samedi 6 juin 2015

Contes animaliers d'Argentine : les apports du Vieux Continent [Disques & Livres]

Depuis le début mai et jusqu'au 20 juin 2015, mon prochain livre, Contes animaliers d'Argentine, est en souscription chez son éditeur, les Editions du Jasmin, au prix de 12 € frais de port compris.

La présentation "officielle" aura lieu
à la librairie du musée du Quai Branly le 4 août 2015
Le livre devrait aussi être présent à la dédicace du 4 juillet
à la librairie Ombres Blanches de Toulouse
(Cliquez sur l'affiche pour une meilleure résolution)

Il s'agit d'un recueil de 126 pages pour dix-huit contes traditionnels, d'origine orale et entièrement repris en français pour les mettre à la portée tout à la fois des adultes et des enfants. Le livre est illustré par Jimena Tello, elle-même Argentine vivant à Buenos Aires où elle enseigne son métier.

* * *

Après une présentation générale du livre (illustrée par la reproduction de la table des matières) et deux autres articles, pour aborder successivement le monde animal argentin et ses enjeux puis les apports des peuples originaires à cet imaginaire national (tous les articles sont rassemblés sous le mot-clé PO dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search), voici la contribution de l'Europe à ce patrimoine sud-américain.
Elle se divise en deux branches : la religion et la littérature.

Les Fables d'Esope en espagnol
publiée entre 1787 et 1799 à Madrid
Document extrait du fonds scanné de la Bibliothèque nationale d'Espagne

Dans ces contrées, le catholicisme s'est présenté sous deux formes diamétralement opposées :
  • l'une, violente et traumatique, fut celle des colons laïcs animés d'un sordide appât du gain,
  • l'autre, beaucoup plus pacifique et respectueuse, fut celle des congrégations et des ordres religieux lorsque l'évangélisation a été laissée à leur initiative. Et en Argentine, dans les temps coloniaux, l'ordre le plus influent aura été la Compagnie de Jésus, dont l'expulsion en 1767 reste encore aujourd'hui un désastre dans le souvenir populaire (1).

Deux contes relèvent de cette influence : Le baptême du perroquet, un conte de la province de Santiago del Estero, dans le nord-ouest du pays, et Le meilleur ami du chien, un conte du Litoral et plus précisément encore de la province de Misiones (pour vous aider à vous repérer géographiquement, le recueil s'ouvre sur une très jolie carte de l'Argentine, pleine page, ornée des mêmes animaux aux bouilles expressives que le lecteur retrouvera tout au long de sa lecture).

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Le baptême du perroquet (2) est une aimable bouffonnerie dont l'humour repose sur l'absence de discernement chez un volatile aussi chatoyant que bavard. L'une des sources du conte pourrait bien se trouver dans cet anarchisme chrétien qui fut si présent parmi les gauchos itinérants de la fin du XIXème siècle (3). Une autre source pourrait être le peu de goût de plusieurs peuples amérindiens pour l'organisation très pyramidale et hiérarchique de l'Eglise catholique si peu compatible avec leur culture que les 40 000 Qoms qui vivent toujours dans ce vaste Nord-Ouest sont maintenant passés à 90% aux évangélistes. Mais il ne s'agit là que d'hypothèses et ce conte se lit très bien sans elles.

Pour ce qui est de Le meilleur ami du chien, il est assez difficile d'en parler sans déflorer le sujet et surtout la chute. Qu'il me suffise de dire qu'on y voit gros comme une maison l'influence du catéchisme que les jésuites faisaient aux Guaranis en leur racontant la Genèse dont deux éléments se retrouvent dans le conte : la Création du monde en sept jours (Gn, ch. 1 jusqu'à 2, v. 4) et le combat de Jacob avec l'Ange au gué de Jaboc (ch. 32, vv. 25-31) avec un pointe d'Abraham pour pimenter le tout (l'appel d'Abraham et son envoi en Canaan, Gn, ch 12, vv 1-4). Les trois épisodes sont allègrement mélangés et il s'y ajoute comme une cerise sur le gâteau l'apparition de l'homme, déjà équipé de son fusil, qui pourrait bien être la trace de la surprise des Amérindiens lorsqu'ils virent s'installer sur leurs terres comme chez eux d'autres hommes avec toute leur organisation sociale et leur technologie (4). Or ils se trouvent que lorsque les coloniaux espagnols s'emparèrent des territoires jésuites, entre 1767 et 1773, ils n'hésitèrent pas à traiter de chiens les Indiens. Or il est fréquent en Argentine que les victimes s'emparent des termes avec lesquels on les stigmatise et les renversent en les revendiquant avec fierté (5). Tant et si bien que le chien en question pourrait bien représenter le peuple m'bya (que les Blancs appellent Guaranis depuis le XVIIème siècle).

La cigale et la fourmi, sous la plume de Felix Samaniego (1832)
Fonds scannés de la Bibliothèque nationale d'Espagne

A côté de cette influence du christianisme, on trouve dans ces contes des influences littéraires venues elles aussi d'Europe :

Les fables d'Esope revues par divers traducteurs espagnols et passées également sous la plume de notre Jean de La Fontaine, dont les livres, en français, connurent un grand succès outre-Pyrénées. Le français était jusqu'au moins la moitié du XIXème siècle une langue très répandue en Europe et ces fables furent commandées au poète par le roi Louis XVI pour servir à l'éducation du Grand Dauphin dont le fils, le duc d'Anjou, est devenu roi d'Espagne en 1700, à l'âge de 17 ans, sous le nom de Felipe V ;

Le Roman de Renart, compilation anonyme et parodique remontant au XIIème siècle qui raconte, en parodiant le roman de chevalerie, les aventures du Sieur Renart, le goupil, et de son compère Ysengrin, le loup, et quelques autres comparses, que l'on retrouve dans nos contes argentins, à cette différence près qu'ils ont parfois empruntés les traits d'animaux américains (6). C'est ainsi que dans Un jour de sécheresse (conte de la province de Entre Ríos), notre ami Ysengrin s'est métamorphosé en félin. Et encore n'ai-je pas choisi la version qui fait du canidé le neveu du jaguar exactement de la même façon que le Renart du Roman y figure comme neveu d'Ysengrin...

Et quelques recueils de fables de la fin du XVIIIème et du début du XIXème siècle, rédigés en Espagne dans un but ouvertement pédagogique à l'époque où l'Europe des Lumières puis de la révolution industrielle, et l'Argentine à son exemple, envisageait de rendre l'instruction publique, un courant qui déboucha dans les vingt dernières années du siècle un peu partout sur l'instauration d'une école obligatoire pour tous (en 1883 en Argentine) : ces auteurs s'appelaient, entre autres, Tomás de Iriarte (dont le recueil a été publié à Madrid pendant la Révolution française, au tout début du règne de Carlos IV) (7) et plus tard, en 1832, Felix María Samaniego. Leurs œuvres ont formé les premières générations de maîtres de l'école publique laïque argentine, celle de Sarmiento (8). Or il sautera aux yeux de tous les lecteurs de Berta Elena Vidal de Battini, dont le travail de recension de la tradition orale m'a servi de source, que bien des conteurs qu'elle a enregistrées au cours de ses nombreux périples dans les campagnes argentines étaient des instituteurs et des institutrices, les uns en activité, les autres à la retraite.

C'est ainsi que vous reconnaîtrez sans peine une fin bien connue d'une fable de La Fontaine dans Le tigre joué (Chaco) (9) ou dans Le caïman amoureux (Corrientes). Les deux vous rappelleront, chacun à sa manière, une certaine histoire de fromage.

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Là, ce serait plutôt une histoire d'empanadas !
On est à Salta (il faut ce qu'il faut)

Ces influences jouent donc sur le contenu de l'histoire. Elles peuvent aussi le faire sur le vocabulaire. Malheureusement, il ne m'a pas toujours été possible d'en tenir compte, cela m'aurait parfois conduite à mettre le livre hors de portée des enfants d'aujourd'hui, qui seraient peut-être embarrassés devant un "Hé ! bonjour mon compère le renard !" (certains adultes pourraient eux aussi être désarçonnés par un excès d'archaïsmes). J'ai toutefois pu conserver la formulation qui revient aussi souvent que notre Il était une fois : "C'était du temps où les animaux parlaient", qui descend tout droit du livre de Tomás de Iriarte : Cuando hablaban los Brutos (quand les bêtes parlaient).

Première fable de Tomás de Iriarte
(L'éléphant et les autres animaux)
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C'est ainsi que les conteurs argentins ont élaboré un corpus tout à fait original qui vient donner forme à l'imaginaire collectif national : ils ont croisé et recroisé ces deux apports continentaux, celui des peuples précolombiens et celui des peuples d'Europe, tout en y ajoutant l'observation très juste des mœurs des animaux, ce dont nos fabulistes urbains auraient été bien en peine de tenir compte, et en les adaptant aux réalités concrètes de leur vie, à leurs climats, leur géographie, leur histoire et leurs usages si typiquement sud-américains.

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Contes animaliers d'Argentine
est en souscription jusqu'au 15 juin 2015
avant sa sortie en librairie à la fin du printemps.
Prix : 12 € frais de port compris,
en offre de lancement.

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Nous pourrons en parler de vive voix sur le Marché de la Poésie où il est prévu que je fasse deux dédicaces, le vendredi 12 juin de 11h30 à 13h et le samedi 13 juin de 16h30 à 18h30.
Vous en entendez parler aussi dans l'émission animée par Serge Davy C'est pas à moi que tu vas faire écouter ça, qui est disponible en ligne sur le site Internet de Tempo Tango, l'association de tango de Caen, accessible également à partir des pages Radio de mon site Internet.

ATTENTION : il était prévu une présentation de ce livre le mardi 23 juin 2015 au Café de la Mairie, annonce que j'avais commencé à diffuser lorsque fin avril l'organisateur avait confirmé à mon éditeur cette date retenue depuis décembre. Depuis, sans préavis ni négociation préalable, ce même organisateur a attribué cette date à un autre écrivain, un autre thème et un autre éditeur, or l'info avait déjà été partagée par les Internautes, preuve de leur intérêt, ce dont je les remercie ici. Cette date n'est pourtant plus valable. La toute première présentation du livre devrait avoir lieu à Toulouse lors d'une séance de dédicaces à la librairie Ombres Blanches, au Festival Tangopostale, le 4 juillet 2015 à partir de 14h. Une seconde signature se tiendra à la librairie du musée du quai Branly à Paris, le 4 août à partir de 14h également. Ce sera la présentation officielle.

Pour aller plus loin :
découvrez la collection Contes d'Orient et d'Occident sur le site des Editions du Jasmin
lisez les pages consacrées à ce sixième ouvrage sur mon site Internet
lisez les autres articles de Barrio de Tango, rassemblés sous le mot-clé Contes A Arg.
Les articles concernant les peuples originaires ont pour mot-clé PO dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.


(1) Par la suite, dans l'Argentine indépendante, ce sont les salésiens de saint Jean Bosco qui ont marqué le pays de leur empreinte, notamment en Patagonie après la Conquête du Désert, dans le troisième tiers du XIXème siècle. Ce sont eux qui ont formé le bienheureux Ceferino Namuncurá dont j'ai eu l'occasion de vous parler à quelques reprises ici (voir à ce propos le mot-clé PO, qui rassemble les articles concernant les Peuples Originaires).
(2) Comme je l'ai déjà dit dans mes articles précédents, les titres des contes sont de mon invention. Les conteurs traditionnels n'ont pas besoin de titrer leurs contes. Le titre n'est un besoin que pour le livre et la table des matières qui va avec...
(3) A ne pas confondre avec l'anarchisme russe qui s'est répandu dans les ville argentines avec les immigrants de 1880. Il est probable que les deux anarchismes ne se rencontrent pas ici eu égard au fait que le sacrement lui-même n'est jamais ridiculisé. Ce que dont les anarchistes européens ne se seraient pas privés. Mais s'ils peuvent trouver un public dans les villes où la pratique s'émousse, il n'en va pas de même dans des provinces qui restent très attachées à la religion comme c'est le cas du Nord-Ouest argentin.
(4) Cette même rencontre traumatique avec l'homme blanc sur-armé se retrouve sans doute dans le conte Don Leoncito, le petit puma qui était déjà presque grand (Río Negro), donc à l'autre bout du pays.
(5) Cette insulte existe encore aujourd'hui. On la retrouve parfois dans les letras de tango comme dans Palermo où la perrera (le chenil) est ce coin de tribune de l'hippodrome où s'agglutine le peuple, les pauvres, qui n'ont pas assez d'argent pour s'acheter les belles places des tribus patriciennes. C'est aussi avec le même procédé que le poète Homero Manzi parlait dans les années 30 de Nobleza de Arrabal (noblesse de la zone) ou Héctor Negro se dit aujourd'hui Bien de abajo (Bien d'en bas), une letra à retrouver dans Deux cents ans après, le Bicentenaire de l'Argentine à travers le patrimoine littéraire du tango (Tarabuste Editions).
(6) Sous le Second Empire et la IIIème République, le Roman de Renart revint à la mode pour les besoins de l'instruction publique. De France, il est tout à fait susceptible d'avoir atterri en Argentine où l'école primaire devint obligatoire en 1883 (de six à douze ans). Il y aurait un très joli travail de recherche historique à faire sur l'adoption par les Argentins du matériel scolaire développé en France et en Grande-Bretagne dans ces années fondatrices qui correspond aussi à celles du premier fabuliste littéraire argentin, un Français du nom de Godofredo Daireaux (Paris, 1839 – Buenos Aires, 1916), lui-même tout imprégné de La Fontaine. Ce fut là une époque où l'influence culturelle française est à son apogée : c'est l'époque où le père lazariste Jorge María Salvaire (Castres, 1847-Luján, 1899) promeut le sanctuaire de Luján et invente le pèlerinage sur le modèle de celui de Chartres, où le paysagiste Carlos (Charles) Thays (Paris, 1849-Buenos Aires, 1934) pare Buenos Aires et d'autres grandes villes argentines de parcs qui font aujourd'hui encore leur fierté, où Paul Groussac (Toulouse, 1848 – Buenos Aires, 1929) se penche sur l'histoire de l'Argentine et l'écrit pour les besoins des enseignants, pour ne citer que ces trois noms. Dans les années 1840 déjà, les autorités chiliennes avaient envoyé Domingo Sarmiento (1811-1888) étudier en Europe, à Londres et à Paris, les systèmes scolaires en vigueur, alors qu'il s'était exilé à Santiago pour fuir les deux décennies que dura la dictature de Juan Manuel de Rosas (1835-1852).
(7) Dans la dernière année que San Martín passa comme cadet au régiment de Murcie, avant de gagner ses premiers galons sur le front pyrénéen contre l'armée de la République de l'An II.
(8) L'école de Sarmiento est à l'Argentine ce que l'école de Jules Ferry est à la France.
(9) C'est l'une des particularités de ces contes argentins que bien souvent les animaux américains y sont désignés par des noms que les Européens connaissaient déjà, soit par observation soit par des récits mythiques : ainsi le puma devient un lion, le nandou une autruche et le jaguar un tigre. La ville de Tigre, au nord-ouest de Buenos Aires, doit son nom au jaguar qui colonisait le delta du Paraná au XVIIe et XVIIIe siècle, où il fut chassé jusqu'au milieu du XIXe siècle pour la beauté de sa peau, dont on faisait des trophées, des tapis de luxe et autres ornements exotiques. Dans l'une de ses lettres à sa fille et son gendre, qui sont alors à Buenos Aires, on voit le général San Martín leur demander de lui en rapporter une à Paris, si toutefois ils ont la possibilité d'en trouver, et nous sommes alors au début des années 1830.