lundi 29 janvier 2018

Le mythe de l'Argentine blanche et la résistance historico-humoristique [Actu]

La semaine dernière, au Sommet économique de Davos, Mauricio Macri a déclaré aux hommes d'affaires européens qui y étaient réunis que tous les Argentins descendaient d'Européens, ce qui aurait justifié, selon lui argument, que se développent les relations commerciales et les partenariats économiques entre l'Union Européenne et l'Argentine. Cela a fait réagir toute la presse, de droite comme de gauche, car tout le monde sait très bien dans quelle perspective pour le moins dépassée cet argument a été utilisé par l'oligarchie, à chaque fois qu'elle a gouverné le pays, depuis 1860 jusqu'au retour à la démocratie en 1983, et que cette thèse correspond à un gros mensonge, pour ne pas parler d'une falsification délibérée de l'histoire. Et rares sont sont qui n'en conviennent pas aujourd'hui.

C'est un peu comme si un chef d'Etat français relançait, devant une assemblée internationale, la fable de "nos ancêtres les Gaulois". Cela le ferait passer pour un crétin qui n'est même pas au courant des avancées de la recherche historique dan son propre pays. C'est ce qui est arrivé à une ou deux reprises à Nicolas Sarkozy, en campagne électorale, lorsqu'il cherchait à plaire, en vain, à une certaine frange de la population française, dont il flattait bassement le racisme plus ou moins ouvert.

Qui plus est, depuis le retour à la démocratie, il y a une prise de conscience de plus en plus nette dans l'opinion publique, et non plus seulement chez les intellectuels et les universitaires, qu'il existe des peuples originels, que ceux-là ne sont pas venus d'Europe et qu'ils ont droit, comme tout un chacun, de participer à la communauté nationale. L'introduction dans le pays d'esclaves africains pendant toute la période coloniale est aussi un fait historique qui remonte à la surface, dans le roman national en cours d'élaboration.

Cette déclaration est donc d'autant plus gênante que Mauricio Macri avait affirmé très solennellement en décembre 2015, lorsqu'il a prêté le serment présidentiel, qu'il comptait bien faire des peuples originels des sujets de droit au sein de la République et non plus des assistés, vivant des subventions de l'Etat (ça, c'était pour le coup de griffe au gouvernement précédent). Depuis, on n'a pas vu qu'il ait pris des décisions spectaculaires à leur endroit, mais ce sont des paroles que tout le monde a pu entendre.

Le duo de la vignette de une, le dessinateur Daniel Paz et le scénariste Rudy, se saisissent de l'événement pour brocarder le président et ses propos malheureux, surtout au moment où l'Argentine fait face à des manifestations mapuches en Patagonie depuis plusieurs années. Juste avant le carnaval, qui commence samedi avec les vacances du lundi et mardi gras, sourire un peu ne nous fera pas de mal et pour une fois, c'est sans aucune caricature ni de Macri ni d'aucun de ses ministres.

Les deux chipies de quartiers chic ont fait leur réapparition dans l'édition d'hier.


Et les peuples originels, d'où est-ce qu'ils descendent ? (1)
Je ne sais pas. Des bonnes des Européens.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

Autres personnages récurrents, à la une de ce matin, le gros moustachu est un représentant de l'oligarchie, un peu bas de plafond comme le montre clairement le crayon de Paz, et son assistant ou son grand dadais de fils ou de neveu...



Et les Diaguitas, les Pampas, les Tehuelches ? (2)
Va savoir de quel coin d'Europe ils sont venus !!!
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

Pour en savoir plus :
lire l'article de Página/12 sur les déclarations de Mauricio Macri à Davos.



(1) On entend bien, en fond, la blague ultra-classique : les Mexicains descendent des Aztèques, les Péruviens descendent des Incas. Et les Argentins ? Les Argentins, ils descendent des bateaux. Allusion à la grande immigration pan-européenne qui s'est étalée de 1880 à 1930.
(2) Trois noms de peuples originels argentins.