Ecusson du San Lorenzo dont on a vu la bannière déployée Place Saint-Pierre ce matin |
Quand
il vivait en Argentine, jusqu'à il a quelques jours, le
cardinal Bergoglio était supporter du San Lorenzo de Almagro
et il en est (était ?) même sociétaire (socio) et
pourtant il est né à Flores, le quartier voisin. En
Argentine, une immense majorité d'hommes (sans que cela exclue
les femmes) sont sociétaires d'un club et en général,
quand on l'est, on l'est à vie. On ne change pas de club en
fonction des victoires ou des défaites (même
chose en Italie d'ailleurs, on est fidèle à son club, pour le meilleur et pour le pire) et appartenir à un club va bien
au-delà de soutenir une équipe sportive. Ces
institutions sont le cadre de toute une vie de voisinage intense et
font aussi office de centres sociaux et culturels, avec des
formations professionnelles, des activités sportives et
artistiques, des cours de rattrapage, du soutien scolaire, de
l'alphabétisation pour les adultes, des dispensaires, un
centre aéré pour les gamins pendant les vacances
scolaires, des consultations juridiques, tous services en général
gratuits, ou à des tarifs dérisoires, et souvent mis en
œuvre gracieusement par des sociétaires qui font profiter les
autres de leurs compétences.
Le
Club de San Lorenzo de Almagro rassemble des équipes de
plusieurs sports et couvre les actuels quartiers de Almagro et Boedo
(prélevé sur le territoire de Almagro un demi-siècle
après la fondation du club). Ses couleurs sont le bleu marine
et le grenat, on désigne donc les sociétaires (et à
plus forte raison les joueurs eux-mêmes) comme les azulgranas.
Sous
la signature des deux dirigeants du club, Matías Lammens et
Marcelo Vázquez, le San Lorenzo s'est donc fendu d'un message
de félicitation à l'occasion de l'accession au trône
de saint Pierre de son plus célèbre sociétaire.
Je ne suis pas de très près les vicissitudes sportives
de ce club mais il ne m'est pas étranger. Je me suis plusieurs
années logée dans Almagro lors de mes séjours à
Buenos Aires et il faut être sourd et aveugle pour échapper
à la présence du San Lorenzo dans ses rues. Qui plus
est, c'était l'équipe de foot préférée
de mon ami, l'auteur-compositeur interprète (cantautor)
Alorsa, qui rêvait de m'emmener un jour à la cancha del
San Lorenzo (le stade du club) pour assister à un bon match
avec lui et d'autres supporters, ce qu'il ne nous fut pas donné
de réaliser... Le San Lorenzo a été fondé
au début du XXe siècle par un prêtre
de paroisse qui en a fait aussi un formidable lieu d'évangélisation
dans la tradition d'acculturation apportée en Amérique
du Sud par les jésuites...
Voici
donc la missive, succulente, pleine de verve et d'une affection qui
semble sincère (1), envoyée jeudi dernier à
Rome.
"Le
Club Athlétique San Lorenzo de Almagro et tout le peuple
bleu-grenat se félicite de votre désignation comme
Souverain Pontife de l'Eglise Catholique.
La
fierté de savoir que vous participez à notre passion,
comme supporter et sociétaire de notre institution, et que
vous avez partagé des moments particuliers de notre histoire,
tels cette messe que vous avez vous-même célébrée
en 2008 dans l'Oratoire San Antonio pour les festivités de
notre premier centenaire, vos tâches pastorales dans notre
chapelle Padre Lorenzo Massa (2) ou simplement vos encouragements à
notre équipe depuis vos jeunes années (3), [qui] sont
des circonstances qui soulignent votre humilité, votre
bonhomie et vos valeurs.
Sachez
que pour nous, vous n'êtes pas n'importe quel Pape, [vous
n'êtes] pas non plus le premier "Pape
argentin" ou
latino-américain ou le premier Pape jésuite, vous êtes
le "Pape de San
Lorenzo" ou, [pour le
dire] dans un langage plus footballistique, notre premier "Pape
Corneille" (4).
Ce
[Pape] qui, à n'en pas douter, durant son pontificat déploiera
le même labeur missionnaire qui a motivé la fondation de
notre club.
Nous
vous saluons et vous accompagnons dans votre intense tâche,
présente et future, à la poursuite de la fraternité
des peuples, de l'équité et de la justice sociale."
(Traduction Denise Anne Clavilier)
En
1930, le San Lorenzo et son lien avec le quartier avaient inspiré
un tango, Almagro, chanté ici par Antonio Rodríguez
Lesende (traduit dans Barrio de Tango, ed. du Jasmin, p 265).
Mais
le Pape, tout sociétaire du San Lorenzo qu'il soit, est natif
du quartier de Flores, dont le saint patron est justement saint Joseph, que
l'on fête aujourd'hui, en sa qualité de Père de
l'Eglise (5)... Ici, San José de Flores, un tango de 1936,
interprété en l'occurrence par l'orchestre de Osvaldo Pugliese
et son chanteur Alberto Morán dans les années 1950 (San
José de Flores est traduit dans Barrio de Tango, p 29)
Et
puis comme la fête du Pape c'est surtout le 29 juin, quand
l'Eglise célèbre ses deux Apôtres les plus
éminents, saint Pierre et saint Paul, voici comment le groupe La
Chicana, avec la voix de Dolores Solá, décrit, dans San Pedro y San Pablo, cette
fête d'hiver où le feu de joie (que nous appelons, nous, feu de la
saint-Jean, donc celui du 24 juin) joue les vedettes dans les quartiers pauvres.
Et
merci à Todo Tango de nous offrir tous ces enregistrements, si
représentatifs de l'histoire du genre, dans son audiothèque,
la plus fournie et la plus diversifiée du Web...
(1)
Il faut toujours resté prudent devant les enthousiasmes des
présidents de club sportif en Argentine. Pour les grands clubs
dotés d'équipes professionnelles (c'est le cas ici),
c'est souvent une fonction qui permet d'accéder à une
carrière politique pas toujours marquée au coin de
l'honnêteté et ces hommes ne sont pas toujours des enfants de chœur (voir le cas de Mauricio Macri, qui était le
président du Boca Juniors et dont la gestion semble avoir été
assez trouble).
(2)
Le père Lorenzo Massa est le fondateur du Club. Il avait pris
le nom de son saint de baptême pour fonder l'institution. Ce
prêtre était un personnage somptueux !
(3)
Il a donc intégré le club en culottes courtes, ce qui
n'a rien d'extraordinaire pour un gamin de Flores. En bondi (le
défunt tramway), il fallait quelques minutes pour rejoindre un bon nombre des infrastructures du San Lorenzo.
(4)
Impossible à traduire exactement : si on transpose
littéralement en français, on aboutit à un
contresens. Cuervo, c'est le corbeau. Et s'il y a bien une chose que
le Pape n'est pas, c'est ce prêtre sinistre en soutane noire et
au comportement d'un autre âge qui fait penser à cet
oiseau de mauvais aloi. Au San Lorenzo, le corbeau, c'est tout autre
chose. C'est l'un de ses symboles et l'un des surnoms dont
s'affublent eux-mêmes les socios. Je veux bien parier que d'ici
peu une chasuble bleu et grenat va arriver à Rome avec une
croix pectorale en forme ballon rond sur lequel se détacheront
en bas relief un Christ crucifié d'un côté et les
armes du club de l'autre ! Mais dès à présent, les supporters (hinchas) prévoient de lui envoyer un maillot de l'équipe dûment personnalisé pour une canonisation immédiate ! Voir l'illustration ci-dessus.
J'ai
tâché dans ma traduction de vous donner à
entendre toute la richesse sémantique accessible aux
Argentins. Il se trouve qu'il y a eu un Pape Corneille, au IIIe
siècle, en pleine période de persécution et de
schisme restée très douloureuse dans la mémoire
des chrétiens. Son pontificat vigoureux mais très court
(un peu plus d'un an) lui valut la couronne du martyre comme c'était
le cas de beaucoup d'évêques en cette époque
troublée qui achemina néanmoins pas à pas
l'Eglise vers une reconnaissance politique par l'empereur Constantin.
On doit à saint Corneille la première organisation
méthodique des activités caritatives et du clergé
dans le diocèse de Rome (il fallait au moins ça pour
lutter contre les forces de désagrégation à
l'œuvre au milieu du IIIe siècle). Il semblerait
que la question soit à nouveau à l'ordre du jour...
Saint
Corneille est fêté le 16 septembre avec un autre
martyre, saint Cyprien (qui vécut surtout en Afrique du Nord).
(5)
On fête aussi saint Joseph le 1er mai comme patron
des travailleurs. Une christianisation de la fête du Travail,
procédé constant dans l'histoire selon lequel l'Eglise
s'est toujours intégrée à son époque et à
la société au sein de laquelle elle évolue.