Grand rendez-vous annuel de la culture
à Buenos Aires : ce soir, la Feria del Libro ouvre ses portes
au grand public à Palermo, dans l'immense parc des expositions de la
Sociedad Rural dans le nord de Buenos Aires.
Deux prix Nobel de Littérature sont
invités cette année, le péruvien Mario Vargas Llosa et de
Sud-Africain Paul Coetzee.
La manifestation sera inaugurée par
Alberto Manguel qui prendra bientôt la direction de la Biblioteca
Nacional Mariano Moreno, dont je vous ai déjà décrit le piètre
état social (1) et dont Manguel veut faire une véritable
bibliothèque nationale, qui remplisse les missions dévolues à ces
institutions alors que ces dernières années, elle fonctionnait
beaucoup plus comme un centre culturel de proximité et le siège
d'une association idéologique partisane, Carta Abierta, un collectif
d'intellectuels et d'artistes kirchneristes qui aurait dû avoir ses
propres locaux et non pas s'installer dans une institution nationale.
Dans l'une de ses interviews, le futur directeur précise qu'il
souhaite que la BN bénéficie désormais à tout le pays et non pas
aux seuls Portègnes (qui ont tendance à confisquer à leur profit
nombre d'institutions nationales du seul fait qu'elles se trouvent
sur le territoire municipal). Il est à souhaiter en effet que la
bibliothèque nationale argentine mette ses pas dans ceux de ses
homologues qui ont depuis longtemps adopté un profil technique sans
affiliation à tel ou tel parti et entamé le scannage de tout leur
fond pour le rendre rapidement disponible, aisément, en ligne pour
l'ensemble de la communauté scientifique et étudiante du monde
entier.
C'est vers cela que Alberto Manguel
veut aller, c'est la mission, plutôt légitime, qu'il a reçue du
ministère de la Culture, une mission que la gauche kirchneriste, qui
se tient dans une posture de résistance au changement, interprète
comme une confiscation de la culture par les élites universitaires
au détriment du peuple, refusant de reconnaître que le pays a
autant besoin d'institutions répondant aux standards académiques
internationaux que de centres culturels de proximité, notamment de
médiathèques qui font encore cruellement défaut dans presque toute
l'Argentine, et que le développement culturel national passe
obligatoirement par le développement de ces deux dotations
complémentaires. Il faudra donc à Alberto Manguel beaucoup de
patience, de pédagogie et de poigne pour réussir cette révolution
des idées et des structures. Ce soir, il est toutefois attendu au
tournant par tous les intellectuels de l'opposition, bien déterminés
qu'ils sont à ne lui concéder aucune victoire ni dans ce domaine ni
dans aucun autre. C'est bien triste !
Pour l'occasion, Miguel Rep nous
gratifie de ses livres qui parlent :
de gauche à droite :
Je t'offre de la qualité
Je suis d'une lecture difficile
Moi, c'est facile
Moi, je suis sérieux mais à la
longue, on finit par me comprendre
Moi, je suis là pour vous expliquer la
conjoncture
Moi, c'est pour tout le temps
Moi, c'est pour jamais
Moi, je suis du pur design
Moi, je suis pour les mélancoliques
Moi, je suis très très bon marché
Moi, je vais bien pour faire un cadeau
Moi, je te rends la vie belle
Moi, je suis super-cher
Moi, j'ai l'air du centre mais je suis
de droite (2)
Et moi, je fais de l'agitation.
Salon du Livre – Salon de la
diversité (3)
Traduction © Denise Anne Clavilier
Dimanche, Miguel Rep nous régalait
avec un livre en train de lire un homme tiré d'une "hommethèque" (il
n'a pas fait de grec ancien, dans sa jeunesse cet homme, pour nous
inventer un néologisme pareil...)
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12, très
emblématique de cette résistance au changement de la gauche
kirchneriste et de l'acharnement idéologique dont il procède (4)
lire l'interview de Alberto Manguel
dans La Nación (interview imprimée et non pas vidéo)
lire l'interview de Alberto Manguel
dans Clarín (moins développée comme d'habitude)
Ajout du 22 avril 2016 :
Comme on pouvait s'y attendre, il y avait bien un comité d'accueil hostile à Alberto Manguel à la Feria del Libro mais petit (seulement une qurantaine de personnes brandissant des pancartes qui l'accusaient de vouloir faire de la BN un commerce, ce dont il n'est pas question pour le moment).
Lire l'entrefilet de La Nación sur les manifestants
lire l'article principal de La Nación (reportage à l'inauguration du salon)
lire le reportage sur cette inauguration dans Clarín.
Et le lendemain, 22 avril 2016, Clarín a consacré la photo de une à l'inauguration de la Feria, avec un cliché centré sur Alberto Manguel au moment où toute la salle Borges l'applaudit, alors que la très médiatique mort de Prince est reléguée en manchette (mais une manchette géante).
Ajout du 23 avril 2016 :
le ministre de la Culture, Pablo Avelluto, soutient publiquement Alberto Manguel et condamne les cris et les huées qui, en sa présence, l'ont accueilli à la Feria del Libro. Lire à ce sujet l'article de La Nación.
Ajout du 29 avril 2016 :
le ministre de la Culture, Pablo Avelluto, revient sur l'incident au cours d'une interview vidéo à La Nación, où il fait le point sur l'ensemble de la démarche qui est la sienne au sein du gouvernement de Cambiemos.
Ajout du 22 avril 2016 :
Comme on pouvait s'y attendre, il y avait bien un comité d'accueil hostile à Alberto Manguel à la Feria del Libro mais petit (seulement une qurantaine de personnes brandissant des pancartes qui l'accusaient de vouloir faire de la BN un commerce, ce dont il n'est pas question pour le moment).
Lire l'entrefilet de La Nación sur les manifestants
lire l'article principal de La Nación (reportage à l'inauguration du salon)
lire le reportage sur cette inauguration dans Clarín.
Et le lendemain, 22 avril 2016, Clarín a consacré la photo de une à l'inauguration de la Feria, avec un cliché centré sur Alberto Manguel au moment où toute la salle Borges l'applaudit, alors que la très médiatique mort de Prince est reléguée en manchette (mais une manchette géante).
Ajout du 23 avril 2016 :
le ministre de la Culture, Pablo Avelluto, soutient publiquement Alberto Manguel et condamne les cris et les huées qui, en sa présence, l'ont accueilli à la Feria del Libro. Lire à ce sujet l'article de La Nación.
Ajout du 29 avril 2016 :
le ministre de la Culture, Pablo Avelluto, revient sur l'incident au cours d'une interview vidéo à La Nación, où il fait le point sur l'ensemble de la démarche qui est la sienne au sein du gouvernement de Cambiemos.
(1) La BN a perdu brutalement 25% de
son personnel salarié le mois dernier, ce qui est un traumatisme
considérable chez ceux qui travaillent dans l'institution tout en
correspondant à un déut d'adéquation aux ratios appliqués dans
d'autres bibliothèques nationales, qui, notamment en Europe, gèrent,
sans difficulté insurmontable, des fonds beaucoup plus lourds. La BN
Mariano Moreno dispose d'un catalogue de moins de 10 000 volumes, ce
qui représente 10%, voire 2 à 5% de ce que conserve une bibliothèque
nationale européenne (mais ce sont, il est vrai, des pays au passé écrit beaucoup
plus ancien). Or une bibliothèque nationale d'un grand pays plus
ou moins comparable à l'Argentine en terme de population (Espagne, France, Italie) dispose
d'un demi-millier d'agents (la comparaison n'est pas possible avec
l'Allemagne où les missions de conservation patrimoniale d'imprimés
sont exercées à l'échelle des länder et non pas au niveau fédéral). A Buenos Aires, plus de 750 personnes ont été
maintenues en poste, dans un pays où certaines provinces disposent
elles aussi de fonds locaux. Ce qui est constitue donc un ratio
largement supérieur à la moyenne, même si aucune statistique ne peut justifier la crise de management qui secoue le
personnel de l'institution et contribue à alimenter une agitation
syndicale, qui n'est certes pas dénuée d'arrière-pensées politiciennes.
(2) Coup de griffe contre Alberto Manguel
et une bonne partie du gouvernement et de ses partisans, qui ne se
sentent pas de droite, se disent du centre mais que la rédaction de
Página/12 classe à droite, pour mieux les
stigmatiser aux yeux de son lectorat, nettement à gauche.
(3) L'un des slogans du gouvernement :
diversité, pluralité, etc, que Rep interprète comme un inventaire à la Prévert au lieu d'y voir une ouverture démocratique.
(4) Cet acharnement a des racines profondes. Il trouve son explication en 1820, au début de la guerre civile entre fédéraux et unitaires, quand les fédéraux combattaient pour l'existence politique des classes sociales laborieuses de l'Intérieur (les provinces hors Buenos Aires) tandis que les unitaires, majoritaires à Buenos Aires, voulaient imposer le modèle européen, un modèle où le progrès vient des classes sociales supérieures, où les classes inférieures se sont toujours élevées en adoptant les mœurs et les codes de la classe supérieure, un modèle qui était conçu et qui prospère (ou a prospéré) dans une réalité sociale, historique et géographique bien différentes de celles du Nouveau Monde... Et c'est encore cette opposition entre deux modèles, l'un européen (facile à définir) et l'autre latino-américain (qui reste encore indéfini et en construction), qui se fait jour dans les choix politiques du Gouvernement sur plusieurs thèmes culturels et leur interprétation systématiquement négative par l'opposition. Pourtant les deux modèles ne sont pas intrinsèquement incompatibles, bien au contraire. En Argentine, ils ne cessent de s'interpénétrer depuis trois siècles... Il n'en reste pas moins que les espaces culturels pour le peuple se sont pour le moment raréfiés à Buenos Aires même où on ne joue plus de tango au Museo Casa Carlos Gardel mais de la musique classique, ce qui est très mal vécu sur place, avec juste raison.