lundi 11 janvier 2016

Découverte des restes de "El Republicano" dans les eaux du Paraná [Actu]

La conférence de presse tenue à la mairie de San Pedro

Le 20 novembre 1845, les forces navales anglo-française d'une part et argentine d'autre part s'affrontent dans un coude du Paraná, à la hauteur de Vuelta de Obligado, un village situé aujourd'hui dans le département de San Pedro (Provincia de Buenos Aires) qui donnera son nom à cette bataille héroïque du côté argentin (moins brillante du côté des Européens).

Sans déclaration de guerre, elles avaient pénétré en armes dans le territoire argentin en remontant le cours de ce puissant fleuve qui longe les provinces de Buenos Aires, Santa Fe, Entre Ríos, Corrientes et Misiones (selon les dénominations actuelles). Techniquement, sur le strict plan militaire, ce fut une défaite argentine puisque l'expédition européenne réussit, malgré tout, à passer le barrage composé de vingt-quatre barges enchaînées les unes aux autres, et à accoster aussitôt après pour réparer leurs avaries. Cependant, cette défaite tactique se transforma très rapidement en victoire politique car la résistance opposée par les Argentins avaient causé des dégâts importants à la flotte ennemie, certains irréparables, et la difficulté de naviguer sur ce cours d'eau s'ajoutant au coût des réparations finit par transformer cette présomptueuse expédition marchande en un fiasco commercial, le coût de l'opération étant hors de proportion avec le chiffre d'affaires réalisé grâce au peu de marchandises qui avaient trouvé acquéreur.
A terme, cette débâcle économique contraignit la France et la Grande-Bretagne à négocier avec le responsable diplomatique de la Confédération argentine, qui n'était autre alors que Juan Manuel de Rosas (1793-1877), le Gouverneur fédéraliste de la Province de Buenos Aires (qui n'était pas encore séparée de la ville homonyme), et son ministre, le juriste Felipe Arana. Deux traités, en 1847 avec la Grande-Bretagne, puis en 1850 avec la Seconde République française, vinrent mettre fin à un conflit déclenché en 1838, quand les puissances étrangères exigèrent d'avoir la liberté inconditionnelle de naviguer sur les fleuves argentins, ce que n'acceptait aucun pays souverain au XIXème siècle. Les deux grandes puissances durent accepter de ne commercer qu'avec le port de Buenos Aires et ne pas avoir aucune activité commerciale directe dans les Provinces.

Le combat tel qu'il a été présenté à Paris,
par L'Illustration dans son édition du samedi 7 février 1846

Six navires de guerre britanniques et cinq français, avec 418 canons, escortaient une soixantaine de bâtiments de commerce en route vers le Paraguay et ce que les Argentins appellent aujourd'hui le Litoral (Santa Fe, Entre-Riós, Corrientes et Misiones) avec, pour compléter le convoi, des bateaux militaires de ravitaillement chargés de charbon pour alimenter les moteurs à vapeur qui complétaient le gréement à voile. Du coup argentin, quatre batteries de 30 canons disposées sur les berges, un brick et deux canonniers sur le fleuve, combinant à eux trois une soixantaine de bouches à feu (selon les sources argentines) ainsi que les vingt-quatre barges fluviales soutenant ensemble les 800 mètres de chaîne, dont certains maillons sont exposés au Museo Nacional del Bicentenario, situé à l'arrière de la Casa Rosada, à Buenos Aires. Le combat, désespéré et courageux, est resté dans la mémoire populaire comme une victoire. La bataille est même représentée sur le verso de l'actuel billet de 20 $, tandis que le recto est orné d'un portrait de Juan Manuel de Rosas tout en rouge, la couleur du fédéralisme portègne. Quant au 20 novembre, il est devenu une fête nationale, la fête de la Souveraineté, et il a même été élevé à la dignité de jour férié par Cristina Kirchner, en 2010, pour la première année du Bicentenaire.

Près de la rive gauche, côté Entre Ríos, le brick El Republicano avait pour mission de tirer sur les navires ennemis pour protéger les 24 barges qui soutenaient les 800 mètres de chaîne barrant toute la largeur de la rivière. El Republicano était commandé par un officier irlandais, qui avait adopté la nationalité argentine, le capitaine Tomás Craig (1780-1863), selon l'orthographe espagnole de son prénom (Thomas), qui est compté au nombre des morts par L'Illustration du 7 février 1846 et est présenté, par le périodique français, comme un Anglais à la solde de Rosas (quelle horreur !). Alors que la bataille faisait rage entre les trois embarcations militaires argentines, et la puissante escadre franco-britannique, le capitaine Graig, voyant s'épuiser ses réserves de munitions, préféra saborder son bâtiment avec la poudre qui lui restait plutôt que de le voir quelques minutes plus tard fait prisonnier par l'ennemi (1). El Republicano coula à pic dans le Paraná. L'équipage put gagner la rive à la nage, alors toute proche (2).

Le 23 octobre dernier, on a trouvé au fond du fleuve, au centre de son lit, une forme étrange dont on a put comprendre ensuite qu'il s'agissait de l'épave de ce valeureux brick. Comme pour symboliser l'honneur de l'Argentine qui tint tête aux deux plus grandes puissantes de l'époque, son mât continue à se dresser, tout droit, jaillissant comme autrefois de la coque, encore reconnaissable, malgré les 170 ans qui se sont écoulés depuis ce glorieux sabordage. L'épave se trouve sur le territoire du département de San Pedro, dans la bourgade de Vuelta de Obligado, qui a donné son nom à la bataille légendaire (tout au nord de la Province de Buenos Aires, à la limite avec Santa Fe).

Le plan de la bataille, publié sur la même page de L'Illustration
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Ce sont des recherches fluviales effectuées par le musée de Paléontologie de San Pedro et l'association locale des Vétérans de la Guerre des Malouines (1982) qui ont permis cette découverte très significative pour la nation argentine. En novembre 2015, une équipe fluviale de la Marine nationale est venue prêter main-forte aux équipes locales et le 10 décembre, le jour de l'investiture du nouveau Président, les spécialistes ont acquis l'assurance de l'identité de cette épave.

L'information a donné lieu à une conférence de presse à la mairie de San Pedro (tout récemment gagnée par Cambiemos, l'alliance présidentielle, sur une équipe de l'ancienne majorité, le Frente para la Victoria) mais, eu égard au fait divers qui occupe toute la presse depuis environ deux semaines (3), cette nouvelle n'a pas fait recette. Au point que même la salle de presse du Gouvernement n'a publié aucune photo significative de la découverte, sur un fait d'armes qui n'a certes pas les faveurs du courant libéral (4).

Pour en savoir plus :
lire le communiqué de presse du ministère de la Défense
lire l'article de La Voz (le quotidien de Córdoba)
Je ne vous donne pas l'article de El Litoral (Province de Santa Fe) parce que le quotidien local, le plus intéressé par l'événement pourtant, s'est contenté de reprendre la dépêche de Télam (il est vrai que c'est sur son territoire qu'on cherchait les trois évadés de General Alvear).
Vous pouvez consulter la page touristique consacrée à la bataille sur le site Internet de la ville de San Pedro.
Vous pouvez enfin regarder le documentaire consacré à l'événement historique produit par Canal Encuentro dans la collection Batallas et le dessin animé de la collection Asombrosas excursiones de Zamba, un petit écolier argentin qui découvre tout et emmène avec lui le public (des petits et des grands) sur la chaîne éducative publique Paka Paka.



(1) Dans son article, L'Illustration du samedi 7 février 1846 nous informe que le coulage du Republicano est dû à un tir du Dolphin, un bâtiment britannique. Mais comme le premier hebdomadaire illustré français affirme aussi que son capitaine a trouvé la mort dans l'action, on peut douter sérieusement de l'exactitude de ses informations.
(2) Depuis 170 ans, le fleuve, très instable, s'est considérablement déplacé, comme c'est très fréquent pour les cours d'eau qui forment le grand bassin du Río de la Plata.
(3) Trois prisonniers condamnés pour des faits criminels graves se sont évadés d'une prison de la Province de Buenos Aires, sur le territoire de General Alvear. L'un des trois a été repris pendant le week-end mais les deux autres sont toujours en cavale.
(4) Rosas est un héros de la gauche nationaliste argentine, et notamment du péronisme qui a repris une bonne part de son héritage. La droite libérale le déteste depuis le début (1835).