Couverture du volume consacré au drapeau national publié par l'Instituto Nacional Belgraniano en Argentine (INB) Portrait de Belgrano par Casimir Carbonnier, Londres, 1815 |
Du vivant de Manuel Belgrano (1770-1820), nous n’avons que trois
portraits ressemblants et quelques images maladroites, parce que les
artistes coloniaux ne bénéficiaient pas, c’est le moins qu’on
puisse dire, des meilleures formations de leur temps.
Ces trois portraits
ressemblants, nous les devons à des artistes français exilés.
En 1793, alors que
Manuel Belgrano, à 23 ans, vient de s’inscrire au prestigieux barreau de
Valladolid en Espagne et qu’il ne dispose que de très peu d’argent, il fait
faire son portrait par un miniaturiste réfugié en Espagne parce
qu’il avait fui la Terreur : Joseph Alexandre Boichard, un
élève de François-André Vincent (1746-1816), lui-même issu de la
tradition de la miniature. De Boichard, on sait très peu de choses.
Les historiens de l’art savent qu’il fut actif en France de 1804
à 1814 et qu’il a participé à tous les salons de Paris sous
l’Empire. Le petit portrait du jeune avocat prouve qu’il l’a
aussi été en Espagne pendant la Révolution.
Aujourd'hui, ce médaillon (ci-dessous) est exposé au Museo Histórico Nacional (à San Telmo, dans le sud de Buenos Aires).
Belgrano à 23 ans, à Madrid, par Joseph Alexandre Boichard |
Les deux autres
portraits ont été posés vingt-deux ans plus, pendant la mission
diplomatique que le général Manuel Belgrano tentait d’accomplir à
Londres, afin d’obtenir des puissances européennes un soutien à
la déclaration d’indépendance qui se préparait à Buenos Aires.
Parti d’Argentine à
la fin de l’année 1814 et retenu de longues semaines à Rio de
Janeiro à cause des irrégularités du trafic maritime, Manuel
Belgrano a débarqué dans un port du sud de l’Angleterre au milieu
des Cent-Jours. Bien entendu, dans un contexte international aussi
tendu, sa mission n'a pu qu'échouer… On ignore à quel moment
de son séjour de six mois à Londres il fit faire les deux portraits
non signés qui nous sont parvenus mais on en connaît au moins
l’auteur, grâce à la déclaration qu’il en a faite à son
retour à Buenos Aires : Casimir Carbonnier (Beauvais, 1787 –
Paris, 1873). Lui aussi avait exposé à chaque salon à Paris
pendant le Consulat et l’Empire, au point qu’il avait pu y être
distingué par la reine Caroline Murat, la plus jeune sœur de
l’empereur, qui lui a passé quelques commandes pour son palais de
Naples (1). De Carbonnier, on sait qu’après les adieux de Napoléon à Fontainebleau, il n’a pas voulu renier son passé en faisant acte
d’allégeance à Louis XVIII. Il imita son premier maître,
David, qui s’était exilé à Bruxelles, il partit à Londres, tout
en continuant à correspondre avec son second professeur et ami,
Ingres, qui vivait à Rome depuis 1806.
On sait aussi qu’à
Londres, Carbonnier a pu recevoir des commandes de deux églises
catholiques, l’une espagnole et l’autre française, et que
Belgrano a été l’un de ses tout premiers clients particuliers.
C’était alors une personnalité que ses campagnes militaires en
Amérique du Sud avait revêtu d’un certain prestige et d’une
véritable notoriété, en dépit de l’échec de la mission
diplomatique. Est-ce leur profonde religiosité qui a mis les deux
hommes en contact ? C’est l’une des hypothèses
vraisemblables mais cette rencontre reste une inconnue. On peut
imaginer qu’ils ont communiqué en français, car Belgrano parlait
très bien notre langue tandis que Carbonnier ne devait pas être
encore très à l’aise en anglais (et il y a très peu de
vraisemblance qu’il ait parlé espagnol).
Portrait en pied du Premier consul par Ingres |
Carbonnier exécuta
deux tableaux, un simple portrait en trois-quarts face, repris sur la
couverture de mon prochain livre, Manuel Belgrano, L’inventeur de
l’Argentine (Editions du Jasmin), aujourd'hui exposé au musée du Cabildo de Buenos Aires, et un portrait en pied, mis en
scène selon les conventions de la peinture officielle impériale :
tenture, draperie, mobilier, scène d'arrière-plan (2), tout y est. En plus simple que dans la propagande napoléonienne, sans doute à la demande du client, qui n'a jamais fait usage politique de ce tableau et n'appréciait pas les honneurs, qu'il n'a jamais utilisé pour accéder à l'exercice du pouvoir, contrairement au Premier consul puis Empereur des Français (3).
Le tableau de Carbonnier tel qu'il est exposé aujourd'hui au MDA (photo ville de Olavarría) |
Cet autre portrait a
été apprécié par la famille Belgrano. Dans son grand âge, une
sœur cadette du général, Juana, qui l’avait assisté sur son lit
de mort, se fit représenter devant lui. Il est aujourd’hui exposé
au museo Dámaso Arce (MDA), à Olavarría, dans la province de
Buenos Aires, auquel la famille l’a cédé il y a quelques
décennies.
La statue équestre de Belgrano, dans sa position actuelle, photographiée de la porte d'entrée de la Casa Rosada (sans date, Archivo General de la Nación Argentina - AGN) |
Après la mort de
Belgrano, son culte patriotique s’est lentement développé et
c’est à un autre artiste français que pour les
cinquante ans de sa disparition, en 1870, la République argentine a commandé
une statue équestre pour ce qui s’appelait encore Plaza de la
Victoria et qui s’appelle à présent Plaza de Mayo : le
sculpteur Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887), un artiste assez prestigieux en son temps pour avoir arrêté le jeune Auguste Rodin dans son atelier, d’abord à Paris sous le Second Empire,
puis à Bruxelles, où il le suivit après la chute du régime et la proclamation de
la république.
Carrier-Belleuse, sans date, Atelier Nadar (BNF) |
Carrier-Belleuse se
chargea de sculpter le général Belgrano brandissant son drapeau et
il sous-traita la monture à un sculpteur animalier argentin,
spécialisé dans les chevaux, Manuel de Santa Coloma (1829-1886),
fils d’un révolutionnaire argentin qui exerçait à Bordeaux les fonctions
de consul en 1829. En France, l’artiste est connu
sous le nom d’Emmanuel de Santa Coloma et il est étiqueté français,
bien qu’il semble avoir toujours conservé la nationalité de ses
parents même s’il n’a jamais mis les pieds dans leur pays. Santa
Coloma a exposé régulièrement au salon annuel des Beaux-Arts, de
1863 à 1870.
La statue équestre à son emplacement initial (AGN) |
La statue que l’on doit à leur collaboration a été érigée sur la place de Mai en 1872, dix ans après que Buenos Aires s’était dotée d’une statue, elle aussi équestre, de José de San Martín, due à un autre artiste français, Louis Daumas (1808-1887) (4). Huit ans plus tard, Carrier-Belleuse recevait la commande d’un mausolée pour San Martín, qui allait être installé dans une des chapelles latérales de la cathédrale primatiale qui donne sur Plaza de Mayo (5).
Le
portrait en pied et la statue de Plaza de Mayo sont aujourd’hui les
deux références de l’iconographie belgranienne. On retrouve leurs
traits les plus caractéristiques sur les billets de banque, les
couvertures de biographies ou de monographies publiées en Argentine (comme ci-dessous), les illustrations
de nombreux articles de presse et la quasi-totalité des ouvrages
commémoratifs qui se multiplient depuis 2010.
Couverture d'un livre numérique publié en 2019 par l'INB |
* * *
Manuel
Belgrano, L’inventeur de l’Argentine, première biographie en
français, paraîtra aux Éditions du Jasmin, le 27 février 2020, jour anniversaire de la création du
drapeau argentin, à Rosario, en 1812.
Cette
biographie de 330 pages, format 16-24 cm, illustrée en noir et
blanc, fait actuellement l’objet d’une pré-vente sous forme
d’une souscription au prix de 20 € (contre 24,90 €, prix public
après parution). Le bon de souscription (en pdf) est à télécharger sous le lien.
D’ici
quelques jours, je saurai où sera présenté le livre à la fin du
mois prochain. Ce sera à Paris, c’est déjà acquis. En attendant cette information, je participerai, ce samedi, au salon du livre de Bussy-Saint-Georges(77) sur le stand de mon éditeur. A cette occasion, je serai très heureuse d’échanger avec les visiteurs sur ce prochain livre
autour d’un mate argentin, que j’emporte toujours avec moi sur
les salons...
D'autres articles sur cette biographie sur mon site Internet : pour les lire, cliquez sur le lien.
D'autres articles sur cette biographie sur mon site Internet : pour les lire, cliquez sur le lien.
(1) Ces œuvres ont
disparu, sans doute dans le désastre final des Murat, lorsque le roi
Joachim a été exécuté en Italie et que son épouse, probablement
sans ces tableaux, a trouvé refuge en Autriche, où elle a emporté
tout ce qu’elle pouvait mais d’abord et surtout ce qui avait le
plus de valeur marchande dans l’art de son temps.
(2) En l'occurrence, la scène représente la bataille de Salta, le 20 février 1813, au cours de laquelle Belgrano avait arboré les futures couleurs argentines, que l'on voit dans un recoin du tableau, bataille de Salta qui avait mis à l'abri définitivement l'actuel territoire de l'Argentine.
(3) Il paraît clair que Belgrano aura donné des consignes au peintre qui ne pouvait pas inventer la bataille de Salta et les couleurs du drapeau...
(2) En l'occurrence, la scène représente la bataille de Salta, le 20 février 1813, au cours de laquelle Belgrano avait arboré les futures couleurs argentines, que l'on voit dans un recoin du tableau, bataille de Salta qui avait mis à l'abri définitivement l'actuel territoire de l'Argentine.
(3) Il paraît clair que Belgrano aura donné des consignes au peintre qui ne pouvait pas inventer la bataille de Salta et les couleurs du drapeau...
(4) Des copies de cette
statue iconique ont été offertes par l’Argentine un peu partout
en Europe et en Amérique. En France, la statue est arrivée en 1960
à Paris et elle a été inaugurée par André Malraux en personne.
Elle se dresse au bord du Parc Montsouris, côté boulevard Jourdan,
en face de la Maison de l’Argentine de la Cité Universitaire. Le
tramway venant de Stade Charléty s’arrête juste devant.
(4) Le corps de
San Martín, décédé à Boulogne-sur-Mer en 1850, a été
rapatrié en Argentine en mai 1880. Il a été inhumé dans la
cathédrale sous ce monument écrasant et pompeux qui mêle
symboliquement les minéraux argentin, belge et français pour
rappeler les différentes étapes de la vie du vainqueur des Andes.