Hier,
à la une de Página/12, la vignette quotidienne de
Daniel Paz (le dessin) et Rudy (le texte) faisait rire ou sourire les
lecteurs du quotidien de gauche argentin. A condition de bien
connaître son histoire d'Argentine et d'avoir bien suivi depuis
quatorze ans les discours de Hugo Chávez (1) au Venezuela (et
en dehors du Venezuela). Explications.
Le
journaliste à Mauricio Macri (2) : Vous n'avez pas l'air très
bolivarien (3), je me trompe ?
Mauricio
Macri : Non, Bolívar n'est pas la figure historique que je
préfère au XIXe siècle.
Le
journaliste : Et lequel préférez-vous ?
Macri
: Beresford. (4)
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Quand
on connaît le contexte, la vignette est d'une efficacité
inouïe. Elle rapproche des concepts politiques bien au-delà
de ce qui est consciemment en jeu dans le débat public qui a
suivi la mort de Chávez et c'est pour ça qu'elle fait
éclater de rire le lecteur (s'il est de gauche. A droite, je
serais surprise que ce dessin fasse ne serait-ce que sourire... mais
le lectorat de Página/12 ne se situe pas à droite).
(1)
Depuis la mort du Comandante, Página/12 a tenu un discours
très pro-chavézien en continu sur toute la semaine.
Daniel Paz a fait deux dessins en hommage au disparu, qui sont parus
à la une, et Miguel Rep a consacré deux vignettes à
une comparaison linguistico-scabreuse où il saluait la mémoire
de Néstor Kirchner et de Hugo Chávez en les mettant
tous les deux au même niveau, celui de la lutte souverainiste
des pays d'Amérique du Sud contre l'impérialisme
rampant et résiduel des Etats-Unis (c'est moins violent depuis
la fin de la guerre froide mais le poids économico-stratégique
des Etats-Unis sur l'ensemble du continent, nord et sud, reste
écrasant pour tout le monde).
(2)
Si vous êtes des lecteurs assidus de Barrio de Tango, vous
commencez à connaître le personnage et les relents de
droite oligarchique assez caricaturale que traîne avec elle sa
politique parfois assez difficilement lisible à la tête
de la Ville Autonome de Buenos Aires. Une politique marquée
par les intérêts des exportateurs argentins, toujours
enclins à se soumettre aux désirs de leurs clients,
qui, tout au long du XIXe siècle, n'étaient
autre que les puissances géo-politico-économiques de
l'Europe, à commencer par la Grande-Bretagne, le pays-phase de
l'impérialisme de l'époque libérale, imité
de près par la France et de plus loin par l'Allemagne, les
Pays-Bas puis la Belgique, et peu à peu dépassé
dans l'entre-deux-guerres par les Etats-Unis d'Amérique. Cette
tradition politique a marqué l'ensemble de l'histoire du XXe
siècle
(3)
Chávez a utilisé l'héritage politique et quelque
peu césarien de Bolívar, libérateur de la moitié
nord de l'Amérique centrale et australe hispanique, pour
soutenir sa politique d'égalité sociale (amélioration
des conditions de vie des plus pauvres) et de souveraineté
nationale contre l'impérialisme des Etats-Unis et
secondairement de l'Europe, toujours symbolisée par le lien
historique qui relie le sous-continent à la Péninsule
ibérique à travers différents sommets annuels
(Espagne et Portugal confondus).
(4)
Le marquis de Beresford était le général qui
conduisit l'expédition britannique à la conquête
de Buenos Aires en marge des guerres napoléoniennes en 1806. A
cette époque-là, l'Espagne était alliée,
contrainte et forcée, à Napoléon et les
Britanniques cherchaient à nuire à ses intérêts
en prenant pied dans son empire colonial, dont l'Espagne était
séparée de fait faute de bâtiment pour relier les
deux continents, depuis que toute sa flotte avait coulé ou
avait été prise lors de la bataille de Trafalgar en
1805.