samedi 2 janvier 2016

Une grande voix s'est éteinte, celle de Antonio Carrizo [Actu]

En titre, l'équipe de Página/12 a choisi de copier le titre
d'une des émissions les plus connues de Carrizo
 La vida y el canto (la vie et le chant)

Hier, au Jour de l'An, une grande voix de la radio s'est éteinte à Buenos Aires. Cette voix chaude, à la diction parfaite, c'était celle de Antonio Carrizo, né le 15 septembre 1926, qui vient de mourir dans sa quatre-vingt-dixième année, après huit ans de retraite contrainte et forcée, loin des micros, très diminué par les séquelles d'un AVC, qui s'est répété tout au long de cette presque décennie au cours de laquelle, côté scène, il a été plusieurs fois récompensé pour l'ensemble de son travail.

Si le gros titre porte sur la cavale des évadés de General Alvear,
il y a quelques jours,
la manchette en haut à gauche salue Carrizo d'un respectueux "Maestro"
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Aujourd'hui, je me sens très triste parce que c'est à Antonio Carrizo que je dois mes premières émotions d'auditrice de radios argentines. Vers 2006, il animait de belles après-midi de week-end (1) sur les ondes de la 2 x 4 (ou plutôt, en ce qui me concernait, sur le streaming disponible sur le portail de la Ville de Buenos Aires). C'était un vrai bonheur d'écouter ce contenu riche, varié, toujours renouvelé, qui était, pour vous en donner une idée, à la hauteur des meilleures émissions de notre service public, quelque part entre Radioscopie de Jacques Chancel, Apostrophes de Bernard Pivot et Des Papous dans la Tête (France Culture). Tout cela coulait avec une exquise simplicité, une élégante discrétion et pourtant l'homme était un puits de science, un dévoreur de livres, un accumulateur de souvenirs et d'anecdotes significatives sur ce qu'était cette culture urbaine argentine sur laquelle je commençais tout juste à me pencher et puis un jour de mars, je ne l'ai pas retrouvé à la rentrée, il n'était plus sur aucune grille de programmation et je l'ai beaucoup regretté...

En Argentine, c'est Antonio Carrizo qui a inventé le ton intimiste à la radio, dans les années 1950, lorsque les studios n'avaient pas encore pris conscience que les voix des animateurs et des journalistes entraient dans les foyers, dans la vie quotidienne des auditeurs, et qu'il fallait donc parler comme si l'on se trouvait chez eux et abandonner par conséquent cette grandiloquence et cette emphase qui étaient encore de mise.

Sur La Nación aussi, la manchette est en haut à gauche
"Une voix vibrante qui a marqué la radio et la télévision"
Le reste de la une se partage entre la cavale des trois évadés
et les victimes des inondations dans la Province de Corrientes
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On lui doit quelques unes des plus belles émissions de l'histoire de la radio en Argentine. Il a travaillé dans de nombreuses stations, privées et publiques, parmi lesquelles Radio El Mundo où il débuta et fut le partenaire d'une actrice mythique du cinéma argentin, Niní Marshall, Radio Belgrano, Radio Mitre, Radio Rivadavia et à la télévision, Canal 13. Aujourd'hui, les journalistes retiennent les interviews qu'il fit de Jorge Luis Borges en 1979 et de Roberto Goyeneche, dont Litto Nebbia a tiré quatre disques, sortis chez Melopea Discos, rien qu'avec les chutes non exploitées à l'antenne... On doit aussi à Carrizo de nombreuses émissions sur le tango, sur sa poésie, la richesse de sa musique et la valeur de ses grands interprètes...

Página/12 a préféré mettre la manchette en haut à droite
pour laisser une petite place à un éditorial d'opposition
et la place centrale aux trois évadés, avec le petit jeu de mots habituel
et pour une fois, il se traduit tel quel en français
"Après les tirs, ils se sont tirés"
allusion au fait que les criminels ont fait feu avant-hier sur un barrage policier
et blessé des agents des forces de l'ordre avant de se volatiliser.

Il aurait aimé faire une carrière universitaire, en histoire ou en philosophie, ou savoir bien jouer au football, lui, le supporter indéfectible du Club Boca Juniors, qui ne prend pas ce matin la peine de lui rendre hommage sur son site Internet.

Heureusement, les médias, eux, savent reconnaître le talent qui vient de disparaître à l'aube de l'année nouvelle. Malgré les grandes vacances, la plupart des vedettes radiophoniques actuelles saluent sa mémoire par tous les moyens, à commencer bien sûr à travers les réseaux sociaux.
Tous les journaux nationaux lui consacrent une manchette, en bonne place sur leur une de ce samedi matin.

Minimum syndical sur la 2 x 4, qui aurait pu se fouler un peu plus !

Pour en savoir plus :
lire l'article de Clarín, beaucoup plus approfondi que d'habitude
Télam a publié une dépêche dont Radio Nacional s'est contenté de faire un copier-coller ou peu s'en faut (ils auraient pu faire mieux, même si bien entendu l'événement tombe dans un long week-end férié, mais si la station était bien organisée, il y a longtemps qu'un hommage aurait dû être prêt : il y a des années que l'on savait Carrizo très malade)
Radio Mitre lui consacre un article
La 2 x 4 se contente d'une photo commémorative à peine commentée (ci-dessus) publiée sur sa page Facebook (là aussi, il y avait nettement mieux à faire)
Canal Encuentro a toujours en ligne le documentaire moyen-métrage qu'il lui avait consacré dans la série Encuentro de Agentores, co-produit avec la Société des Auteurs Argentins (l'équivalent de la SGDL en France) - 26 minutes pendant lesquelles Antonio Carrizo se raconte à la première personne.



(1) Je dis après-midi à cause du décalage horaire. En fait, l'émission était diffusée en matinée.