C’est peu dire que la rédaction de Clarín s’est régalée à commenter et peut-être à vivre le jeu de massacre dont le gouvernement argentin nous a offert le spectacle désolant tout au long de cette semaine, échouant à faire naître de l’espoir quelque part, sauf dans un syndicat qui s’est félicité de l’arrivée de Sergio Massa, un poids lourd du paysage péroniste, pour renvoyer au vestiaire le poids plume qu’était Silvina Batakis, dépourvue de notoriété nationale comme internationale, éphémère ministre qui a tenu tant bien que mal mais seulement quelques semaines le stratégique ministère de l’Économie, au milieu de la redoutable crise à tiroirs que traverse le pays.
Le festival de rigolade de Clarín
a commencé mercredi avec la vignette du dessinateur Erlich, d’une
rare cruauté avec Alberto Fernández (cruel
mais très drôle, il faut bien l’avouer),
au moment où le
gouvernement multipliait
les brainstormings
afin de trouver
le moyen de faire revenir des
billets vers
dans les caisses de l’État où les réserves de devises étrangères
se font de plus en plus
maigres. Erlich
a choisi de faire référence à l’amitié personnelle,
de notoriété publique et
de longue date, que le
président argentin entretient avec le rocker Litto Nebbia, très
grand artiste de la
musique populaire et auteur-compositeur du premier rock à texte de
langue espagnole, La
Balsa (le radeau) (1).
Dans les
années 1960, lorsque la situation politique déprimait
tout le monde en Argentine,
Litto Nebbia composait
cette chanson où il faisait
semblant d’adopter les
avertissements désabusés
des « vieux »
à une jeunesse aventureuse, dont il
faisait partie et qui brûlait d’envie de secouer la sinistrose ambiante : « Ne
te lance pas là-dedans, tu vas te
planter ». Les
paroles de la chanson
développent ces
vaticinations sinistres
tandis que la mélodie
dynamique vient dire
l’inverse : « je
vais construire un radeau pour partir et avec
ce radeau, j’irai faire naufrage ».
"Prêtez-moi des sous. Je rembourse en chansons" "Avec le dollar j'irai faire naufrage" Traduction © Denise Anne Clavilier Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Pour apprécier tout le sel de cette vignette, il faut ne pas oublier que le président argentin est un excellent guitariste amateur et qu’il utilise parfois la chanson et sa guitare pour envoyer des messages politiques bien sentis, non sans que sa voix et la manière dont il l’utilise en musique ne rappellent le style de Litto Nebbia lui-même !
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Le surlendemain, la ministre de
l’Économie
était à Washington dont elle était sur le point de revenir. On
savait déjà en Argentine qu’à la Casa Rosada, on n’attendait
que son atterrissage à Ezeiza pour annoncer l’arrivée au
gouvernement du bel et ambitieux Sergio Massa, qu’on reconnaît ici
dans la valise de la ministre aux sourcils froncés.
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Le lendemain, Sergio Massa dûment
nommé à son super-ministère qui réduit le Premier ministre à
faire de la figuration, Erlich est toujours aussi inspiré. « Miroir,
mon beau miroir, qui est le plus beau ? » Et le reflet de
Massa répond « Moi » avec la prononciation fréquente
chez les gens de sa génération (il prononce « cho » là
où les plus âgés disent encore « jo », pour yo,
pronom sujet de première personne du singulier).
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Enfin ce matin, nous avons droit à cette vignette où Alberto Fernández, qu’on reconnaît grâce à sa moustache grise, brandit cette pancarte qui dit : « Hey, je suis toujours là ! », pendant que le billet d’humour du jour, signé Alejandro Borensztein, annoncé en une et publié en page 2, clame : « Urgent : Sergio Massa confirmerait Alberto à la présidence ».
Extrait de l'édition imprimée de Clarín ce matin (page 2) Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Pour aller plus loin :
(1) La Balsa fait partie du corpus de chansons que j’ai présentées dans le texte original et avec ma traduction en français dans Deux cents ans après, le Bicentenaire de l’Argentine à travers le patrimoine littéraire du tango, Tarabuste Éditions, 2010.