On n'aurait sans doute pas eu cette
chance avec le président Macri, qui se contre-moquait de l'histoire
de son pays à laquelle il ne connaît pas grand-chose comme tous les
tenants du néolibéralisme qui font du profit le seul critère de
toutes leurs actions. Mais avec à la tête de la République un
juriste de gauche souverainiste, on pouvait raisonnablement espérer
le décret qui vient d'être publié au Bulletin officiel de la
République Argentine : 2020 est déclarée Année du Général
Manuel Belgrano à l'occasion des 250 ans de sa naissance, à Buenos
Aires, et du bicentenaire de sa mort, dans la même ville (et à la
même adresse, qui plus est).
L'Instituto Nacional Belgraniano a été
retenu pour coordonner les manifestations publiques en apportant son
expertise scientifique. Une excellente nouvelle pour laquelle le
président de cette institution, nommé lui aussi Manuel Belgrano et
arrière-arrière-arrière petit-fils du général, a travaillé
activement avec toute son équipe ces derniers mois. Un salut amical
à tous depuis la France puisque j'ai l'honneur de les connaître et
de les compter parmi mes amis portègnes...
Texte officiel du décret publié ce matin au bulletin officiel Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Manuel Belgrano était un contemporain
exact de Napoléon Bonaparte : il est né quelques mois après
lui, le 3 juin 1770 (Napoléon a vu le jour à Ajaccio le 15 août
précédent). Et il est mort, de maladie lui aussi, un peu moins d'un
mois avant, le 20 juin 1820. Juriste formé à Salamanque et à
Valladolid, il avait envisagé en 1790 une carrière diplomatique
avant d'être nommé en 1793 secrétaire d'un organisme au service de
l'économie coloniale et du commerce entre Buenos Aires et Madrid,
d'où il s'efforça, en vain, d'organiser des circuits de
développement local que la Couronne ne fit qu'entraver par des
décisions dont la stupidité le disputait au ridicule. Il ne fallut
donc qu'une étincelle en mai 1810 pour transformer le fidèle
secrétaire du Consulat royal en un ardent révolutionnaire qui ne
mit guère plus d'un an à basculer définitivement dans la pensée
(et l'action) indépendantiste.
Dès décembre 1810, ce prestigieux
intellectuel prit les armes pour défendre le territoire des
Provinces Unies du Sud contre les menées des
contre-révolutionnaires. Il obtint le grade de général dans
l'année qui suivit, grâce à sa campagne, très brillante pour un
novice, du Paraguay. Mais c'est dans les Andes qu'il devait donner à
la future armée argentine sa toute première victoire sur le sol
national : la bataille de Tucumán,
le 24 septembre 1812. A la tête de son armée, il remonta alors vers
le nord pour reprendre les villes de Salta et de Jujuy, une campagne
où il lui fut donné de sanctuariser cette partie de ce qui est
aujourd'hui le territoire national de la République argentine et qui lui valut une certaine notoriété internationale, comme le prouvent les lithographies que ces nouvelles inspirèrent à Géricault au cours des années suivantes.
Une image d'Epinal argentine : la bataille de Tucuman reprise de Géricault et colorisée pour faire plus vivant |
En
1815, il était à Londres chargé par le gouvernement révolutionnaire d'obtenir le soutien des
puissances européennes à la future déclaration d'indépendance.
Malheureusement pour la mission, Napoléon avait débarqué à Golfe-Juan quelques semaines auparavant et quand il débarqua dans les
Cornouailles anglaises, les coalisés faisaient des préparatifs de
guerre et la demande de ce général du bout du monde était le cadet
des soucis du personnel politique alors aux manettes du Vieux
Continent.
Il
était depuis peu de retour à Tucumán, dans la ville qu'il avait sauvée, lorsque le 9 juillet 1816,
les constituants réunis dans cette ville déclarèrent
l'indépendance de ce qui est aujourd'hui l'Argentine.
Il
devait mourir quatre ans plus tard, d'une pleurésie sévère sans
doute compliquée par un cancer du foie, laissant derrière lui deux
enfants naturels, dont une fillette de 18 mois, ancêtre de l'actuel
président de l'INB, l'institut qui veille sur la mémoire
patriotique du héros et qui se transforme, sous l'impulsion de son
descendant, en centre de recherche scientifique de plus en plus
rigoureux, un véritable exploit en Amérique du Sud où l'histoire
évenementielle reste encore et de loin le lieu d'élaboration du
roman national et des liturgies patriotiques dont ces pays ont besoin
de se doter pour se projeter dans le temps et l'espace.
Au
cours de cette année, le papier à lettres officiel devra porter la
mention 2020 : Año del General Manuel Belgrano. Il en ira de
même pour toutes les instances officielles de niveau national ainsi
que pour les lois, les décrets et toutes les mesures qui en
découleront. Les ambassades devraient adopter les mêmes
dispositions.
Pour
aller plus loin :