En titre, l'équipe de Página/12 a choisi de copier le titre d'une des émissions les plus connues de Carrizo La vida y el canto (la vie et le chant) |
Hier, au Jour de l'An, une grande voix
de la radio s'est éteinte à Buenos Aires. Cette voix chaude, à la
diction parfaite, c'était celle de Antonio Carrizo, né le 15
septembre 1926, qui vient de mourir dans sa quatre-vingt-dixième
année, après huit ans de retraite contrainte et forcée, loin des
micros, très diminué par les séquelles d'un AVC, qui s'est répété
tout au long de cette presque décennie au cours de laquelle, côté
scène, il a été plusieurs fois récompensé pour l'ensemble de son
travail.
Aujourd'hui, je me sens très triste
parce que c'est à Antonio Carrizo que je dois mes premières
émotions d'auditrice de radios argentines. Vers 2006, il animait de
belles après-midi de week-end (1) sur les ondes de la 2 x 4 (ou
plutôt, en ce qui me concernait, sur le streaming disponible sur le
portail de la Ville de Buenos Aires). C'était un vrai bonheur
d'écouter ce contenu riche, varié, toujours renouvelé, qui était,
pour vous en donner une idée, à la hauteur des meilleures émissions
de notre service public, quelque part entre Radioscopie de Jacques
Chancel, Apostrophes de Bernard Pivot et Des Papous dans la Tête (France
Culture). Tout cela coulait avec une exquise simplicité, une
élégante discrétion et pourtant l'homme était un puits de
science, un dévoreur de livres, un accumulateur de souvenirs et
d'anecdotes significatives sur ce qu'était cette culture urbaine
argentine sur laquelle je commençais tout juste à me pencher et
puis un jour de mars, je ne l'ai pas retrouvé à la rentrée, il
n'était plus sur aucune grille de programmation et je l'ai beaucoup
regretté...
En Argentine, c'est Antonio Carrizo qui
a inventé le ton intimiste à la radio, dans les années 1950,
lorsque les studios n'avaient pas encore pris conscience que les voix
des animateurs et des journalistes entraient dans les foyers, dans la
vie quotidienne des auditeurs, et qu'il fallait donc parler comme si
l'on se trouvait chez eux et abandonner par conséquent cette
grandiloquence et cette emphase qui étaient encore de mise.
On lui doit quelques unes des plus
belles émissions de l'histoire de la radio en Argentine. Il a
travaillé dans de nombreuses stations, privées et publiques, parmi
lesquelles Radio El Mundo où il débuta et fut le partenaire d'une
actrice mythique du cinéma argentin, Niní Marshall, Radio Belgrano,
Radio Mitre, Radio Rivadavia et à la télévision, Canal 13.
Aujourd'hui, les journalistes retiennent les interviews qu'il fit de
Jorge Luis Borges en 1979 et de Roberto Goyeneche, dont Litto Nebbia
a tiré quatre disques, sortis chez Melopea Discos, rien qu'avec les
chutes non exploitées à l'antenne... On doit aussi à Carrizo de
nombreuses émissions sur le tango, sur sa poésie, la richesse de sa
musique et la valeur de ses grands interprètes...
Il aurait aimé faire une carrière
universitaire, en histoire ou en philosophie, ou savoir bien jouer au
football, lui, le supporter indéfectible du Club Boca Juniors,
qui ne prend pas ce matin la peine de lui rendre hommage sur son site
Internet.
Heureusement, les médias, eux, savent
reconnaître le talent qui vient de disparaître à l'aube de l'année
nouvelle. Malgré les grandes vacances, la plupart des vedettes
radiophoniques actuelles saluent sa mémoire par tous les moyens, à
commencer bien sûr à travers les réseaux sociaux.
Tous les journaux nationaux lui
consacrent une manchette, en bonne place sur leur une de ce samedi
matin.
Minimum syndical sur la 2 x 4, qui aurait pu se fouler un peu plus ! |
Pour en savoir plus :
lire l'article de Clarín, beaucoup
plus approfondi que d'habitude
Télam a publié une dépêche dont
Radio Nacional s'est contenté de faire un copier-coller ou peu s'en
faut (ils auraient pu faire mieux, même si bien entendu l'événement
tombe dans un long week-end férié, mais si la station était bien
organisée, il y a longtemps qu'un hommage aurait dû être prêt :
il y a des années que l'on savait Carrizo très malade)
Radio Mitre lui consacre un article
La 2 x 4 se contente d'une photo
commémorative à peine commentée (ci-dessus) publiée sur sa page Facebook (là aussi,
il y avait nettement mieux à faire)
Canal Encuentro a toujours en ligne le documentaire moyen-métrage qu'il lui avait consacré dans la série
Encuentro de Agentores, co-produit avec la Société des Auteurs
Argentins (l'équivalent de la SGDL en France) - 26 minutes pendant lesquelles Antonio Carrizo se raconte à la première personne.
(1) Je dis après-midi à cause du
décalage horaire. En fait, l'émission était diffusée en matinée.