La conférence de presse tenue à la mairie de San Pedro |
Le 20 novembre 1845, les forces navales anglo-française d'une part et argentine d'autre part s'affrontent dans un coude du Paraná, à la hauteur de Vuelta de Obligado, un village situé aujourd'hui dans le département de San Pedro (Provincia de Buenos Aires) qui donnera son nom à cette bataille héroïque du côté argentin (moins brillante du côté des Européens).
Sans déclaration de
guerre, elles avaient pénétré en armes dans le territoire argentin
en remontant le cours de ce puissant fleuve qui longe les provinces
de Buenos Aires, Santa Fe, Entre Ríos, Corrientes et Misiones (selon
les dénominations actuelles). Techniquement, sur le strict plan
militaire, ce fut une défaite argentine puisque l'expédition
européenne réussit, malgré tout, à passer le barrage composé de vingt-quatre barges enchaînées les unes aux autres, et à accoster aussitôt
après pour réparer leurs avaries. Cependant, cette défaite
tactique se transforma très rapidement en victoire politique car la
résistance opposée par les Argentins avaient causé des dégâts
importants à la flotte ennemie, certains irréparables, et la
difficulté de naviguer sur ce cours d'eau s'ajoutant au coût des
réparations finit par transformer cette présomptueuse expédition
marchande en un fiasco commercial, le coût de l'opération étant
hors de proportion avec le chiffre d'affaires réalisé grâce au peu
de marchandises qui avaient trouvé acquéreur.
A terme, cette débâcle économique
contraignit la France et la Grande-Bretagne à négocier avec le
responsable diplomatique de la Confédération argentine, qui n'était
autre alors que Juan Manuel de Rosas (1793-1877), le Gouverneur
fédéraliste de la Province de Buenos Aires (qui n'était pas encore
séparée de la ville homonyme), et son ministre, le juriste Felipe Arana. Deux
traités, en 1847 avec la Grande-Bretagne, puis en 1850 avec la
Seconde République française, vinrent mettre fin à un conflit
déclenché en 1838, quand les puissances étrangères exigèrent
d'avoir la liberté inconditionnelle de naviguer sur les fleuves
argentins, ce que n'acceptait aucun pays souverain au XIXème
siècle. Les deux grandes puissances durent accepter de ne commercer
qu'avec le port de Buenos Aires et ne pas avoir aucune activité
commerciale directe dans les Provinces.
Le combat tel qu'il a été présenté à Paris, par L'Illustration dans son édition du samedi 7 février 1846 |
Six navires de guerre britanniques et
cinq français, avec 418 canons, escortaient une soixantaine de
bâtiments de commerce en route vers le Paraguay et ce que les
Argentins appellent aujourd'hui le Litoral (Santa Fe, Entre-Riós,
Corrientes et Misiones) avec, pour compléter le convoi, des bateaux
militaires de ravitaillement chargés de charbon pour alimenter les
moteurs à vapeur qui complétaient le gréement à voile. Du coup
argentin, quatre batteries de 30 canons disposées sur les berges, un
brick et deux canonniers sur le fleuve, combinant à eux trois
une soixantaine de bouches à feu (selon les sources argentines)
ainsi que les vingt-quatre barges fluviales soutenant ensemble les 800 mètres
de chaîne, dont certains maillons sont exposés au Museo Nacional
del Bicentenario, situé à l'arrière de la Casa Rosada, à Buenos
Aires. Le combat, désespéré et courageux, est resté dans la
mémoire populaire comme une victoire. La bataille est même
représentée sur le verso de l'actuel billet de 20 $, tandis que le
recto est orné d'un portrait de Juan Manuel de Rosas tout en rouge,
la couleur du fédéralisme portègne. Quant au 20 novembre, il est
devenu une fête nationale, la fête de la Souveraineté, et il a
même été élevé à la dignité de jour férié par Cristina
Kirchner, en 2010, pour la première année du Bicentenaire.
Près de la rive gauche, côté Entre
Ríos, le brick El Republicano avait pour mission de tirer sur les
navires ennemis pour protéger les 24 barges qui soutenaient les 800
mètres de chaîne barrant toute la largeur de la rivière. El
Republicano était commandé par un officier irlandais, qui avait adopté
la nationalité argentine, le capitaine Tomás Craig (1780-1863),
selon l'orthographe espagnole de son prénom (Thomas), qui est compté
au nombre des morts par L'Illustration du 7 février 1846 et est présenté, par le périodique français, comme un Anglais à la solde de Rosas (quelle horreur !). Alors que
la bataille faisait rage entre les trois embarcations militaires
argentines, et la puissante escadre franco-britannique, le capitaine
Graig, voyant s'épuiser ses réserves de munitions, préféra saborder son bâtiment avec la poudre qui lui restait plutôt que de le
voir quelques minutes plus tard fait prisonnier par l'ennemi (1). El
Republicano coula à pic dans le Paraná. L'équipage put gagner la rive
à la nage, alors toute proche (2).
Le 23 octobre dernier, on a trouvé au fond du fleuve, au centre de son lit, une forme étrange dont on a put comprendre ensuite qu'il s'agissait de l'épave de ce valeureux brick.
Comme pour symboliser l'honneur de l'Argentine qui tint tête aux
deux plus grandes puissantes de l'époque, son mât continue à se
dresser, tout droit, jaillissant comme autrefois de la coque, encore
reconnaissable, malgré les 170 ans qui se sont écoulés depuis ce glorieux sabordage. L'épave se trouve sur le territoire du département de San
Pedro, dans la bourgade de Vuelta de Obligado, qui a donné son nom à
la bataille légendaire (tout au nord de la Province de Buenos Aires,
à la limite avec Santa Fe).
Le plan de la bataille, publié sur la même page de L'Illustration Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution |
Ce sont des recherches fluviales effectuées par le musée de Paléontologie de San Pedro et l'association locale des
Vétérans de la Guerre des Malouines (1982) qui ont permis cette découverte très
significative pour la nation argentine. En novembre
2015, une équipe fluviale de la Marine nationale est venue prêter
main-forte aux équipes locales et le 10 décembre, le jour de l'investiture du nouveau Président, les spécialistes ont acquis
l'assurance de l'identité de cette épave.
L'information a donné lieu à une
conférence de presse à la mairie de San Pedro (tout récemment
gagnée par Cambiemos, l'alliance présidentielle, sur une équipe de l'ancienne majorité, le Frente para la Victoria) mais,
eu égard au fait divers qui occupe toute la presse depuis environ
deux semaines (3), cette nouvelle n'a pas fait recette. Au point que
même la salle de presse du Gouvernement n'a publié aucune photo
significative de la découverte, sur un fait d'armes qui n'a certes
pas les faveurs du courant libéral (4).
Pour en savoir plus :
lire le communiqué de presse du
ministère de la Défense
lire l'article de Clarín
lire la dépêche de Télam
lire l'article de La Voz (le quotidien
de Córdoba)
Je ne vous donne pas l'article de El
Litoral (Province de Santa Fe) parce que le quotidien local, le plus
intéressé par l'événement pourtant, s'est contenté de reprendre
la dépêche de Télam (il est vrai que c'est sur son territoire
qu'on cherchait les trois évadés de General Alvear).
Vous pouvez consulter la page touristique consacrée à la bataille sur le site Internet de la ville de San Pedro.
Vous pouvez enfin regarder le documentaire consacré à l'événement historique produit par Canal
Encuentro dans la collection Batallas et le dessin animé de la
collection Asombrosas excursiones de Zamba, un petit écolier
argentin qui découvre tout et emmène avec lui le public (des petits
et des grands) sur la chaîne éducative publique Paka Paka.
(1) Dans son article, L'Illustration du
samedi 7 février 1846 nous informe que le coulage du Republicano est
dû à un tir du Dolphin, un bâtiment britannique. Mais comme le premier hebdomadaire illustré français affirme aussi que son capitaine a trouvé la mort dans l'action, on peut douter sérieusement de l'exactitude de ses informations.
(2) Depuis 170 ans, le fleuve, très
instable, s'est considérablement déplacé, comme c'est très
fréquent pour les cours d'eau qui forment le grand bassin du Río de
la Plata.
(3) Trois prisonniers condamnés pour
des faits criminels graves se sont évadés d'une prison de la
Province de Buenos Aires, sur le territoire de General Alvear. L'un
des trois a été repris pendant le week-end mais les deux autres
sont toujours en cavale.
(4) Rosas est un héros de la gauche
nationaliste argentine, et notamment du péronisme qui a repris une bonne part de son héritage. La droite libérale le déteste depuis le
début (1835).