dans l'aile droite du palais
apostolique. En toute cohérence avec le reste de ce qu'il fait
et de ce qu'il dit, François a donc décidé de
s'installer dans la Maison Sainte Marthe, cette résidence
hôtelière située à l'intérieur du
domaine du Vatican et conçue par Jean-Paul II pour recevoir
tout au long de l'année un certain nombre d'ecclésiastiques
et autres représentants des diocèses du monde entier en
visite à Rome et, en période de vacance du Saint-Siège,
offrir un toit et une communauté de vie priante aux
cardinaux-électeurs pendant la durée du conclave.
Capture d'écran sur le site de Clarín |
Le
Pape a donc à présent quitté la chambre n°
201 que lui avait attribuée le sort des mains de Monseigneur
Rey le 11 mars, à la veille de l'entrée dans la
chapelle Sixtine, et il a aménagé dans une petite suite
où il devrait vivre à titre permanent, au contact des
résidents de passage, donc en relation constante avec la
réalité mouvante du monde extra-vatican, et non plus
dans le splendide et mortifère isolement des appartements
officiels qui transformaient en deux temps trois mouvements un évêque
normalement constitué en Pape-Pharaon intouchable et
déconnecté de la réalité de tout un
chacun...
Pour
tout dire, l'article de Clarín ne casse pas trois pattes à
un canard mais il a l'avantage de montrer la troisième facette
de la papamania argentine, non plus l'acharnement idéologique
(mais vacillant) de la gauche athée, non pas la ferveur
spirituelle des croyants (que ce soit au San Lorenzo ou à la
cathédrale), mais l'enthousiasme de Monsieur Tout le Monde, la
joie, la fête, la fierté nationale aussi, qui n'a pas
encore recouvert le marbre de Página/12, une papamania à
la tonalité un peu différente de celle qui fleurit dans
une Europe grelottant encore de froid, forme de culte de la
personnalité jusqu'à présent admirablement
endigué, voire même délicatement contrarié
par le Souverain Pontife dont j'ai admiré dimanche qu'il ait
réussi à traverser la Place Saint-Pierre jusqu'à
l'obélisque central assis dans sa grande tenue liturgique
rouge sang, à bord de son command-car (ex-papamobile
débarrassée de ses hideux vitrages blindés) sans
que la foule ne se mette à crier et à l'acclamer. Et il
a réédité l'exploit ce matin, à sa
première audience générale, où il est
parvenu à empêcher les hispanophones de crier plus fort
que tous les autres, alors qu'arrivé à la quatrième
langue du jour, tout le monde était déjà bien
échauffé et prêt à se lancer dans un
concours de hurlements qui aurait pu atteindre des sommets
acoustiques dignes des deux règnes précédents...
Au
lieu de parler lui-même toutes les langues de la terre, ce qui
a le don de déclencher l'hystérie collective et
l'agitation frénétique de drapeaux et autres
banderoles, il s'est entouré d'un beau symbole de la future
collégialité du gouvernement de l'Eglise (attendue
comme le Messie depuis au moins huit ans), à savoir une
vigoureuse brochette multilingue d'évêques de la Curie
auxquels il a confié cette tâche tandis que lui
s'adressait à tous les groupes linguistiques, les uns après
les autres, dans le même italien pour tous, ce qui a épargné
à tout un chacun la tentation idolâtrique et rétabli le
lien entre les audiences générales du XXIe
siècle et les pratiques de l'Eglise antique : l'évêque
offrant lui-même aux fidèles un temps de catéchèse,
belle tradition de proximité avec le peuple que le successeur
de saint Pierre assume en priorité sur Rome (Urbs en haut
latin) et, par voie de conséquence seulement, sur le reste du
monde (Orbs en latin tout court). Bref, ni l'Angelus ni l'audience
générale ne sont plus des attractions touristiques dans
la Ville Eternelle et personnellement, je m'en réjouis... Rome
ne va pas disparaître, l'Urbs a d'autres atouts et d'autres
atours à faire valoir et le Pape ne s'épuisera pas à
faire du saute-mouton linguistique deux fois par semaine (à la
longue, c'est épuisant et ce n'est pas ça qui va
remonter l'Eglise du Seigneur, comme demandé à saint
François d'Assise au XIIIe siècle et à
son homonyme portègne aujourd'hui).