Photo prise sur Plaza Congreso On voit le bâtiment du Congrès derrière la table Photo de Pablo Piovano pour Página/12 |
Vendredi dernier, nous étions le 29
janvier. Or en Argentine, tous les 29 du mois, c'est le jour des
ñoquis (l'orthographe argentine pour le terme italien gnocchi, ces
pâtes en forme de coquillage fermé faites à partir de pommes de
terre au lieu de blé). Lorsque les ouvriers italiens arrivaient à
la fin du mois à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, que l'argent se faisait rare à la maison, les ñoquis offraient
une très efficace façon de caler les estomacs de toute la famille pour une dépense minime...
Or le terme ñoqui désigne aussi le travailleur occupé à ne rien faire, voire celui qui occupe un emploi fictif offert
dans une administration à un protégé du maire, du gouverneur, du
député ou du ministre, voire du chef de l'Etat, ou à un militant
du parti au pouvoir. Bref, il s'applique aux lampistes du système de clientélisme qui marque la tradition politique argentine au sceau d'une corruption endémique.
La nouvelle majorité nationale,
partout où elle est en place, a procédé à de nombreuses
révocations ou a mis fin à de nombreux contrats qui, d'après elle,
correspondraient à des emplois de ñoquis. L'opposition estime à
environ 25 000 le nombre de personnes ainsi mises au chômage (1)
lorsqu'on cumule les ruptures de contrat de travail dans les
municipalités, les Provinces tant dans les assemblées législatives
que dans les instances dépendant de l'exécutif, et l'Etat fédéral
lui-même, dont le Sénat, la Banque centrale, les musées, etc.
L'opposition a donc organisé une
grande ñoqui-party sur Plaza del Congreso et sur le parvis du CCK,
le centre culturel mis à l'arrêt total depuis le 1er janvier et pour tout l'été, en vue d'une révision complète, architecturale, technique,
institutionnelle et programmatique, pour expliquer au Président
Mauricio Macri, à tout le gouvernement et à la nouvelle majorité
du Sénat ce que sont vraiment les ñoquis : des pâtes très bonnes et qui tiennent au corps et non
pas de êtres humains. Les manifestants ont donc fabriqué à la main 100 kg de
ñoquis sur l'une et l'autre place, ils les ont cuits à grande eau et à gros bouillons puis servis et dégustés... de bon appétit.
Plusieurs artistes se sont joints à la
manifestation, dont l'auteur-compositeur interprète de chamamé
Liliana Herrero.
De son côté, le prix Nobel d'économie
Joseph Stilglitz a critiqué depuis les Etats-Unis les récentes
mesures prises par le Gouvernement argentin, qui risquent fort de
mettre en difficulté les couches les plus populaires de la
population, notamment la libéralisation du marché de l'énergie,
qui élimine les subventions publiques à la distribution de
l'électricité et du gaz, ce qui augmente donc dans des proportions
astronomiques la facture énergétique de monsieur et madame
tout-le-monde. Le Gouvernement a cependant promis de mettre en place
un tarif réduit réservé aux plus pauvres, sous un plafond de
revenu. Ni le taux de réduction ni le montant du plafond ne sont
encore connus. Pour le moment, seule la hausse de la facture est
concrète et entame légèrement le capital confiance accordé au
Président, toujours en état de grâce selon les sondages...
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 sur
l'opération ñoquis del 29
lire l'article de Página/12 sur les
critiques présentées par Joseph Stilglitz.
(1) Parmi ses 25 000 personnes, environ 10 000 correspondraient à des nominations effectuées
par les élus sortants, entre le second tour et les prestations de
serment des nouveaux élus. Il s'agit donc de personnes nommées en toute connaissance de cause pour
provoquer, immédiatement après la prise de fonction des nouvelles
équipes, des révocations massives, destinées à créer le scandale.