Nota bilingüe
Planète Terre est une émission de
France Culture (Radio France) sur les enjeux géographiques et
géologiques de notre temps : avant-hier, mercredi 6 janvier
2016, l'émission se penchait sur les défis qu'ont à relever le
secteur de la viticulture face au changement climatique. Les invités
s'y sont intéressés, de façon insistante, à ce qu'il se passe
dans le vignoble mendocin, bien séparé, par la barrière
montagneuse et l'étendue continentale, des influences tempérées de
l'un et l'autre océans, situé qu'il est depuis trois siècles dans
le semi-désert qui occupe le côté occidental des Andes.
Les phénomènes climatiques y mettent
en effet la viticulture à rude épreuve dans cette Province
argentine qui a fait du vin une part essentielle de sa jeune
identité, la capitale provinciale n'hésitant pas à se présenter
comme La Capital mundial del Vino (excusez du peu !).
Les invités de Sylvain Kahn, Hervé
Quenol du CNRS et Benjamin Bois de l'Université de Bourgogne,
présentent au micro, pendant un peu moins d'une heure passionnante
et fluide, les différents défis auxquels font face les vignerons
face au réchauffement de la planète. Et c'est assez rare sur un
média français pour être remarqué, ce qui est dit de la réalité
vécue en Argentine est très juste. Voilà pour une fois des
spécialistes fort bien informés, puisque leurs propos correspondent
à ce que l'on peut observer sur place, dans ce pays en stress
hydrique récurrent et croissant alors que l'irrigation a toujours
été un enjeu de première importance dans la vie locale.
Par ailleurs, quelques heures plus
tard, sur la même modulation de fréquence, Du grain à moudre s'est
penché sur le choix qui ne va pas tarder à s'imposer aux vignerons
français à la suite d'une nouvelle régulation européenne qui
entre en vigueur ces jours-ci et qui pourrait mettre en danger notre
notion de terroir, si importante dans notre culture œnologique : "L'avenir de la viticulture française passe-t-il par le vin de
table ?"
Ayer en la radio pública, se difundió
un programa de la radio sobre el cambio climático en el sector
vitivinicola por todo el planeta. Uno de los ejemplos expuestos por
los invitados, dos distinguidos especialistas e investigadores,
resulta ser lo que está pasando en la Provincia de Mendoza. Se trata
del concepto de terruño, un concepto nuevo en la Argentina, bastante
antiguo en Francia, los problemas del riego y la escasez de agua y
las adaptaciones en la actualidad para fomentar un futuro
sostenible... También se habla de la situación en Francia y algunos
otros paises... todo en francés. Se escucha haciendo clic acá.
El mismo día, se difundó otro
programa, Du grain à moudre, sobre una cuestión pendiente para todo
el sector en Francia : el desarrollo de distintos niveles de
calidad enológica frente al mercado nacional e internacional. Muy
interesante también pero ¡ahí
no se habla de la Argentina!
Museo provincial Las Bovedas, à San Martín (Mendoza) tel qu'il a été restauré en 2014-2015 |
Au sujet du vin à Mendoza, il est une
anecdote dont se régalent tous les Argentins qui veulent aborder le
sujet en y mettant une touche d'histoire ou d'érudition, à moins
que ce ne soit un peu de prestige épique ! Non pas qu'elle soit
connue de tous, loin de là, mais les chroniqueurs en usent beaucoup
et en abusent souvent. Alors, comme ce blog est francophone et que
notre partie du monde n'est pas saturée d'information à ce sujet,
je m'en vais vous la conter. Il s'agit d'un des nombreux coups de
pouce que le général José de San Martín, y compris après son
retrait de la vie publique, voulut donner au vin de Mendoza, dont il
s'efforçait de développer la production et le commerce, y voyant
l'une des conditions de l'indépendance nationale d'un pays nouveau
qui n'avait encore que peu d'activités de transformation. Et c'est
l'un de ses proches, le colonel Manuel de Olazábal, qu'il aimait
comme un fils (et c'était réciproque), qui nous en a laissé le
souvenir, dans des mémoires qui ne furent publiées qu'en 1942.
Souffrant encore d'une maladie qui l'a
saisi à Santiago en octobre 1822 alors qu'il rentrait du Pérou, où
il venait de démissionner de la charge de premier Chef d'Etat de la
toute jeune république fondée un an plus tôt (1), San Martín, qui
n'a pas encore de logis personnel en ville, s'est installé, comme
c'est la coutume du temps, chez la veuve d'un ancien gouverneur
révolutionnaire de Montevideo, doña Josefa Huidobro, chez qui il
reprend des forces tout en préparant, de loin en loin, sa vaste
propriété agricole (chacra) de Los Barriales (2), à la campagne,
où il compte bien faire venir, dès qu'un semblant de paix civile se
fera jour, sa femme et sa fille, qui vivent alors à Buenos Aires,
chez sa belle-mère. Manuel Olazábal, qui, à 23 ans, est déjà un
ancien de l'Armée des Andes (3), lui sert alors d'officier
d'ordonnance.
Durante su permanencia en Mendoza,
llegaron allí de Chile y de tránsito para Buenos Aires, un señor
Mosquera, colombiano, y don Antonio Arcos, antiguo jefe de ingenieros
en el Ejército de los Andes.
Uno de los muchos días que comía con
el General, lo hallé en su dormitorio con una pequeña imprenta
sobre la mesa, y cuatro botellas de vino, timbrando unos papelitos,
como los que traen los licores.
En el momento que entré, me preguntó:
-¿A que no adivina Ud. lo que estoy
haciendo?
-No, señor- le respondí.
-Pues vea Ud., cuando invadimos a
Chile, en 1817, dejé en mi chacra unas cincuenta botellas de vino
moscatel de uno riquísimo que me había regalado don José Godoy.
Por supuesto que lo que menos recordaba era esto, pero ahora ha días
don Pedro Alvíncula Moyano, que como Ud. sabe corre con la chacra,
me trajo una docena de estas botellas, refiriéndose al depósito que
su honradez, me había conservado. Hoy tendrá a la mesa a Mosquera,
Arcos y Ud., y a los postres pediré estas botellas y Ud. verá lo
que somos los americanos, que en todo damos la preferencia al
extranjero. A estas botellas de vino de Málaga, les he puesto de
Mendoza, y a las de aquí, de Málaga.
Efectivamente, después de la comida,
San Martín pidió los vinos diciendo: “Vamos a ver si están
ustedes conformes conmigo sobre la supremacía de mi mendocino”.
Se sirvió primero el de Málaga con el
rótulo Mendoza.
Los convidados, dijeron a más que era
un rico vino, pero que le faltaba fragancia.
En seguida, se llenaron nuevas copas
con el del letrero Málaga, pero que era de Mendoza.
Al momento prorrumpieron los dos
diciendo: “¡Oh, hay una inmensa diferencia, esto es exquisito, no
hay punto de comparación!”
El General soltó la risa, y les lanzó:
“Ustedes son unos pillos, que se alucinan con el timbre”. Y en
seguida les contó la trampa que había hecho.
Memorias del Coronel Manuel de
Olazábal, Buenos Aires, 1942
Alors qu'il séjournait à Mendoza,
arrivèrent du Chili et en route pour Buenos Aires, un Colombien, un
certain monsieur Mosquera, et don Antonio Arcos, ancien ingénieur en
chef de l'Armée des Andes.
L'un de ces nombreux jours où je
déjeunais avec le général, je le trouvai dans sa chambre, avec une
petite presse d'imprimerie et quatre bouteilles de vin sur la table,
occupé à apposer des sceaux sur des étiquettes telles qu'en
portent les liqueurs.
Au moment où j'entrais, il
m'interrogea :
- Je suis sûr que vous ne devinez pas
ce que je suis en train de faire !
- En effet, non, monsieur, lui
répliquai-je.
Eh bien, voyez-vous, quand nous sommes
partis au Chili en 1817 (4), j'ai laissé dans ma chacra une
cinquantaine de bouteilles d'un fameux Moscatel que m'avait offertes
don José Godoy (5). Bien entendu, cela m'était sorti de la tête
mais il y a quelques jours maintenant, don Pedro Alvíncula Moyano
(6), qui, comme vous le savez, s'occupe de la chacra, m'a apporté
une douzaine de ces bouteilles qui viennent de ce dépôt que son
sens de l'honneur m'a permis de conserver. Aujourd'hui, j'aurai à
table Mosquera, Arcos et vous, et au dessert, je ferai venir ces
bouteilles et vous verrez comment nous sommes, nous les Américains :
en toute chose, nous donnons la préférence à ce qui vient de
l'extérieur (7). Sur ces bouteilles de Málaga, j'ai mis des
étiquettes de Mendoza et sur celles-ci, des étiquettes de Málaga.
Et en effet, après le repas, San
Martín fit venir les vins en disant : Nous allons voir si vous
êtes d'accord avec moi sur la suprématie de mon cher vin de Mendoza
(8).
On servit d'abord celui de Málaga avec
l'étiquette de Mendoza.
Les convives dirent qu'il fallait bien
reconnaître que ce vin n'était pas mauvais mais qu'il manquait de
bouquet.
On remplit sur le champ de nouveaux
verres (9) avec celui qui portait l'étiquette de Málaga mais qui
était de Mendoza.
Aussitôt les deux s'exclamèrent :
Oh, il y a une immense différence. Celui-ci est exquis. C'est sans
comparaison !
Le général éclata de rire et leur
lança : Vous êtes deux fieffés filous. C'est le sceau sur
l'étiquette qui vous fait divaguer ! Et il leur raconta
aussitôt le tour qu'il leur avait joué.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)
Les anecdotes ne manquent pas qui nous
montrent ce San Martín méconnu : un homme plein d'humour,
cordial et ne se prenant pas au sérieux... Voilà donc pour
accompagner les vins que France Culture nous a servis dans de
superbes verres ! Et il est probable que ce tour pourrait être joué avec autant de succès à beaucoup de Français qui aimeraient briller en société...
Nos sobran estas anécdotas que nos
enseñan a ese San Martín cordial, con tanto humor. Una lástima que
no se conocen como se lo merece.
Para escuchar una charla que brindé
en Buenos Aires en agosto del 2014 sobre esos aspectos del personaje,
hacer clic acá (10). También se pueden escuchar en linea varias notas radiales.
Escuchar / Ecouter Planète Terre (Le
vignoble au temps du changement climatique)
Escuchar / Ecouter Du grain à moudre
(L'avenir de la viticulture française passe-t-il par le vin de
table)
Pour aller non pas plus loin mais
ailleurs :
lire l'article que La Nación consacre
ce matin au tourisme œnologique qui montre le bout de son nez à Mar
del Plata, à quelques kilomètres de la mer et à une latitude plus
sudiste que Mendoza !
(1) D'après le peu qu'on en voit
décrit, cette maladie ressemble fort à ce qu'on appelle aujourd'hui
un burn-out.
(2) La chacra en tant que telle
n'existe plus. Elle a été détruite par le tremblement de terre qui
a sinistré la région le Jeudi Saint 1861 dans la soirée. D'elle il
n'y a plus qu'une maison, reconstruite après 1861 et entourée d'un
parc, en pleine ville. Cette ville qui a été dessinée par San
Martín lui-même pendant ce séjour de 1823 et qui, sur décision du
gouverneur de l'époque, porte son nom. Elle est située à une
quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Mendoza. Celle qui a été
rebâtie n'évoque que de très loin la bâtisse que San Martín a
connue avec cinq coupoles. Le musée Las Bovedas a été réaménagé
l'année dernière, rénové, modernisé (voir mon Retour sur images
d'octobre 2014).
Outre son architecture, il expose quelques souvenirs
relatifs au premier propriétaire, différents outils agricoles et
des documents sur l'histoire de cette région.
(3) L'Armée des Andes est le nom du
corps expéditionnaire que San Martín a constitué de 1814 à 1816
pour reprendre le Chili tombé en octobre 18147 aux mains des
contre-révolutionnaires. L'Armée des Andes s'est ébranlée en
janvier 1817 et elle a reconquis le Chili par la victoire de
Chacabuco le 12 février 1817 (voir à ce propos les trois articles de Barrio de Tango que j'ai consacrés à cet événement fondateur, le premier en novembre 2012 pour
présenter San Martín à rebours des conquistadors puis deux entrées publiées sur ce blog en février 2014, l'une sur l'analyse dressée en juin 1817 par Le Journal des Débats à Paris et l'autre sur celle d'un hebdomadaire de jeunesse argentin).
Sur Chacabuco, il est aussi possible d'écouter en
ligne la conférence que j'ai donnée en novembre 2015 à la Société
d'histoire de Gretz-Armainvilliers.
(4) San Matín emploie le verbe invadir
(envahir).
Pour des raisons qui tiennent à l'histoire de France, je
ne peux me résoudre à traduire ainsi. Il s'agissait d'une entrée
authentiquement libératrice. Je ne peux donc pas employer un verbe
qui a en français une résonance belliqueuse, surtout quand on sait
que les forces pétainistes parlaient de l'invasion de la France par
les Alliés pour se référer au débarquement du 6 juin 1944. Et
comme la traversée des Andes est à l'Amérique latine ce que le
D-Day est à l'Europe !
(5) Le père du député constituant
Tomás Godoy Cruz qui a donné son nom à l'ancien village de San
Vicente, au nord de Mendoza, aujourd'hui rebaptisé Godoy Cruz, où
j'ai donné l'année dernière une conférence devant une partie du
conseil municipal (voir mon article du 19 octobre 2015).
(6) C'est à cette personne de
confiance que San Martín a continué de confier sa chacra lorsqu'il
est parti pour l'Europe quelques mois plus tard. Dans San Martín parlui-même et par ses contemporains, j'ai glissé une lettre qu'il lui
a envoyée depuis son exil. Elle nous le révèle très intéressé
par l'exploitation agricole de cette propriété et très
proche de ce monsieur et de toute sa famille sur le plan de l'affection humaine. Quant à Josefa Huidobro, il lui avait laissé
des objets personnels, dont ses armes, en particulier ce cimeterre
qu'il avait acheté à Londres en 1811, qui l'avait accompagné tout
au long de l'épopée libératrice et qui est aujourd'hui exposé au
Museo Histórico Nacional, à Buenos Aires (après plusieurs
décennies d'exposition dans le grand hall de la caserne des
Grenadiers à cheval).
(7) Cela l'agaçait prodigieusement.
Et c'est toujours vrai de nos jours.
(8) Je fais l'hypothèse ici que le mi
est affectif et non pas possessif. Je ne pense pas qu'il s'agisse du
vin qu'il produit lui-même. D'abord parce que ses invités
n'auraient sans doute pas répondu comme ils l'ont fait. Ensuite
parce que pour ce que j'ai pu en voir, il ne me semble pas qu'il y
ait eu de la vigne à sa chacra qui se partageait entre du
maraîchage, des vergers et de l'élevage de bovins et de chevaux.
Peut-être y avait-il une production de fromage. Et il est sûr qu'il
y avait vente de cuir. Ce qui est certain, c'est qu'en partant, il
avait donné instruction à Alvíncula de répartir entre les pauvres
de quoi subvenir à leurs besoins alimentaires sur les produits de la
chacra, ce dont s'acquittait cet honnête délégataire tout en
s'étouffant de rage en constatant que les bénéficiaires venaient
chercher leur colis comme s'il s'agissait d'un dû, sans manifester
la moindre gratitude à l'égard du général en exil.
(9) L'expression est ambiguë. Il peut
s'agir d'un nouveau jeu de verres ou de remplir à nouveau les mêmes verres, si tant est qu'ils aient tout bu ! Il faudrait que j'en connaisse davantage sur les usages de table de l'époque, à Mendoza, pour traduire
avec plus de certitude.
(10) El 3 de febrero próximo, tengo
previsto poner en linea otra charla, la que brindé en la biblioteca
popular Ricardo Rojas, en el predio de las Bovedas, en San Martín
(Mendoza).