"Pour toujours Diego" message de Radio Nacional |
Quelques
minutes après avoir appris la mort de Diego Maradona, qui a fait un
infarctus dans son sommeil et a été trouvé sans vie hier à
11 h 30 par l’infirmière qui venait le voir pour le réveiller de sa petite sieste d’après-petit-déjeuner, le président Alberto
Fernández a décrété trois jours de deuil national, fait mettre le
drapeau en berne sur les bâtiments fédéraux et proposé à la
famille d’ouvrir la Casa Rosada pour que s’y tienne la veillée
traditionnelle qui dure moins de vingt-quatre heures, avant les
obsèques.
Texte du décret intégral avec ses visas et ses attendus Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Jusqu’à
présent, seuls des anciens présidents et un champion sportif
avaient eu droit à ce niveau d’honneur. Ce sportif, c’était le pilote de course Fangio, l’un des dix mythes que l’Argentine a donnés au monde.
Dans la nuit,
pendant que la famille pouvait se recueillir dans l’intimité
autour du cercueil installé dans le grand hall d’entrée au
rez-de-chaussée, les particuliers se sont massés aux abords de la
Casa Rosada, en particulier dans
Avenida
de Mayo. Ce matin, un
peu avant 4 h
(heure argentine), lorsque je me suis branchée sur TV Pública, les
journalistes annonçaient une file d’attente qui atteignait déjà
Plaza del Congreso, ce qui correspond à un peu plus de deux
kilomètres. Le service d’ordre de la Casa Rosada attendait un
million d’Argentins mais tout
le monde ne pourra
sans doute pas se recueillir devant le cercueil.
La salle a été
ouverte au public à 6 h du matin et le cortège pour le
cimetière de
banlieue, au nord de Buenos Aires, où reposent déjà les parents de
l’idole,
était
alors prévu pour
16 h. Même en faisant
passer
tout le monde
au pas de course, ce qui est le cas, il est impossible de faire
défiler
un million de personnes en dix heures, surtout avec les consignes
sanitaires de distance physique,
lesquelles sont purement théoriques (dans leur émotion débordante,
les gens les oublient).
Ce que
montrait ce matin le direct de la télévision publique était très
impressionnant. Même les journalistes argentins étaient parfois
stupéfaits des manifestations de chagrin ou d’amour du public.
Bien entendu, le port du masque n’est pas généralisé, même à
l’intérieur de la Casa Rosada où il est expressément
obligatoire : les gens le descendent sur le cou pour crier et
chanter dehors comme dedans. Bien sûr, sur
Plaza de Mayo, il
y a eu des bousculades.
Il ne saurait en être autrement dans un tel rassemblement .
La police a un mal fou à canaliser la foule. Dedans, les premiers à
entrer ont été particulièrement indisciplinés et le service
d’ordre a eu bien du mal à imposer le rythme rapide du passage,
les gens s’arrêtant longuement (plus
d’une minute) pour
prier et jeter des maillots et des écharpes de foot sur le cercueil
fermé (1).
Il y a eu aussi ces images qui ont surpris y compris là-bas comme
ces deux hommes qui s’étreignaient en pleurant bruyamment
et à
chaudes larmes sur Plaza de Mayo, l’un vêtu du maillot de Boca
Juniors et l’autre de celui de River Plate, les deux plus grandes
équipes de Buenos Aires qui se haïssent cordialement depuis des
décennies… Ou cet homme de 27 ans, prénommé Diego Armando comme
son idole, qui a pris dans
la nuit le
bus à La Plata, chez lui, pour descendre à la grande station de la
9 de Julio à Buenos Aires à 6 h du matin et qui à 9 h 30
arrivait à l’angle de la rue Perú avec Avenida de Mayo en ayant
parcouru
à genoux tout le chemin (au moins 500 m à cette hauteur de
l’avenue). Devant les journalistes ébahis, il parlait de Maradona
comme de Dieu (au premier degré, sans l’ombre du moindre bout de
distance) et présentait
sa
reptation sur les dalles du trottoir comme un authentique sacrifice
de deuil et de pénitence, dans la plus extravagante expression d’un
syncrétisme très présent dans la vie spirituelle du petit peuple
argentin et très sud-américain en général… (2)
En une de L'Osservatore Romano daté de demain Parler d'idole dans un quotidien aussi catholique que celui-ci ! Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Au vu de toutes ses démonstrations de chagrin et d’enthousiasme, il est à craindre que d’ici une dizaine de jours les contaminations au coronavirus remontent. C’est d’autant plus tragique que les courbes des contagions et des décès avaient commencé à descendre. Le moment exact d’une épidémie où il ne faut pas relâcher les efforts.
En ce jour si particulier, c’est une consolation et une grande fierté pour les Argentins de constater que l’émotion est partagée dans le monde entier. De toutes les déclarations officielles et privées qui déferlent de partout, c’est visiblement le télégramme d’Emmanuel Macron qui a le plus touché le président Fernández, qui en a publié une traduction intégrale sur le site de la Casa Rosada, et les journalistes, qui l’ont reproduit ou résumé dans plusieurs quotidiens. Le président Macron vient de relever encore le prestige de la France auprès des Argentins. Et il est vrai que ce télégramme est particulièrement bien tourné et témoignent d’une connaissance profonde, très rare chez les Français et les Européens, de la sensibilité argentine sur le sujet quand très souvent nous regardons, avec condescendance (3), cette passion footeuse comme un aimable exotisme sans en voir jamais la signification symbolique et même métaphysique (4). Le président français semble soigner tout particulièrement ses relations avec son homologue argentin. En janvier, il lui a offert une guitare en guise de cadeau diplomatique pour son premier déplacement officiel à Paris, un cadeau qui a touché personnellement le mandataire argentin, et aujourd’hui, au surlendemain de la réunion virtuelle du G20 traitée avec désinvolture par Trump qui lui a préféré le golf, ce message dont la longueur dit assez qu’il ne s’agit pas seulement d’un quelconque acte protocolaire entre deux États en paix. Macron y parle d’un « danseur en crampons » et d’un « indiscutable souverain du ballon ». Le commentaire de Alberto Fernández mérite d’être lu. Son émotion n’est pas pas feinte.
Les plumes de
l’Élysée
n’ont donc pas chômé ces derniers jours : discours de mardi
sur le nouveau régime de confinement et le contrat de confiance
passé avec un peuple excédé (à tort mais excédé tout de même),
long télégramme de condoléance au sujet de Maradona et éloge
funèbre de Daniel Cordier (5)
prononcé cet après-midi. Bravo à eux, c’est du beau travail.
L'Osservatore Romano, page 5 En haut : "la faiblesse du génie" en bas : suite de l'article de une Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Bien entendu, le message du pape François a aussi été relevé par la presse argentine.
Pour aller
plus loin :
lire l’article de Clarín
Ajout du 27 novembre 2020 :
(1) Le
cercueil fermé est assez inhabituel en Argentine pendant la veillée.
Cette décision de la famille est sans doute en rapport avec la
chaleur moite qui règne aujourd’hui sur la capitale argentine et à
l’opération cérébrale récente subie par Maradona, qui avait
fait au début du mois un accident vasculaire. Ce d’autant qu’en
Argentine, les soins de conservation sont inconnus puisqu’on
procède aux obsèques dans les 24 à 32 heures suivant le décès,
comme dans toute la tradition luso-hispanique.
(3) Cette condescendance, je la perçois aujourd’hui encore dans les commentaires des journalistes du service public français. C’est vraiment très agaçant !
(4) En Argentine, un match de foot, c’est une allégorie de la vie et du monde. On a tort d’interpréter la main de Dieu comme une tricherie ou le fait de je ne sais quelle roublardise dont on nous rebat les oreilles depuis hier soir ! C’était un acte politique et c’est pour cela que ce but est resté dans la mémoire et qu’il restera dans le roman national en cours d’élaboration. Cet acte politique répondait à un autre, celui de la Royal Navy qui en janvier 1833 s’est emparée par la force des îles Malouines, territoire appartenant à un État souverain avec lequel le Royaume-Uni échangeait des diplomates depuis neuf ans et auquel il n’avait pas déclaré la guerre.