mardi 21 novembre 2023

Espèce en voie d’extinction, TV Pública diffuse la série Mordisquito [à l’affiche]

Premier épisode, aujourd'hui à 23h30
Pour une haute résolution, cliquez sur l'image


Hier, le président élu a annoncé qu’il mettrait en œuvre son programme et qu’il le ferait d’un coup, sans mesure intermédiaire destinée à atténuer le choc et à permettre à tout le monde de s’adapter. Si le Congrès lui en laisse la possibilité (ce que sa nouvelle composition rend peu probable, d’autant que l’élu d’avant-hier ne veut pas d’une coalition de gouvernement), il commencera par privatiser YPF, la société publique centenaire qui exploite les gisements de pétrole en Patagonie et commercialise en Argentine les produits raffinés qui en sont issus (ça a déjà été fait dans les années 1990 au grand bonheur du pétrolier Repsol qui rapatriait tous les bénéfices en Espagne, comme au bon vieux temps des colonies). Les seconds sur la liste des condamnés sont les médias nationaux : l’agence de presse Telam et le groupe audiovisuel que forment TV Pública et Radio Nacional.

L'équipe du tournage au grand complet
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Ce que TV Pública va diffuser ce soir est donc l’une des toutes dernières productions que nous pourrons apprécier du service public argentin. Il s’agit d’une série de quatre épisodes d’un peu moins d’une heure chacun qui raconte, sur un mode romancé, les derniers mois de Enrique Santos Discépolo (1900-1951), le poète et compositeur génial de tangos comme Uno, Cafetín de Buenos Aires, Cambalache ou Chorra (1). Anarchiste convaincu toute sa vie, le poète finit, une dizaine d’années avant sa mort, par se laisser convaincre, comme presque tout le secteur tanguero de son époque (2), par le projet souverainiste et social de Juan Domingo Perón dont il servit la campagne électorale pour son deuxième mandat, en 1951. Dans ce cadre, il écrivit une série de conversations imaginaires avec un opposant dont on n’entend jamais les arguments et qu’il surnomme Mordisquito (ce qui sonne un peu comme « Mais c’est qu’il me mordrait ! »). Ces sketches, qui n’ont pas pris une ride, il les interpréta lui-même à la radio à laquelle seuls les partisans de Perón avaient alors accès pendant la campagne (3).

Les quatre interprètes principaux dans le décor
Au mur on reconnaît les portraits du couple présidentiel, Evita et Perón
(Je pense que le bas filé au premier plan a échappé au regard du service de presse)
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Mordisquito, a mí no me la vas a contar (Mordisquito, tu ne vas pas me la faire à moi !) est donc un travail éminemment péroniste, avec une reconstitution très fidèle des décors des années 1940-1950, et on n’est pas prêt d’en revoir de sitôt tant que le dingue occupera la Casa Rosada (4). Ce ne sont pas les médias privés qui iront dans ce sens. Si le groupe Octubre résiste économiquement à la tempête qui s’annonce, il sera bientôt le seul à s’y consacrer.

"Soutiens la sélection sur TV Pública", dit le gros titre
Aujourd'hui, à partir de 19h30
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

En première partie de soirée, la chaîne diffusera le match entre la Scaloneta et la Seleçao, qui se jouera au stade de Maracana, au Brésil. Tant qu’elle est encore en vie, TV Pública a en effet les droits de retransmission des matches de l’équipe nationale.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12
lire la présentation sur le site Internet de TV Pública
visiter la section de Todo Tango sur Enrique Santos Discépolo, pour découvrir l’ampleur du personnage.
Sur le sort des médias publics argentins :
lire l’article de La Prensa

Ajout du 29 novembre 2023 :
lire cet article de La Nación




(1) Une dizaine de ses textes, soit autant de classiques du répertoire, sont disponibles en version bilingue dans l’anthologie que j’ai publiée aux Éditions du Jasmin, Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins.

(2) On exclura de cette vague Osvaldo Pugliese qui resta toujours fidèle au parti communiste, lequel était hautement suspect aux yeux de Perón puisque suspecté non sans raison de recevoir ses ordres du Kremlin.
(3) Napoléon III faisait la même chose : seuls les candidats dits officiels, les siens, avaient le droit de tenir des réunions politiques. Sous De Gaulle et Pompidou, la France gardait encore bien des traits du Second Empire.
(4) Façon de parler car Mileí a fait savoir hier qu’il vivrait et travaillerait à Olivos, dans la résidence présidentielle de campagne, devenue la résidence habituelle du chef de l’État sous les Kirchner mari et femme, et qu’il ne mettrait pas les pieds à la Casa Rosada. Cela vaut peut-être mieux pour lui : cela lui évitera d’entendre, sur Plaza de Mayo, les cris des manifestants qui ne tarderont pas, avec autant d’insultes qu’il en a dites au cours de ses campagnes électorales, à lui exprimer leur mécontentement, dès la rentrée de mars et même peut-être avant, dès qu’ils auront constaté tout ce qu’ils ont perdu en l’ayant élu !