Roberto Passarella |
Sous le titre Quella musica che non chiede permesso (cette musique qui ne demande pas la permission) (1), hier soir, dans son édition datée d'aujourd'hui, L'Osservatore Romano a relaté le concert donné le 6 juin dernier, sous les auspices de l'ambassade uruguayenne auprès du Saint-Siège : la première mondiale d'une œuvre liturgique en hommage au "Chef des Orientaux", José Gervasio Artigas, dont on fêtera demain, le 19 juin, les 250 ans de la naissance à Montevideo, alors que le Río de la Plata n'était même pas encore un vice-royaume à part entière.
José
Gervasio Artigas (1764-1850) est le héros national par excellence de
l'Uruguay. Très tôt, dès l'année 1811, au cours de laquelle un
dernier vice-roi non officiel choisit de s'établir à Montevideo,
Artigas rejoignit les rangs révolutionnaires dont il connaissait un
bon nombre des meneurs, pour avoir combattu auprès de Juan Martín
de Pueyrredón dès 1806, lorsqu'il contribua à repousser les deux
tentatives d'invasion britannique (en 1806 et 1807).
En
1813, Artigas met beaucoup d'espoir dans l'Assemblée de l'An XIII qui se réunit à Buenos Aires pour donner une constitution aux
Provinces-Unies qui restent encore, de jure tout au moins, fidèles à
l'Espagne patriote, celle qui se bat encore et toujours contre
l'envahisseur napoléonien. Mais en 1814, lorsque la volonté de
domination de Buenos Aires sur l'ensemble du bassin du Río de la
Plata devient manifeste, Artigas prend la tête des autonomistes
uruguayens (orientales), ce que l'histoire retiendra en faisant de
lui la figure de proue de la lutte pour l'indépendance de ce petit
pays, coincé entre les deux géants sud-américains que sont
l'Argentine et le Brésil.
José
Artigas n'a pu toutefois accéder à la notoriété continentale à
l'instar d'un San Martín ou d'un Bolívar, à cause d'une
malheureuse conjonction d'événements politiques et militaires. Son
action sur le sol natal s'est achevée sur une terrible défaite, à
Tacuarembó (2), en janvier 1820, contre le Brésil, un pays qui
avait toujours disputé au Roi d'Espagne la possession de ce triangle
de terre qu'on appelait alors la Banda Oriental (la Bande Orientale,
comme on parle aujourd'hui de Bande de Gaza). Artigas tenta alors de
se réfugier dans la Province d'Entre-Ríos, tenue à cette époque
par des fédéralistes avec lesquels il ne parvint pas à s'entendre.
Il dut donc se tourner vers Gaspar de Francia, le dictateur du
Paraguay indépendant, qui lui accorda l'hospitalité à condition
qu'il renonce à toute activité politique. Artigas a donc passé au
Paraguay les trente dernières années de sa vie. Bien après sa
mort, ses cendres ont été rapatriées à Montevideo où son
mausolée est honoré à l'égal de celui de San Martín à Buenos
Aires.
Pour
remercier le Pape François de ses prises de position en faveur des
pauvres et des exploités du monde entier, pour lesquels Artigas est
un héros tutélaire dans le sud du continent sud-américain,
l'ambassadeur uruguayen a donc organisé une première exécution
mondiale de Messa Qoélet (de son titre italien), en français Messe
Quohélet, inspirée du Livre de l'Ecclesiaste, attribué au roi
Salomon, dans l'Ancien Testament.
L'œuvre,
qui dure une heure et dix minutes, est écrite pour bandonéon, chœur
et ensemble philharmonique par un compositeur et bandonéoniste
italo-uruguayen, né à Ancône, d'un père uruguayen et d'une mère
italienne. Roberto Passarella est le fils de Héctor Ulises
Passarella, l'un des plus fameux bandonéonistes uruguayen, lui-même
compositeur de tango. Roberto s'est formé en Italie, tout à la fois
à la musique et aux humanités. Il a en particulier un titre
universitaire de philosophie.
L'article en italien sur la version papier de L'Osservatore Romano, daté du 18 juin 2014 cliquez sur l'image pour une résolution écran confortablement lisible. |
Le
concert s'est tenu dans les locaux de la Chancellerie du Vatican, en
l'absence du Souverain Pontife à qui plusieurs musiciens classiques
ont dédiés leurs pièces ou leur exécution dans les palais
pontificaux sans qu'il n'y assiste jamais, se consacrant à d'autres
tâches plus importantes pour l'Eglise ou l'Etat du Vatican.
Peut-être à cause de cette absence ou parce que le musicien est un
peu plus italien qu'uruguayen, peu de journaux de la République
orientale ont fait état de cette création romaine mais il est vrai
que ce jour-là, le monde entier avait les yeux fixés sur les côtes
normandes, les rencontres, fussent-elles furtives, entre Poutine et
Obama d'une part, entre Poutine et Porochenko d'autre part.
El País en a toutefois parlé en son temps.
Et
L'Osservatore Romano aussi, mais hier seulement et non au lendemain
du concert.
Il
en existe un bref résumé en italien sur le site Internet du
quotidien du Vatican.
Attendons
demain et après-demain pour voir ce qui se passe du côté de
Montevideo, Colonia, Tacuarembó, etc. Il n'est pas impossible,
encore plus en Argentine qu'en Uruguay, que la prestation de serment
du roi d'Espagne fasse une méchante concurrence aux célébrations
autour de don José de Artigas. Sans parler du Mundial !
(1)
Traduction italienne d'une expression typiquement rioplatense "sin
pedir permiso".
Ce dit de celui qui s'impose sans manière, dans une sorte de
mauvaise éducation étudiée, dans le but de s'emparer de droits
légitimes que de plus puissants dénient, que ce soit sur le plan
diplomatiaque les puissances mondiales qui maintiennent dans une
humiliante sujétion les pays moins développés, ou sur le plan
social, à l'intérieur des frontières, les classes possédantes qui
exploitent ou écrasent (ou les deux à la fois) le peuple. C'est
percevoir cet état d'esprit qui permet de comprendre le succès et
la popularité de ce fameux but de la main (la mano de Dios) marqué
par Maradona, au cours d'un autre Mundial, au Mexique cette année-là.
(2)
Cette ville où précisément une grande partie des Uruaguayens
veulent que soit né Carlos Gardel, entre autres pour donner à ce
lieu un destin plus glorieux que cette défaite historique.