Vendredi dernier, les ONG des droits de
l'Homme qui ont toutes leur centre culturel propre sur le campus de
la ex-ESMA, à Palermo, dans le nord de la ville de Buenos Aires, ont
rassemblé des centaines de militants pour soutenir le maintien de
Horacio Pietragalla à la tête des Archives nationales de la Mémoire
(Archivo Nacionl de la Memoria), qui répertorie tout ce qui touche à
la répression durant la Dictature, aux crimes qui ont été commis
au nom de l'Etat et à leurs victimes.
Horacio Pietragalla a été nommé à
ce poste par décret présidentiel annoncé le 3 décembre dernier,
donc durant la dernière semaine de mandat de Cristina Fernández de
Kirchner, qui savait fort bien qu'elle engageait quelqu'un pour
quatre ans sans avoir l'agrément de son successeur, lequel n'a pas
été consulté pour toutes ces nominations qui ont eu lieu dans les
trois semaines qui ont séparé le second tour de l'élection et la
prestation de serment de Mauricio Macri (1).
Qui plus est, Horacio Pietragalla est
l'une des 119 personnes qui ont pu être identifiées grâce au
travail de Abuelas de Plaza de Mayo après avoir été enlevées en
bas-âge ou à leur naissance à leur famille biologique. Il est donc
gardien d'un corpus de documents intimement liés à sa propre
histoire.
Le Secrétaire d'Etat aux Droits de
l'Homme avait fait savoir dans la semaine qu'il allait procéder à
son remplacement par une personnalité de son choix. Ce qui n'est pas
scandaleux en soi, même si le ministre n'a pas voulu révéler avant
parution du décret au Bulletin Officiel le nom de ce mystérieux
remplaçant. Après tout, la nomination du 3 décembre est très
contestable sur le plan démocratique. Mais cette annonce à demi a
aussitôt excitée les peurs des associations, qui sont loin d'être
convaincues de la bonne volonté du nouveau gouvernement (2) en ce
qui concerne les sujets qui leur tiennent le plus à cœur :
recherche et identification des disparus, procès contre les
criminels de la Dictature, identification des 400 enfants volés
aujourd'hui adultes (s'ils ont survécu à la tragédie de leur
naissance).
D'où cette manifestation vendredi, sur
le campus, avec toutes les ONG, et dont seuls Página/12 et Télam se
sont fait l'écho. Estela de Carlotto, qui a toujours une démarche
de bonne volonté et de recherche du dialogue, a demandé de toute
urgence une audience au Président Macri (qui a dû se mettre
quelques jours au vert, après s'être fêlé une côté en jouant
avec sa fillette de cinq ans), au ministre de la Justice et au
Secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme, pour réclamer le maintien
en poste de Pietragalla.
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 sur la
manifestation de soutien à Horacio Pietragalla (ancien député du Frente para la Victoria, le parti de Cristina)
lire la dépêche de Télam sur le
sujet
lire la dépêche de Télam sur la
demande d'audience
lire la dépêche de Télam du 3
décembre 2015 sur cette nomination contestable quant au calendrier
choisi (il est en effet possible que l'homme ait toutes les
compétences voulues par ailleurs, mais ça ne se fait pas!).
Sur les inquiétudes de la gauche
kirchneriste ou sympathisante, on peut lire l'éditorial qu'a publié
hier Sandra Russo dans Página/12 (3).
Ajout du 21 janvier 2016 :
Horacio Pietragalla a en effet été démis de ses fonctions hier. Il a été remplacé par Gustavo Peters Castro, l'ancien représentant sur le campus de l'ex-ESMA du secrétariat aux Droits de l'Homme du gouvernement portègne (un homme qui a la confiance de Macri et Avruj s'est donc contenté de remplacer un camp par un autre, le sien, ce qui n'est certes pas une solution inattaquable).
Et il n'en reste pas moins vrai que la nomination de Pietragalla, tout petit-fils retrouvé qu'il est, étiat bel et bien antidémocratique : elle est intervenue, sans aucune concertation avec le président élu, comme un acte discrétionnaire de Cristina Kirchner, aux tout derniers jours de son mandat, pendant la période de transition. Dans un Etat de droit, le pouvoir n'est pas une affaire personnelle même s'il est issu d'élections démocratiques mais les kirchneristes et les associations argentines de Droits de l'Homme semblent avoir bien du mal à le comprendre...
lire l'article de Página/12,
lire l'article de Clarín
lire l'article de La Prensa.
Chose véritablement désolante dans ces circonstances :
Estela de Carlotto a déclaré que la nomination de Peters Castro ne convenait pas [aux associations des droits de l'Homme] (no nos agrada) parce que cet homme n'appartenait à leur histoire [nuestra historia]. Ce n'est pas qu'elle conteste ses compétences. Elle le rejette du simple fait qu'il n'appartient pas à leur sérail... Il est profondément regrettable qu'une femme aussi brillante, aussi lucide, aussi cultivée, aussi ouverte sur le monde, qui a autant voyagé et observé ce qu'il se passe ailleurs, qu'une femme comme elle juge ainsi qu'il est légitime de traiter ce qu'elle-même présente, si souvent et avec raison, comme une tragédie nationale (et même tout simplement une tragédie pour l'humanité) en affaire privée qui doit être remise à la discrétion du groupe particulier des victimes.
C'est se faire juge et parti et donner raison aux opposants à ces associations qui estiment que leur démarche n'est dictée que par un désir de vengeance... Quelle défaite intellectuelle et politique que cette posture de sa part !
Ajout du 21 janvier 2016 :
Horacio Pietragalla a en effet été démis de ses fonctions hier. Il a été remplacé par Gustavo Peters Castro, l'ancien représentant sur le campus de l'ex-ESMA du secrétariat aux Droits de l'Homme du gouvernement portègne (un homme qui a la confiance de Macri et Avruj s'est donc contenté de remplacer un camp par un autre, le sien, ce qui n'est certes pas une solution inattaquable).
Et il n'en reste pas moins vrai que la nomination de Pietragalla, tout petit-fils retrouvé qu'il est, étiat bel et bien antidémocratique : elle est intervenue, sans aucune concertation avec le président élu, comme un acte discrétionnaire de Cristina Kirchner, aux tout derniers jours de son mandat, pendant la période de transition. Dans un Etat de droit, le pouvoir n'est pas une affaire personnelle même s'il est issu d'élections démocratiques mais les kirchneristes et les associations argentines de Droits de l'Homme semblent avoir bien du mal à le comprendre...
lire l'article de Página/12,
lire l'article de Clarín
lire l'article de La Prensa.
Chose véritablement désolante dans ces circonstances :
Estela de Carlotto a déclaré que la nomination de Peters Castro ne convenait pas [aux associations des droits de l'Homme] (no nos agrada) parce que cet homme n'appartenait à leur histoire [nuestra historia]. Ce n'est pas qu'elle conteste ses compétences. Elle le rejette du simple fait qu'il n'appartient pas à leur sérail... Il est profondément regrettable qu'une femme aussi brillante, aussi lucide, aussi cultivée, aussi ouverte sur le monde, qui a autant voyagé et observé ce qu'il se passe ailleurs, qu'une femme comme elle juge ainsi qu'il est légitime de traiter ce qu'elle-même présente, si souvent et avec raison, comme une tragédie nationale (et même tout simplement une tragédie pour l'humanité) en affaire privée qui doit être remise à la discrétion du groupe particulier des victimes.
C'est se faire juge et parti et donner raison aux opposants à ces associations qui estiment que leur démarche n'est dictée que par un désir de vengeance... Quelle défaite intellectuelle et politique que cette posture de sa part !
(1) Sur les dix milles ruptures de
contrat de travail du secteur public dénombrées par l'opposition
kirchneriste, niveaux provincial et national confondus, on estime les
nominations effectuées par Cristina et ses ministres pendant la
période dite de transition, soit du 28 novembre au 9 décembre, à
une proportion qui se situe entre le quart et la moitié, sachant par
ailleurs qu'une autre partie de ces contrats, qui étaient des
contrats précaires, ont été non pas rompus mais non renouvelés
puisqu'ils arrivaient (c'est le cas pour la majeure partie du
personnel du Centro Cultural Kirchner (CCK), dont l'inauguration en grande
pompe et à grand renfort de bruit médiatique a été réalisée
avant même la réception formelle des travaux, la sécurisation
définitive des lieux et l'entrée en vigueur de la garantie de la
maîtrise d'ouvrage). Autrement dit, une bonne part de ces pertes
d'emploi a été organisée à l'avance par Cristina Kirchner de
façon à piéger son successeur : ou il acceptait de travailler
avec des gens hostiles qui lui auraient opposé une résistance à
côté de laquelle celle d'une certaine Curie à l'égard du Pape
François est de la petite bière, ou il se séparait de ces
personnes et se voyait traité de dictateur par l'opposition. C'est
la solution qu'il a choisie, comme il l'avait déjà choisie en 2007
lorsqu'il avait pris les rênes de la Ville Autonome de Buenos Aires
après que son prédécesseur, Jorge Telerman, avait lui aussi engagé
des ressources humaines à la dernière minute, sachant très bien ce
qui allait se passer dans la suite des événements..
(2) Il faut dire que les choses ne se
passent pas très bien non plus : les forces de police
recommencent, comme trop souvent en Argentine, a montré leur
violence. Il y a eu à deux reprises des tirs de balles en caoutchouc
contre des manifestations qui n'étaient pas armés mais dont
certains, en particulier la semaine dernière à La Plata,
caillaissaient les forces de l'ordre. On a donc eu droit à la une de
Página/12 à plusieurs dos criblés d'impacts bien rouges. Cela ne
peut pas mettre en confiance ces ONG qui toutes rassemblent des
victimes de la répression des années 1976-1983.
(3) Sandra Russo est une journaliste de
la rédaction de ce quotidien depuis des années, elle a aussi fait
partie de la célèbre et très contestée émission de polémique
politique de la télévision publique, 678, qui a cessé d'exister à
l'antenne mais se reconstitue à l'air libre, le samedi, en public,
dans des parcs de Buenos Aires. Elle est aussi l'auteur d'une
biographie bien écrite et favorable de Cristina Kirchner parue en
2011 avant la réélection (je l'ai lu in extenso, c'est un bon
ouvrage qui défend l'ex-présidente, avec ce qui me semble être
beaucoup de bonne foi, contre les rumeurs qui circulaient sur son
compte : corruption, despotisme, caprices à tout bout de champ,
narcissisme, etc... Mais je répète que dans la dernière semaine de
mandat, Cristina a fait preuve de comportement politiques et publics
difficiles à défendre en toute bonne foi). Dans cet article, Sandra
Russo critique l'usage du décret comme unique mode dans le
gouvernement actuel (dont il faut rappeler que la prise de fonction a
eu lieu le 10 décembre alors que la session du Congrès s'achève à
Noël), elle analyse les ruptures de contrat qu'elle juge massives
(en omettant de mentionner la part de nominations pendant la
transition, sans doute parce qu'elle les estime légitimes,
considérant que l'ensemble des pouvoirs gouvernementaux peuvent être
exercés par le mandataire jusqu'au dernier jour du mandat, sans
considération des résultats de l'élection quelques jours avant
cette échéance juridique), les brutalités dont la police s'est
montrée capable à deux reprises (elle ne mentionne pas les
caillassages de la part des manifestants – je n'y étais pas, je ne
peux pas jurer qu'ils ont eu lieu mais je ne m'avancerais pas à
jurer du contraire non plus). Elle y compare aussi l'arrivée de
Macri, qui vire beaucoup de monde, à celle de Néstor Kirchner, qui
n'a viré personne, mais elle oublie de rappeler que les
prédécesseurs de Néstor Kirchner n'avaient pas été en état de
faire des nominations pendant la période de transition puisqu'ils
avaient dû prendre la poudre d'escampette pour échapper à un
lynchage sinon physique, du moins politique, à cause de la faillite
du pays (Noël 2001 et ses répercutions). Elle décrit aussi les
insultes dont elle est la cible, tous les jours, dans la rue, en
allant faire son marché ou en promenant son chien, à cause de ses
prises de position politique. Et c'est sans doute là le plus grave
de tout (si c'est vrai, et je suppose que ça l'est), car cela montre
combien il reste dans la population argentine des gens qui ne sont
toujours pas décidés à respecter la pluralité démocratique dans
leur propre pays.