mercredi 20 janvier 2016

Avant Davos, Mauricio Macri a reçu des journalistes européens [ici]

Photo de Ricardo Ceppi, extraite du site Internet de El País

C'est avec un avion de ligne que le Président Macri et sa suite, dans laquelle a pris place Sergio Massa, au titre de l'opposition (1), s'est rendu à Davos. Un avion Air France (Aerolineas Argentinas n'a de desserte directe qu'avec Rome et Madrid en Europe et il est probable que, pour des raisons de sécurité, la compagnie ne sera jamais la même au fil des sorties du territoire - à moins que le choix se soit porté sur cette compagnie pour faire plaisir à François Hollande qui doit effectuer une visite, officielle ou d'Etat -je ne sais pas encore-, en Argentine le mois prochain).

En sa personne, c'est l'Argentine qui fait son retour au Forum économique mondial après treize ans d'absence, treize années qui correspondent aux trois mandats successifs des Kirchner, mari et femme. Mauricio Macri veut remettre son pays dans une dynamique d'échanges diplomatiques et économiques plus conforme à la position d'une démocratie en paix avec le reste du monde, et il est vrai que la politique extérieure péroniste est traditionnellement marquée du sceau de la méfiance et que son protectionnisme touche à une xénophobie presque arrogante et à coup sûr très déplaisante (2).

Avant de prendre son avion de ligne, pour cause d'abandon de la flotte présidentielle (3), Mauricio Macri a reçu des journalistes de quatre grands titres européens, Le Monde, The Guardian, El País (trois journaux historiquement ancrés à gauche et aujourd'hui convertis à l'économie libérale régulée) et La Stampa (4). Mais aucun journal suisse.. Par ce choix de quotidiens et de compagnie aérienne, il entend sans doute marquer sa considération pour notre continent, lui qui a pourtant fait une bonne partie de ses études aux Etats-Unis.

Cela ne désorientera personne : c'est dans El País que l'interview publiée est la plus complète. Les trois autres quotidiens se contentent d'un compte-rendu plus ou moins succinct. De toute évidence, dans l'actualité d'aujourd'hui, entre l'attentat au Pakistan sitôt après celui du Burkina-Faso, le scandale durable du silence des autorités allemandes sur les événements de Cologne, la mort d'Ettore Scola qui suit de si près celle de David Bowie, l'Argentine est le cadet de leurs soucis, même quand ils obtiennent en exclusivité l'interview d'un nouveau chef d'Etat super-photogénique, qui les reçoit  la Casa Rosada, dans un bureau officiel chargé d'histoire dont lui-même sourit en disant qu'il s'agit plus d'un "musée" que d'un lieu de travail.

Malgré cette relative et regrettable indifférence de notre part, il est possible que dans la presse argentine de cette fin de semaine, on voie fleurir des photos du nouveau Président aux côtés de la reine Máxima des Pays-Bas. Elle participe en effet au Forum économique de Davos, aujourd'hui, demain et vendredi, en sa qualité de promotrice du programme de l'ONU pour la finance au service du développement social, UNSGSA (voir le communiqué de la Maison royale des Pays-Bas, en néerlandais – le site est bilingue, néerlando-anglais). Mauricio Macri n'a pas caché son admiration pour elle : il estime en effet qu'elle est un atout de prestige pour l'Argentine (5).
Autre rencontre politiquement signifiante prévue dans la cité helvétique : celle avec David Cameron. Mauricio Macri a confirmé récemment la position de l'Argentine sur les Malouines : il faut entamer le dialogue avec le Royaume-Uni conformément à une résolution très ancienne de l'ONU, votée après la guerre anglo-argentine d'avril-mai 1982, car l'archipel est bel et bien une terre argentine (6).
En revanche, aucune escale n'est envisagée à Rome pour rencontrer le Pape, autre atout de l'Argentine pour sa projection dans le monde, selon l'analyse du Président.

Photo satellite argentine des Iles Malouines
(photo Instituto Geográfico Nacional)

Du côté de la politique intérieure, quelques signes peu susceptibles d'ambiguïté indiquent à présent que les soupçons de corruption qui pesaient sur de nombreuses organisations kirchneristes n'étaient pas dénués de fondement : à Jujuy, la dirigeante de la très puissante organisation de gauche Tupac Amaru, qui faisait la pluie et le beau temps pour les coopératives de la province, a été écrouée ce week-end sous le coup d'accusations graves dont la nature s'éclaircit peu à peu. Milagro Sala, qui est aussi députée au Parlasur, le parlement de l'UNASUR, aurait détourné d'astronomiques quantités d'argent public pour alimenter un clientélisme électoral acquis au péronisme provincial, qui vient de perdre les commandes après quarante ans de règne incontesté. Elle est en grève de la faim dans sa cellule à San Salvador de Jujuy. Amnesty International vient de lancer un appel en sa faveur mais les coopérateurs qu'elle avait rassemblés sur le parvis du palais provincial depuis un mois, pour exiger le maintien de la politique d'aides sociales et de soutien à l'activité coopérative, ne se bousculent pas pour la défendre. Pire, certains portent même plainte contre elle. La parole semble se libérer et on entend dire qu'elle dirigeait Tupac Amaru d'une main de fer en y faisant régner une terreur mafieuse... Mauricio Macri a donc quelques billes pour défendre sa politique, même si son arrivée au pouvoir est marquée par une mise au pas fort rude, voire brutale, de cette opposition plus que remuante (7).

Il est manifeste que Mauricio Macri a du pain sur la planche pour redonner à son pays le respect de l'opinion publique internationale. C'est à ce genre de détail que l'on voit les dégâts causés par l'enfermement croissant qui a caractérisé les deux dernières années de mandat de Cristina Kirchner.

Cela n'empêche pas Daniel Paz et Rudy de nous faire rire avec leur talent et leur humour habituels à la une de Página/12, en jouant sur une photo que Macri a diffusée récemment sur Twitter : son chien Balcarce (ah, les chiens des présidents !) qui s'est permis l'autre jour de grimper sur le siège du bureau présidentiel (8). Le chien est très ressemblant aussi...

Editions de Página/12 du 20 janvier 2016

Macri (téléphonant à sa vice-présidente, qui, en son absence physique sur le territoire national, assume les charges de chef d'Etat) : Gabriela, je m'en vais à Davos. Tu t'occupes de tout...
Elle (à l'autre bout du fil) : Qu'est-ce que j'ai à faire ?
Macri : Deux choses :virer les gens (9) et prendre soin de Balcarce. Dans ce sens-là, pas dans l'autre.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

Pour aller plus loin :
lire l'interview complète dans El País (Espagne)
lire aussi le communiqué officiel de la Casa Rosada sur le programme présidentiel à Davos (et vous remarquerez que le rédacteur a mis une majuscule au titre de Máxima, alors qu'elle n'est qu'une reine consort et qu'elle ne règne pas en Argentine ! - Il n'a tout de même pas poussé jusqu'à faire précéder le nom d'un S. M. pour Su Majestad mais c'était à deux doigts...).

Ajout du 25 janvier 2016 :
lire l'article de Página/12 sur l'annonce faite par Mauricio Macri de son absence au sommet économique de l'Amérique Latine à Quito.
Pour expliquer son absence, le Président avance son état de santé. Sa côte fissurée ne lui permettrait pas de supporter la haute pression de la très haute altitude de la capitale équatorienne. Le journal de l'opposition ne décolère pas : Davos est aussi en altitude et le journaliste en déduit que le choix du Président est surtout très idéologique, qu'il préfère l'Europe et l'hémisphère nord au continent sud-américain, comme il est de tradition dans la droite argentine (ce qui est une réalité historique mais Davos et Quito, ce n'est pas du tout la même altitude non plus et il se peut qu'enchaîner les deux ne soit pas vraiment indiqué pour un homme qui n'est pas vieux mais enfin, il n'a pas non plus vingt ans !)



(1) Sa qualité d'opposant est contestée par une bonne partie de la gauche péroniste (kirchneriste) puisqu'il est beaucoup plus conciliant que le FpV à l'égard de la nouvelle majorité. Il n'en a pas moins été opposé à Macri et son alliance électorale Cambiemos au premier tour de l'élection présidentielle à la fin du mois d'octobre dernier. Au moment de l'investiture de Mauricio Macri, il avait été convenu que celui qui accompagnerait le président à l'extérieur dans les missions économiques serait son opposant au second tour, Daniel Scioli, l'ex-Gouverneur de la Province de Buenos Aires. L'évasion spectaculaire de trois criminels d'une prison provinciale a mis au jour les ratés de l'administration Scioli et refroidit très vite les bonnes relations que les deux hommes étaient en train de s'efforcer de mettre en place. C'est donc Sergio Massa qui va prendre le bon air des Alpes suisses et non pas Daniel Scioli.
(2) Sans parler de son caractère très contre-productif puisque ça met en échec des tas d'initiatives, y compris culturelles comme on l'a vu depuis huit ans où seuls les artistes kichneristes parvenaient à se présenter officiellement à l'extérieur du pays, comme le récent Salon du Livre de Paris et toutes les Ambassades...
(3) Les trois avions, assez anciens, réclamaient trop de réparation et consommaient trop de budget à cet effet. Qui plus est, le Président ne pouvait pas avec eux atterrir n'importe où car ils pouvaient faire l'objet de saisie pour paiement de la dette nationale auprès de créanciers privés. Un avion Air France ne présente pas le même inconvénient.
(4) Il n'a pas invité La Reppublica, tout de même.
(5) Il n'a pas tort. Elle l'est à coup sûr pour les quelques millions de néerlandophones qui forment une partie non négligeable du Benelux, au cœur de notre continent. La reine Máxima est belle, enjouée, aimable, polyglotte, visiblement acquise à la démocratie et on lui doit au moins la mode des restaurants argentins (tenus le cas échéant par des Pakistanais, mais ne boudons pas notre plaisir) à Amsterdam et dans d'autres villes importantes du pays.
(6) L'archipel des Malouines appartenait à l'Argentine jusqu'en 1833, lorsqu'une escadre de la Royal Navy s'est emparé par la force de ces îles, neuf ans après que le Parlement britannique avait reconnu l'indépendance de la toute jeune Argentine. L'archipel figure toujours sur toutes les cartes du pays conçues, mises en ligne ou imprimées en Argentine.
(7) Pour ma part, je reste très frappée par l'air de libération qui régnait à Buenos Aires le jour de l'investiture sur les visages de la foule en liesse qui débordait sur le parcours présidentiel. Les informations précises qui commencent à arriver viennent confirmer le message que donnait cette foule : le CCK inauguré avant même la réception des travaux et fonctionnant avec des montages financiers complexes et opaques, Radio Nacional et TV Pública qui produisent et diffusent des émissions autour de vedettes les unes surpayées, les autres bénévoles, l'opacité de la gestion de l'AFSCA que trahit la destruction in extremis des archives avant l'arrivée de l'administrateur provisoire envoyé par Hernán Lombardi, les peuples originaires laissés à l'abandon malgré le discours officiel qui valorisait leurs cultures, l'existence d'un plan OrSec jamais mis en œuvre depuis 17 ans malgré la multiplication des catastrophes naturelles au cours de ces années et enfin ce scandale à Jujuy qui survient après la triple évasion qui s'est produite au début de l'année à General Alvear, dans la Province de Buenos Aires, avec des complicités probables dans l'administration pénitentiaire et la police provinciale...
(8) Ces présidents argentins sont bien désinvoltes avec l'histoire. Cristina avait appelé son adorable toutou, un chiot offert par le frère de Hugo Chávez, Simón (en souvenir de Bolívar !) et Mauricio emploie à la même fin le nom du premier chef d'Etat argentin, en 1814, donc avant même la déclaration d'indépendance. Il est vrai que Balcarce est aussi le nom de la rue qui dessert la Casa Rosada et l'adresse de celle-ci.
(9) Allusion aux nombreuses révocations et non reconductions de contrats dans tous les secteurs de l'Etat, soit parce qu'il s'agit de personnels nommés par le Gouvernement sortant pendant la période de transition sans négocation avec le gouvernement élu, soit parce qu'il s'agissait de contrats précaires en soi,soit parce qu'il s'agissait, en tout cas au regard des nouveaux responsables, d'emplois fictifs. Le même phénomène s'est produit au niveau des provinces et des municipalités qui sont passées du FpV à une autre majorité, la plupart du temps celle de Cambiemos (alliance électorale autour de Macri).