mercredi 24 octobre 2012

Les lettres de Berthe Gardes au Museo Casa Carlos Gardel [à l'affiche]



Aux antipodes de la thèse uruguayenniste (1) dont je vous parlais il y a quelques jours avec une nouvelle polémique ouverte par Martina Iñíguez dans El País (voir mon article du 22 octobre 2012 à ce propos), le Museo Casa Carlos Gardel, Jean Jaurès 735, inaugurera demain, jeudi 25 octobre 2012, une exposition des lettres de Berthe Gardes, la mère de Carlos Gardel. (2)

Ces lettres appartiennent à un fonds d'archives dit Colección Gardel-Defino, du nom du dernier fondé de pouvoir de l'artiste, que Berthe Gardés institua son légataire universel à sa propre mort, en 1943. Dans sa correspondance, avec son fils, avec sa famille restée à Toulouse, avec des amies, Berthe Gardés parle abondamment et avec tendresse de son fils et le sujet redouble après la tragédie de Medellín, le 24 juin 1935, lorsqu'il trouva la mort accidentellement alors qu'elle-même se trouvait chez son frère à Toulouse.

L'inauguration aura lieu demain à 19h (entrée libre et gratuite). Et vendredi 26 octobre, le lendemain, se donnera une double conférence dans le patio du musée :
Laura Orsi parlera du contenu de la correspondance, sous le titre Siempre lo espero (je l'attends encore et toujours), une phrase que la mère répétait souvent après juin 1935.
Adriana Guraieb parlera elle de la vie de Berthe Gardes et en particulier du fait de sa maternité hors mariage qui la porta à immigrer en Argentine où elle put se faire passer pour veuve, une situation honorable, alors que celle de fille-mère dans une ville modeste comme la Toulouse de la fin du 19ème siècle. Le titre de la conférence : Berthe, pionera (3) de la familia monoparental – el estigma social de la madre soltera y la migración. Donc une vision plus socio-historique dans le cadre de cette exposition.

Il y a fort à parier qu'elle sera émouvante à regarder, cette expo, qui durera un mois, jusqu'au 25 novembre 2012, de 11h à 18h. Entrée : 1 $ (peso argentin), sauf le mercredi où le musée est gratuit.

Son titre, En fin, reprend une expression avec laquelle elle débutait souvent ses lettres, en français comme en espagnol. Enfant, elle avait vécu au Venezuela où sa mère, séparée de son père mais non encore divorcée, et son amant, qui allait devenir son second mari plus tard, étaient allés cacher une grossesse adultérine. Toute la famille, Berthe, son frère aîné, Jean, le petit Charles, leur demi-frère, qui allait mourir sur le front le 11 octobre 1918, la mère et son compagnon, avait vécu plusieurs années en Amérique du Sud, avant de revenir en France, à Bordeaux, où on ne les connaissait pas et quelques années après, à l'âge de 25 ans, le même malheur s'abattait sur Berthe, avec une nouvelle grossesse hors mariage. La mère, folle de colère, rompit les liens avec sa fille, qui dut s'enfuir à Toulouse pour y mener sa grossesse à terme et y accoucher comme une pécheresse à l'hôpital Saint-Joseph de Grave, une honte à une époque où toutes les femmes honorables donnaient la vie chez elles, avec au moins des voisines pour les assister si elles n'avaient pas assez d'argent pour faire venir ne serait-ce qu'une sage-femme. Et comme toutes les filles-mères de ces années-là, c'est Berthe elle-même, tout juste accouchée, qui dut aller déclarer la naissance de son fils à la mairie, dans les trois jours comme la loi le veut.

Cette déclaration est actuellement conservée aux archives départementales, comme tous les documents administratifs passé un certain délai, et les employés ont l'habitude d'aller en chercher le registre dès qu'un citoyen argentin pointe son nez dans le service. Tous les historiens du tango connaissent cet acte de naissance comme beaucoup d'entre eux connaissent aussi l'acte de baptême célébré à la sauvette par l'aumônier de Saint-Joseph, devenu aujourd'hui un hôpital public tout ce qu'il a de bien équipé et d'efficace mais qui a conservé le sévère aspect carcéral qu'il avait à sa fondation, quand un hôpital servait à séparer la lie du peuple des braves gens (c'est contagieux, la pauvreté), avec le mépris et la bonne conscience des bien-pensants repus et charitables qui faisaient tourner l'établissement.


(1) Le Museo Casa Carlos Gardel est en effet, comme il est légitime, gardien de la version historique, celle où Gardel est né à Toulouse le 11 décembre 1890. Parmi les pièces de l'exposition permanente, il y a en effet le testament autographe de Gardel qu'il ouvre sur la reconnaissance de sa nationalité française et de sa naissance à Toulouse, ce qui constituait un aveu dangereux à la fin 1932 puisqu'il voyageait toujours avec des papiers officiels le disant né à Tacuarembó, en Uruguay, et il avait bien raison de les avoir conservés puisque, même en 1932, il n'était pas dit qu'il pourrait échapper en toute quiétude à l'attitude quelque peu revancharde de chauvins français (qui d'ailleurs n'étaient pas toujours ceux qui avaient risqué leur peau dans les tranchées). En 1936, cela aurait été plus simple car les menaces de guerre se faisant plus précises et plus concrètes, les patriotards de tous poils étaient plus enclins à un pacifisme qui fut d'ailleurs de très mauvais aloi... Ce testament fait partie des pièces plus que contestées par les uruguayennistes.
(2) Dans la thèse uruguayenniste, la pauvre femme en voit de toutes les couleurs. Bien évidemment, sa maternité ne colle pas avec la naissance à Tacuarembó puisqu'elle est française et que personne ne peut nier qu'elle ait accouché à Toulouse. On en fait donc la plupart du temps une prostituée qu'elle ne fut jamais et à qui les parents adultérins de Carlos Gardel aurait confié l'éducation de leur enfant. Comme si on confiait un nouveau-né à une prostituée. Et de là, un échafaudage impressionnant de circonstances pour tenter de démontrer qu'elle était bien à des dates qui varient présente dans les environs de Tacuarembó pour que cette substitution de mélodrame ait pu se réaliser...
(3) Pionnière, elle ne le fut guère. Dans ces années-là, c'était une situation de famille beaucoup plus courante qu'on ne le croit, tant en France qu'à Buenos Aires. Mais elle est certainement une référence en la matière pour la société actuelle où cette situation a acquis un autre statut et relève d'une multitude de circonstances, qui n'existaient pratiquement pas à l'époque (concubinage définitif, séparations de fait, divorces...)