Il aura donc fallu dix jours (après le KO debout des résultats du premier tour) et le quarantième anniversaire de l’élection de Raúl Alfonsín, le président du retour à l’ordre démocratique et constitutionnel, sans parler de nombreuses déclarations aberrantes et stupides au dernier degré de Patricia Bullrich, du candidat à la présidence Javier Mileí et de sa co-listière, candidate à la vice-présidence, Victoria Villaruel, une négationniste des crimes de la dictature militaire proche de Vox (l’extrême-droite xénophobe espagnole), pour que se forme (enfin) un front unique en vue de faire barrage à la candidature libertaire et néofasciste de celui-ci avec divers appels à voter pour Sergio Massa qui proviennent de tous les côtés de l’éventail politique argentin.
Depuis le début de la semaine,
des pétitions de toutes origines sont publiées en ligne et dans les
journaux. Des réunions publiques se tiennent désormais avec la
participation d’intellectuels et d’artistes connus pour leurs
prises de positions anti-péronistes antérieures. Ils sont désormais
très nombreux à argumenter en faveur du vote blanc et même, pour
certains et parmi les plus éminents, en faveur de la candidature de
l’actuel ministre de l’Economie en mettant en avant le bien de
l’État de droit en Argentine, le futur économique et politique du
pays, sa réputation à l’étranger et la démocratie. Il était
temps. Il est vrai que les Argentins n’ont que quarante ans de
recul en matière de vie démocratique. En Europe, nous avons une
plus longue expérience en la matière.
Une des leaders des mouvements
politiques qui forment ou formaient Juntos por el Cambio (JxC), la
sociale-démocrate Margarita Stolbizer, peu représentative sur le
plan électoral mais forte d’une honnêteté intellectuelle que
tout le monde peut lui reconnaître dans le combat politique, n’a
pas encore franchement appelé à voter pour Massa mais elle lui a
promis une coopération sans faute au Congrès si, élu le 19
novembre, il proposait une politique cohérente de développement
économique.
Le président de la société de fret ferroviaire a rappelé publiquement la catastrophe qu’a représenté pour le pays la privatisation du chemin de fer en Argentine sous Carlos Menem dans les années 1990, alors que Mileí a promis de tout reprivatiser. Il insiste sur la nécessité d’un fort investissement de l’État dans ce secteur, comme le montre l’expérience du développement partout dans le monde.
A La Plata, un conseiller
municipal de JxC a pris position publiquement contre le maire sortant
de sa propre couleur politique parce que celui-ci refuse de
reconnaître sa défaite devant son adversaire UxP (Unión por la
Patria) qui a pourtant bel et bien gagné l’élection, même si la
différence entre eux est seulement de quelques centaines de voix :
il l’accuse de porter atteinte à la démocratie en s’accrochant
ainsi à un pouvoir qu’il a perdu dans les urnes.
Le maire radicale d'une ville de la province de Buenos Aires appelle à voter Massa une de l'édition provinciale de Página/12 ce matin Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
De l’autre côté, à droite et chez les libéraux, respectables ou extrémistes, le spectacle est lamentable entre Mileí qui insulte la mémoire de Raúl Alfonsín, sa co-listière qui s’enferre dans ses calomnies contre les associations de victimes de la dictature militaire et Patricia Bullrich qui, en direct sur un plateau de télévision, a formulé très clairement il y a deux jours son souhait que l’économie de l’Argentine vole en éclats avant le second tour pour que cela profite à son poulain. Certes quelques minutes plus tard, elle s’est rendu compte de l’énormité de ses propos et elle a tenté de corriger le tir mais personne, même dans la presse de droite, ne croit à sa rectification. Ajoutez à cela qu’une autre négationniste, Cecilia Pando, plutôt jeune et très connue pour se battre bec et ongles afin de faire libérer les bourreaux de la dictature définitivement condamnés à de longues peines de prison, profite de l’occasion et du chaos pour reprendre du service en déclarant qu’elle espère la victoire de Mileí car elle devrait lui procurer l’élargissement de ses protégés.
Par-dessus le marché, Macri
introduit actuellement dans l’entourage de Mileí certains de ses
affidés, ceux-là même qui lorsqu’il était président ont monté
la politique économique désastreuse qui a conduit le pays dans un
nouvel endettement comme il n’en avait encore jamais subi et dans
lequel il est en train de se débattre pour éviter la noyage. Au
grand dam de l’équipe du candidat qui voit gros comme une maison
que cette monstrueuse erreur stratégique pourrait leur valoir la
défaite, et qui plus est avec des résultats des plus humiliants.
Or tout cela fleurit dans le débat public au moment même où l’ouverture des archives de la CIA permet de comprendre le rôle déterminant et terrible joué par les États-Unis dans la mise en place et le soutien dans la durée des dictatures qui ont ensanglanté l’Amérique du Sud dans les vingt dernières années de la guerre froide.
Pour aller plus loin :
lire l’article de La Prensa sur l’explosive énormité de Patricia Bullrich à propos de son rêve le plus cher
lire l’article de Clarín sur un ministre des finances de Macri qui se désolidarise des positions de pompier-pyromane de l’ancien président