Profil Facebook de Claudio Avruj |
Avant-hier, le Secrétaire d'Etat aux
Droits de l'Homme et au pluralisme culturel de la Nation (son titre
complet), Claudio Avruj, a reçu l'association des familles de victimes de la
guerrilla des années 1970, victimes civiles et militaires, qui ont
été abattues par les mouvements de lutte armée, qu'il s'agisse
d'une résistance en faveur de la démocratie ou d'une lutte
d'inspiration révolutionnaire, qu'il s'agisse de courant stalinien,
trotskiste, maoïste ou cubano-guévariste.... C'est la première fois
en quarante ans que ces personnes sont reçues au niveau
institutionnel.
L'association en question est
passablement hostile aux autres ONG qui défendent, quant à elles,
la mémoire des victimes des crimes d'Etat, de ce qu'elles désignent
comme le terrorisme d'Etat, et la tenue de procès contre les
criminels en question, qui ont impliqué l'appareil de l'Etat avec
une répression qui violaient les engagements internationaux de
l'Argentine.
Les deux causes ont donc des fondements
juridiques très différents. Néanmoins, la souffrance psychique de
ces victimes de la violence politique est très comparable et cela
peut entretenir une certaine confusion que cherche à exploiter
l'association en question, le CELTYV (un sigle qui cache une
dénomination équivoque, Centre d'Etudes Légales sur le Terrorisme
et ses Victimes), en affirmant qu'il est injuste qu'elle n'ait pas
bénéficié du même traitement que les autres, en face. Le CELTYV a
d'ailleurs poussé le mimétisme jusqu'à élire à sa tête une
femme, de sorte à présenter un visage très similaire à celui de
Abuelas, Madres, Madres Linea Fundadora ou Familiares de
Desaparecidos y Detenidos.
Dans les heures qui ont suivi cette
réunion piégeuse, Claudio Avruj a accepté de répondre à quelques
questions de Página/12, dont le lectorat est très susceptible de
prendre fort mal cette marque d'égard envers une organisation qui
traite les disparus de la Dictature d'agitateurs subversifs. Dans ses
réponses, le Secrétaire d'Etat a donc pris soin de souligner les
différences de traitement entre cette association et les autres,
celles qui militent pour les droits de l'Homme et défendent une
conception démocratique de l'Argentine sur la base de la Déclaration
Universelle des droits de l'Homme de 1946.
Extraits
“Fue una reunión pedida por ellos y
nuestra política, igual que en la gestión en la ciudad, es recibir
a todos los que piden audiencia. Veníamos de una polémica porque me
criticaron cuando repudié la liberación de militares en Entre Ríos
y La Pampa, por lo cual les planteé de entrada la decisión y el
compromiso de la Secretaría de Derechos Humanos en el proceso de
lesa humanidad y en el cumplimiento de las penas. No me muevo ni un
ápice de ahí”, señaló Avruj a Página/12.
Página/12
"La rencontre s'est tenue à leur initiative et notre politique, comme on l'a fait à Buenos Aires (1),
c'est de recevoir tous ceux qui demandent audience. On sortait d'une
polémique parce qu'ils m'ont critiqué quand j'ai condamné la
libération de militaires dans les provinces de Entre Ríos et La
Pampa (2). Et c'est pour ça que d'emblée, j'ai affirmé le ferme engagement du secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme dans le processus [de répression judiciaire] contre les crimes
contre l'Humanité et [le caractère effectif] des peines prononcées.
Je n'en retire pas un iota", a déclaré Avruj à Página/12.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)
“No pidieron nada en concreto, sólo
me presentaron un libro, me comentaron sobre la charla que dieron con
(Elisa) Carrió y (Graciela) Fernández Meijide, y plantearon que
para ellos es un problema la invisibilización de los casos de
civiles asesinados. Agradecieron el hecho de ser recibidos porque
nunca habían sido atendidos. Pero no se asumió ningún compromiso,
en absoluto”, aseguró Avruj, y apuntó que la ONG pedirá
entrevistas con otros funcionarios del gobierno de Mauricio Macri.
Página/12
"Ils n'ont rien demandé de concret, ils
se sont contentés de me présenter un livre, ils m'ont parlé de la
conférence qu'ils ont donnée avec Elisa Carrió et Graciela
Fernández Meijide (3) et m'ont fait savoir que pour eux, c'était un
vrai problème que les cas de civils
assassinés n'aient aucune visibilité. Ils m'ont remercié de les avoir reçus parce qu'on ne les a jamais écoutés. Mais il n'a été pris aucun
engagement, absolument aucun."
(Traduction © Denise Anne Clavilier)
–¿Se habló sobre los juicios por
delitos de lesa humanidad en curso?
–No, no, porque les planteé nuestra
posición de entrada, fui claro y categórico.
Página/12
- A-t-il été question des procès pour
crimes contre l'humanité en cours ?
- Non, non, parce que je leur ai affirmé notre position d'emblée, j'ai été clair et catégorique.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)
–Después de la reapertura de los
juicios hubo intentos de reabrir causas por asesinatos y otros
delitos comunes en los años 70, que fueron rechazados por jueces y
fiscales, bien porque ya había habido condenas, bien porque ya
habían prescripto. ¿Le hablaron de la batalla que libran por la
imprescriptibilidad de esas causas?
–No, no plantearon el tema.
Página/12
- Après la réouverture des procès, on
a tenté de rouvrir des dossiers pour des assassinats et d'autres
crimes de droit commun [commis] dans les années 1970, ce qui a été
rejeté par des juges et des parquets, soit parce qu'ils [avaient
déjà fait l'objet de] condamnations, soit parce qu'ils étaient
prescrits. Vous ont-ils parlé de la bataille qu'ils livrent pour que
ces causes deviennent imprescriptibles ? (4)
- Non, ils n'ont pas abordé le sujet.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)
–¿Y cuál es la posición de la
actual Secretaría?
–No hay posición tomada, no es tema
de análisis. Pero no hay cambio de rumbo.
Página/12
- Et quelle est la position du
Secrétariat d'Etat actuel ?
- Il n'y a pas de position à prendre, ce
n'est pas un sujet de discussion. Parce qu'il n'y a pas de changement
de politique là-dessus.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)
–El Celtyv celebró que “por
primera vez en 30 años de democracia un funcionario nacional recibe
a la ONG de las víctimas del terrorismo”. ¿Lo enorgullece el
reconocimiento?
–No, mi política fue siempre atender
los reclamos de la sociedad, así recibí a los pueblos originarios y
a los familiares de víctimas de Cromañón.
Página/12
- Le CELTYV s'est félicité que pour la
première fois en trente ans de démocratie, un ministre national
reçoive l'ONG des victimes du terrorisme. Etes-vous fier de cette
reconnaissance [de leur part] ?
- Non, j'ai toujours eu pour politique
d'écouter les demandes de la société, c'est comme ça que j'ai
reçu les peuples originaires et les familles des victimes de
Cromañón. (5)
(Traduction © Denise Anne Clavilier)
En revanche, le compte-rendu publié
par la présidente du CELTYV est plus ambigu. Certes, aucune de ses
déclarations ne vient contredire les affirmations du ministre mais
elle s'efforce de faire de cette réunion une reconnaissance
politique de l'analyse qu'elle fait des actes de violence commis
contre les parents des membres de l'association. Elle prend soin
d'utiliser un vocabulaire très similaire à celui de Madres et
Abuelas et elle cherche à compromettre Macri et Avruj, en faisant
semblant de croire que leur positionnement a été légitimé par le
Gouvernement. Très belle technique de manipulation, comme nous en
avons connue en Europe avec les mouvements héritiers de la
collaboration et le négationnisme des années 1970.
Cependant, Página/12 est presque seul
à mentionner cette réunion. Ni La Prensa, ni Clarín ne s'y sont
intéressés parmi les titres nationaux. Et La Nación s'est contenté
d'un entrefilet de cinq phrases qui montrent que l'association est à
peine connue de la rédaction, qui se rapporte à la page Facebook de
celle-ci. Une telle indifférence médiatique tendrait à prouver que
le CELTYV ne représente guère que lui-même et que la cause qu'il
défend n'a en Argentine aucune légitimité, ni politique, ni même
compassionnelle. Dans le cas contraire, on aurait vu les trois titres
de la presse, qui soutiennent la nouvelle majorité, s'engouffrer dans
cette brèche et embrayer sur des propos revanchards comme dans l'une
ou l'autre tentative que l'on a vu poindre au lendemain de la
victoire électorale de Mauricio Macri mais elles n'ont alors
recueilli que de rares soutiens individuels, aussitôt dénoncés par
une majorité de gens de tous bords.
Cela n'empêche pas les ONG des droits
de l'Homme de prendre peur et de faire des déclarations que ce matin
Página/12 reproduit sans prendre ses distances (c'est encore et
toujours un journal engagé). On sent tous ces militants aux aguets
et prêts à tout interpréter contre le Gouvernement auquel il
semble qu'ils aient vraiment du mal à faire confiance. Il n'est
visiblement pas encore temps pour eux d'entamer une authentique
démarche de réconciliation nationale comme elle a pu être tentée
en France sous Georges Pompidou (sans vraiment réussir) (6) ou, plus
récemment, en Afrique du Sud lorsque Nelson Mandela a été porté à
la tête du pays. Il est possible aussi que Página/12 garde ce fer
au feu pour ne pas baisser la garde pendant l'été, qu'il veuille
entretenir la méfiance de son lectorat à l'égard d'un gouvernement
dont l'état de grâce ne faiblit pas selon ce qu'indiqueraient les
premiers sondages.
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 d'hier
avec l'interview de Avruj
lire l'article de Página/12
aujourd'hui
Vous pouvez aussi aller sur la page Facebook personnelle du secrétaire d'Etat : elle reproduit bon
nombre de ses prises de position officielles.
Consulter la page du secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme et au Pluralisme culturel (SDH) et son
site Internet.
(1) Allusion au fait que, jusqu'au 9
décembre dernier, Mauricio Macri était le Chef du Gouvernement de
la Ville Autonome de Buenos Aires, toujours tenue par la même
famille politique. C'est son premier ministre d'alors qui a
aujourd'hui les rênes en main, Horacio Rodríguez Larreta.
(2) D'après ce que j'ai pu lire, ces
hommes sont sortis de prison sans bénéficier d'aucun passe-droit ni
même d'une mesure de grâce. Ils étaient simplement arrivés au
bout de leur peine. Ce serait donc une malheureuse coïncidence
calendaire qui les fait sortir en même temps que s'installe un
nouveau Gouvernement national, dont on pouvait soupçonner qu'il
allait se désengager des droits de l'homme à cause de propos
électoralistes très démagogues tenus, il y a plusieurs mois, sans
doute pour se concilier cette petite frange de la population qui
reste attachée à la période dictatoriale et que Mauricio Macri a
dû estimer plus importante en nombre qu'elle se révèle maintenant.
(3) Deux femmes politiques très
différentes l'une de l'autre et qui ne partagent, à ce qu'il
m'apparaît, qu'une profonde aversion pour le système politique des
Kirchner, mari et femme. La première est toujours en activité, elle
déploie dans le paysage politique argentin un comportement
incohérent, imprévisible, agressif et insupportable pour ses alliés
successifs et affiche une haine plutôt violente contre les Kirchner.
La seconde a été une activiste non péroniste des droits de
l'Homme. Ce professeur de français de l'école secondaire a perdu
son fils de 17 ans pendant les années de plomb puis au retour de la
démocratie, sous la présidence du radical Raúl Alfonsín, elle a
siégé dans la toute première commission qui s'est penchée sur les
crimes de la Dictature. Son opposition aux Kirchner est beaucoup plus
rationnelle et argumentée que celle de Carrió.
(4) Ces crimes sont prescriptibles
parce qu'ils ont été commis par des individus privés, certes
embrigadés dans des organisations de lutte armée, mais sans qu'un
Etat soit engagé dans leur action, bien au contraire. Seuls sont
imprescriptibles, et c'est une règle pour tous les Etats membres de
l'ONU, les crimes commis par des organisations d'Etat, dans le cadre
d'une politique conduite par un Etat. Les crimes de la Dictature sont
donc imprescriptibles et les crimes des différentes guerrillas sont
prescrits comme n'importe quel crime de droit commun. Il ne peut plus
y avoir de procès. Les demandes portées par cette association sont
donc juridiquement irrecevables et elle fait semblant de ne pas le
comprendre.
(5) Un dancing qui a brûlé une nuit
de la Saint-Sylvestre. L'incendie, provoqué par des fumigènes
employés par le groupe de rock sur scène, a fait des centaines de
morts et de blessés parce que les gérants de la boîte de nuit
avaient bloqué les sorties de secours pour mettre en échec les
resquilleurs.
(6) Quand, avec des mines dégoûtées,
Pompidou parlait de "ce
temps où les Français ne s'aimaient pas".
Quelle périphrase pour désigner l'Occupation ! Cependant, dans
les universités, la recherche historique a alors commencé à
prendre ses distances avec la lecture gaulliste de la période (tous
les Français résistants contre une poigne de traîtres collabos) et
ces analyses progressivement dégagées du prêt-à-penser
idéologique a peu à peu gagné les médias puis les programmes
d'enseignement secondaire. Mais il a fallu pour cela cinquante ans
bien tassés. On n'y est pas encore en Argentine et en Amérique
latine en général.