La Academia Nacional del Tango propose, tous les mardis soir, un séminaire d'un quadrimestre, le module qui structure l'année scolaire argentine, qui en compte donc deux, sur l'ensemble de la culture du tango argentin. Les cours commencent ce soir.
Au mois d'avril, le professeur sera Alberto Podestá, grand chanteur devant l'Eternel, qui peut afficher à son tableau de chasse plusieurs enregistrements qui ont fait l'histoire, vu qu'il a commencé sa carrière chez Miguel Caló, au cabaret Singapur, à la toute fin des années 30, dans la Orquesta de las Estrellas, où il a créé entre autres un bon nombre des tangos du duo fraternel Expósito (Virgilio, le compositeur et pianiste, Homero le poète et l'aîné des deux frères), puis chez Carlos Di Sarli, qui, un beau soir, est allé l'y débaucher (voir mon article du 4 décembre 2009 sur le Plenario que la Academia a consacré à ses 85 ans et 70 ans de carrière).
Au mois de mai, le professeur sera Horacio Ferrer : il parlera des grands poètes, Pascual Contursi, Celedonio Esteban Flores, Enrique Santos Discépolo, Homero Manzi et Héctor Negro, annonce ce matin Página/12. Sans doute la chroniqueuse Karina Micheletto oublie-t-elle au moins des gens comme Alfredo Le Pera (1900-1935), Enrique Cadícamo (1900-1999) et Homero Expósito (1918-1987), qui fut un ami personnel du Maestro Horacio Ferrer (1).
En juin, les professeurs seront le couple de danseurs légendaires Eduardo et Gloria Arquimbau, qui ont récemment fêté leurs 50 ans de carrière, eux aussi, au cours d'un Plenario (voir mon article du 29 juillet 2010 à ce sujet). Ils traiteront de l'évolution du tango dansé et de ses variantes sociales et scéniques, avec un retour aux sources historiques, à l'origine reculée du tango, dans les années 1800, avant même la Revolution de Mai 1810 !
En juillet enfin, c'est le compositeur, bandonéoniste, arrangeur et chef d'orchestre Raúl Garello qui viendra disserter de toutes ces dimensions musicales, instrumentales et orchestrales qui constituent la richesse de la tradition musicale du tango, où chaque morceau dispose d'à peu près autant d'arrangements et donc de versions que d'interprètes qui l'ont inscrit à leur répertoire. Or dans le monde du tango, contrairement à celui de la chanson de l'hémisphère sud, le répertoire constitue un fonds commun où tous les interprétes, tous les groupes, toutes les formations vont puiser sans aucune réserve ce qui leur plaît, ce qu'ils aiment, ce qu'ils ont envie de jouer, de chanter, d'exécuter.
Une des pages culturelles du quotidien ce matin (5 avril 2011)
Ce matin, l'événement, c'est très exceptionnel, a fait la une des pages culturelles du quotidien Página/12 et Horacio Ferrer en a profité pour annoncer la deuxième réédition augmentée de sa somme encyclopédique, El Libro del Tango, publié pour la première fois en 1970 avec deux tomes, puis réédité en 1980 en trois tomes, une édition qui était épuisée depuis de très nombreuses années.
Quelques extraits de cette quintuple interview publiée ce matin par Página/12 :
“A mí nadie me enseñó para ir a cantar a una orquesta, eso lo aprendí yo con las orquestas. Me enseñaron mucho los directores, todos me dieron siempre un toque: hacé esto, lo otro, por qué no probás aquello, y así fui aprendiendo. No es que me hayan cambiado la forma de cantar, me enseñaron formas, trucos, yeites”, cuenta. El ejemplo hace reír a todos: “Cuando fui con Di Sarli, lo primero que me dijo fue: ‘Aquí se canta a tiempo’. Sí, maestro. Me probaba y me decía ‘¡A tiempo, a tiempo!’, con el dedo de metrónomo, él tocaba con la izquierda y le daba con la derecha. Y así aprendí a cantar a tiempo. Hay otros que no siguen el tiempo, como Lavié, o como el Polaco, frasean diferente. Lavié sabe muchísimo de eso, se queda un compás, dos compases, y después agarra la melodía, como si nada. Yo no puedo, yo canto a tiempo”.
Página/12
Personne ne m'a appris à chanter pour me produire dans un orchestre, à moi [déclare Alberto Podestá], ça, c'est au sein des orchestres que je l'ai appris. Les chefs d'orchestre m'ont beaucoup appris, tous m'ont donné un truc : "fais ceci", un autre : "pourquoi tu n'essayes pas ça ?" Et c'est comme ça que j'ai appris peu à peu. Ce n'est pas qu'ils aient modifié ma façon de chanter, ils m'ont appris des tours, des trucs, des ficelles, raconte-t-il. L'exemple fait rire tout le monde. "Quand je suis allé chez Di Sarli, la première chose qu'il m'a dite, ça a été : "Ici, on chante sur les temps forts". Bien, Maestro. Il me testait et me disait : "sur le temps fort, sur le temps fort", avec le doigt en guise de métronome. Lui, il jouait de la main gauche et battait la mesure de la droite. Et c'est comme ça que j'ai appris à chanter sur les temps forts. Il y en a d'autres qui ne suivent pas les temps forts, comme [Raúl] Lavié ou comme [Roberto Goyeneche], le Polaco. Ils chantent comme ils parlent, c'est différent (2). Lavié en sait long sur ce point, il garde [les temps fort pendant] une mesure, deux mesures et après, il accroche la mélodie comme si rien d'autre n'existait. Moi, je ne peux pas, moi je chante sur les temps forts.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Los bailarines enseguida tienen algo para decir sobre la importancia del tiempo en el tango: “Lo que pasa que el bailarín necesita el tiempo”, subraya Eduardo Arquimbau. “Cuando uno trabaja en un escenario, no es tan importante el tiempo, te vas metiendo con el pedido musical, pero cuando vas a la milonga y tenés que bailar con una chica que no conocés, lo que hace la unión de la pareja es justamente el tiempo. Por eso en los ’40 todas las orquestas tocaban a tiempo.” “¡Y por eso hasta hoy en las milongas pasan temas de Alberto, no de Lavié!”, apunta Gloria.
Página/12
Les danseurs aussitôt ont quelque chose à dire sur l'importance du rythme dans le tango : "Ce qui se passe, c'est que le danseur a besoin des temps forts, souligne Eduardo Arquimbau. Quand vous travaillez sur scène, le temps fort ce n'est pas aussi important que ça. Tu te débrouilles avec ce que commande la musique, mais quand tu vas à la milonga et qu'il faut danser avec une fille que tu ne connais aps, ce qui fait l'union du couple c'est justement le temps fort. C'est pour ça que dans les années 40, tous les orchestres jouaient les temps forts". "Et c'est pour ça que même aujourd'hui, dans les milongas, on passe des morceaux de Alberto, et pas de Lavié", remarque Gloria. (3)
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Ferrer destaca un aspecto poco analizado, el impulso que le dieron al tango en el mundo los exiliados durante los ’70 y ’80. “Tantos que amaban el tango, y cuando tuvieron que partir, empezaron a estudiarlo afuera, así el tango pasó a ser una cultura de gabinete. Lo que hicieron los exiliados por el tango en el mundo fue extraordinario, lo sé porque he conocido a estos precursores.” Ferrer relativiza en un punto el peso de la danza como motor del tango en el mundo: “La danza del tango es una maravilla, pero están todos lo otros aspectos de la cultura tanguera. Fíjese por ejemplo María de Buenos Aires: se ha dado en 170 ciudades de 30 países de los cinco continentes. Y no hay baile en esa “operita”, la única versión con baile es la que hicimos en el Cervantes con la coreografía de Oscar Araiz”.
Alberto Podestá: –La poesía del tango es insuperable. Cuántas veces ante una letra pensamos: ¿cómo puede alguien decir esto en tres minutos? ¡Es un argumento de película!
Página/12
[Horacio] Ferrer relève un aspect peu souvent analysé, l'élan que donnèrent au tango dans le monde les exilés durant les années 70 et 80 (4). "Ils étaient si nombreux à aimer le tango et quand il fallut qu'ils partent, ils ont commencé à l'étudier à l'étranger, et c'est comme ça que le tango est devenu une culture en salon. Ce qu'ont fait les exilés pour le tango dans le monde a été extraordinaire, je ne sais parce que j'ai connu ces précurseurs". Ferrer relativise sur un point le poids de la danse comme moteur du tango dans le monde : "la danse du tango est une merveille, mais il y a tous les autres aspects de la culture du tango. Voyez par exemple María de Buenos Aires (5) : elle a été jouée dans 170 villes de 30 pays sur les 5 continents. Et il n'y a pas de danse dans cette opérette, l'unique version avec danse, c'est celle que l'on a donnée au Teatro Cervantes, avec une chorégraphie de Oscar Araíz" (voir mon article du 29 septembre 2008 sur cette reprise, qui voyagea ensuite vers Athènes).
Alberto Podestá : La poésie du tango est insurpassable. Combien de fois, devant un texte de tango, nous pensons : comme quelqu'un peut-il dire cela en trois minutes ? C'est un argument de film !
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Raúl Garello: –El tango no es una música paisajista, lineal, ésa es su profundidad, no es la foto de un paisaje. Por eso cabe el concierto, el dúo canyengue, el ballet, todas las expresiones. Los elementos que han formado este género tienen con qué desarrollar todo un arte. La música y la poesía son muy seductores y han seducido a una cantidad de formaciones, hasta las grandes orquestas, han seducido también a otros géneros. Y hay algo muy importante: sostengo que el tango es un arte de jóvenes. Las fotos de las orquesta del ’40 dan testimonio, si miran las caras de los integrantes de la orquesta de Pichuco, de Di Sarli, son adolescentes, pibes de 20 años.
Alberto Podestá: –Pichuco tenía 23 años cuando debutó como director de orquesta. Yo debuté a los 16 años. Y en la orquesta, Pontier tendría 23 años, Francini 24. Maderna era un muchacho que tenía 18, 19 años. Era lo normal.
R. G.: –La juventud está en el ADN del tango. Y hoy creo que está metido en todas las generaciones. He escuchado tango desde que iba a la escuela. Sin querer, vas en un colectivo y escuchás silbando al que maneja. O, por lo menos, así era cuando yo era chico.
Página/12
Raúl Garello : Le tango n'est pas une musique paysagiste, linéaire, sa profondeur est là : ce n'est pas la photo d'un paysage. C'est pour ça qu'on a le concert, le duo canyengue (6), le ballet, toutes ces expressions. Les éléments qui ont formé ce genre possèdent de quoi développer tout un art. La musique et la poésie sont très séductrices (7) et ont séduit une [grande] quantité de formations, même les grands orchestres, ont séduit aussi les autres genres. Et il y a quelque chose de très important : je soutiens que le tango est un art de jeunes. Les photos des orchestres de 1940 en rendent témoignage : si vous regardez le visage des membres de l'orchestre de Pichuco, de Di Sarli, ce sont des adolescents, des mômes de 20 ans.
Alberto Podestá : Pichuco avait 23 ans quand il a commencé comme chef d'orchestre. Moi, j'ai commencé à 16 ans. Et dans l'orchestre, Pontier avait 23 ans, Francini 24. Maderna était un gars qui avait 18, 19 ans. C'était la norme.
Raúl Garello : La jeunesse est dans l'ADN du tango. Et aujourd'hui, je crois qu'il est en train de se fourrer dans toutes les générations. J'ai entendu du tango depuis le moment où je suis allé à l'école. Sans même le vouloir, tu montes dans un bus et tu entends siffler celui qui conduit. Enfin, en tout cas, c'était comme ça quand j'étais petit.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
–¿No son buenos tiempos entonces para el tango?
E. A.: –Cuando repaso esas letras que son poesías sublimes, siempre me pregunto: ¿estos tipos escribían así porque tenían más tiempo, porque se vivía de otra manera, o porque ya tenían la sabiduría? Porque ahora va todo muy rápido, no hay tiempo. Antes la bohemia daba más tiempo.
H. F.: –¡No es una cuestión de tiempo! El que quiere hacer algo, el tiempo se lo hace. Con Gabriel Soria, que también coordina estos seminarios, hicimos la Enciclopedia sonora del tango Las 1001 noches del tango. Son 50 discos con 1001 tangos, en orden alfabético, con todos los datos, fecha de grabación, intérpretes, todo. Ahora voy a reeditar mi Enciclopedia del tango: ya pesaba algunos kilos cuando tenía tres tomos, ahora la amplié y la hice de cuatro tomos, ¡para joder! Con Garello trabajamos cuatro años en una ópera de dos horas, que está esperando ser estrenada. Nos hicimos el tiempo.
R. G.: –Estuve un año para orquestarla, cuando ya estaban todos los versos y las melodías. Porque tiene siete personajes, y hasta los buenos días son cantados.
–Eduardo hablaba de los jóvenes, decía que ellos son los que ahora tienen menos tiempo...
H. F.: –Pero todos estos chicos que ahora tocan tan bien, ¿de dónde sacan el tiempo? No se toca así si no hay tiempo para estudiar, para darle y darle al instrumento. La bohemia es esto que ves acá, esta Academia que, a pesar del edificio paquete que tiene, es una institución pobre. La presido ad honorem, como debe ser, y toda la gente que colabora aquí pone su forma de bohemia. Esta es la bohemia que se ha transmitido de generación en generación, nosotros la ejercemos de esta manera.
A. P.: –Y ponernos a dar estas clases también es un gusto que nos damos. Nuestra forma de bohemia.
Página/12
- Alors, aujourd'hui, ce n'est pas le bon temps pour le tango ?
Eduardo Arquimbau : Quand je relis ces textes qui sont des poésies sublimes, je me demande toujours : ces types, ils écrivaient comme ça parce qu'ils avaient plus de temps, parce qu'on vivait autrement, ou parce qu'ils possédaient déjà la sagesse ? Parce que maintenant, tout va très vite, on n'a plus le temps. Avant, la bohême nous accordait plus de temps.
Horacio Ferrer : ce n'est pas une question de temps ! (8) Celui qui veut faire quelque chose, le temps, il le trouve. Avec Gabriel Soria (9), qui coordonne aussi ce séminaire, nous avons fait L'Encyclopédie sonore du tango. Les 1001 nuits du tango. Ce sont 50 disques avec 1001 tangos, par ordre alphabétique, avec toutes les données, la date d'enregistrement, les interprètes, tout. Maintenant, je vais publier à nouveau mon Encyclopédie du Tango (10) : elle pesait déjà quelques kilos (11) quand elle avait 3 tomes. Maintenant, je l'ai augmentée et je lui ai faite en 4 tomes. Histoire de rigoler ! Avec Garello, nous avons travaillé quatre ans sur un opéra de deux heures, qui attend sa création à l'heure actuelle. On s'est donné le temps.
Raúl Garello : J'ai mis un an à l'orchestrer, quand on avait déjà tous les vers et toutes les mélodies. Parce qu'il y a sept personnages et on chante aussi quand il fait beau... (12).
- Eduardo parlait des jeunes, il disait que ce sont eux, ceux qui maintenant ont moins de temps...
Horacio Ferrer : Mais tous ces jeunots qui jouent si bien de nos jours, où est-ce qu'ils trouvent le temps ? On ne joue pas comme ça si on n'a pas le temps d'étudier, de se mettre encore et toujours à son instrument. La bohême, c'est ce que tu vois ici, cette Académie qui, tout tiré à quatre que soit l'immeuble, est une institution pauvre (13). Je la préside gracieusement, comme il se doit, et tous les gens qui travaillent ici ont leur genre de bohême. La voilà, la bohême qui s'est transmise de génération en génération, c'est notre manière de l'exercer.
Alberto Podestá : Et nous mettre à donner ces cours, c'est aussi un plaisir que nous nous donnons. La bohême à notre façon.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Pour aller plus loin :
lire l'intégralité de l'article de Página/12
(1) Tous ces poètes, y compris Horacio Ferrer, sont présentés dans mon anthologie bilingue, Barrio de Tango, parue en mai 2010 aux Editions du Jasmin. Horacio Ferrer et Héctor Negro ont en outre chacun un chapitre entier dans Deux cents ans après, le Bicentenaire de l'Argentine à travers le patrimoine littéraire du tango, paru en janvier dernier, chez Tarabuste Editions, où ce nouveau recueil bilingue constitue le supplément 2010 de la revue Triages. Les deux ouvrages sont disponibles en librairie (les commander au besoin, si le libraire ne les a pas en stock) et directement chez leur éditeur respectif. Cliquez sur l'image des couvertures que vous trouvez dans la Colonne de droite, pour accéder aux articles de ce blog, décrivant le contenu de ces deux ouvrages. Dans Deux cents ans après, j'ai présenté et traduit un tango écrit par Horacio Ferrer en hommage à Homero Expósito (musique de Raúl Garello), Homero en flor, pp 68-69.
(2) Frasear est un verbe intraduisible en français, il vient de frase, la phrase. Il s'agit de décrire une manière de chanter qui a été inventée par Roberto Goyeneche (1926-1994), qui a introduit le rythme parlé à l'intérieur de l'interprétation vocale, pour mieux servir l'histoire et le texte des poètes qu'il aimait servir.
(3) C'est un des points que je tente de faire apprécier aux participants de mes rencontres littéraires, que ce soit à l'Académie Esprit Tango ou à l'Espace Tango Negro, à Paris. Les différences de styles d'interprétation viennent de là et ne sont donc pas à juger en terme de "c'était mieux avant", ce piège dans lequel nous tombons souvent de l'éternelle querelle des anciens et des modernes. Dans les années 30 et 40, les plus gros employeurs des musiciens étaient les cabarets, où les orchestres jouaient pour un public d'hommes venus danser avec les employées du cabaret. Après la fermeture de ces établissements entre 1955 (chute du gouvernement Perón) et 1960 (fin de la mise au pas politico-culturelle de l'Argentine au bénéfice du modèle et des intérêts états-uniens), avec l'arrivée de nouveaux moyens techniques très performants de reproduction du son (33 tours, tourne-disque, sonorisation), la musique vivante a cessé d'animer les bals au profit de la musique enregristrée. Du coup, la danse n'a plus fait vivre les musiciens qui ont pris leur liberté par rapport aux contraintes que leur imposaient les nécessités structurelles des danseurs. Et le tango para escuchar, le tango à écouter, a déployé ses ailes, porté qu'il était par un musicien génial comme Piazzolla. Aujourd'hui, très peu de musiciens contemporains s'intéressent encore à la danse et une incompréhension mutuelle s'est installée durablement entre la danse d'une part et la musique et la poésie actuelles de l'autre, dont l'intégralité de cette interview laisse paraître bien des éléments.
(4) Il s'agit des exilés politiques qui trouvèrent refuge en Amérique du Nord, en Europe, en Australie, pendant la dictature militaire des années 1976-1983, un peu avant parce que la situation politique était déjà très dangereuse sous le mandat de Isabel Perón (1974-1976) et un peu après, jusqu'à la mi-mandat de Raúl Alfonsín, le président du retour à la démocratie, décédé il y a deux ans exactement (voir mes articles sur sa mort et ses suites politiques en Argentine).
(5) María de Buenos Aires, opéra-tango composé par Astor Piazzolla sur un livret écrit par Horacio Ferrer en 1967, fut créé à Buenos Aires en 1968 (voir mes articles sur l'oeuvre et notamment sur les célébrations qui ont marqué les 40 ans de la création). C'est l'oeuvre argentine la plus jouée au monde, malgré la complexité de son écriture et de l'histoire racontée, qui est très symbolique, à la limite du cabalistique...
(6) Dúo canyengue : l'adjectif canyengue, intraduisible en français, désigne un style faubourien d'interprétation et de comportement, très typique de et à Buenos Aires. Voir Trousse lexicale d'urgence dans la partie médiane de la Colonne de droite de ce blog.
(7) A noter que le journal écrit l'adjectif au masculin (seductores) et non au féminin, comme le voudrait le sens (seductoras). Je prends le parti de corriger ce qui m'apparaît comme une coquille. Je ne vois pas pourquoi Raúl Garello masculiniserait ici la musique et la poésie, deux substantifs féminins en espagnol comme en français. Il est vrai que cet article est farci de petites fautes d'accord en nombre que je corrige systématiquement dans la traduction française.
(8) Un jour, le musicien Alorsa, dont je vous parle souvent ici, même depuis son départ définitif de cette terre, m'avait demandé de le mettre en contact avec Raúl Garello et Horacio Ferrer, qu'il souhaitait faire venir au Tango Criollo Club à La Plata pour y donner leur spectacle commun, dont ils ont fait un disque et un DVD, Diálogo de Poeta y Bandoneón, dont est issu la valse Lulú que j'ai traduite dans Barrio de Tango (p 258) et le tango Homero en Flor, cité plus haut et présenté dans Deux cents ans après (voir note 1). Dans ce mail-là, il m'avait écrit : "Tous les deux, ils sont plus modernes et plus jeunes que bien des musiciens plus jeunes qu'eux sur le papier. Ce sont les plus révolutionnaires, ces deux-là". La preuve qu'il avait bien raison, l'ami Alorsa !
(9) Voir mes articles sur Gabriel Soria, premier Vice-Président de la Academia Nacional del Tango, en cliquant sur le lien.
(10) Le titre exact, c'est El libro del Tango. Beaucoup de gens à Buenos Aires y font aussi allusion comme au Diccionario del Tango.
(11) 9 pour être exacte. J'ai dû les peser il y a quatre ans pour vérifier que ça rentrait bien dans la franchise de bagage qu'Aerolineas Argentinas m'accordait pour mon voyage de retour, à la fin de mon premier séjour à Buenos Aires en 2007. J'avais pu mettre la main sur les trois tomes de 1980, en occasion, par un hasard qui continue de me surprendre, le troisième jour de mon séjour. L'ouvrage était archi-épuisé depuis déjà une dizaine d'années au moins !
(12) Le livret de cet opéra a été publié par Horacio Ferrer dans son théâtre complet, publié en 2007 chez Editorial del Soñador. Il s'intitule El Rey del Tango en el Reinado de los Sueños (le roi du tango, entendez Carlos Gardel, au royaume des songes).
(13) En 2000, Horacio Ferrer a fait des pieds et des mains pour installer l'institution qu'il avait lui-même fondée dix ans plus tôt dans un somptueux hôtel particulier de style alvearien, du nom de ce maire de Buenos Aires qui, à la fin du 19ème siècle, fit percer la Avenida de Mayo, sur laquelle donne la façade du Palacio Carlos Gardel et qui fut à Buenos Aires ce que le Baron Haussmann fut à Paris. L'immeuble a pu être acheté par la Academia, grâce à l'entregent politique de son président, et une chance de pendu puisque l'acte notarié fut signé la veille de la faillite financière nationale de décembre 2001. Quelques heures de plus, et des annéees de recherche immobilière et de montage financier tombaient à l'eau ! L'ANT a pour ministère de tutelle le Ministère de l'Education Nationale qui lui accorde de maigres subsides, et il ne peut guère faire plus. Il y a quelques années, Horacio Ferrer, qui n'a décidément pas les deux pieds dans le même sabot, a negocié un partenariat de mécénat avec une banque, ce qui injecte à l'ANT quelques ressources supplémentaires mais toujours insuffisantes et l'institution continue de fonctionner bon an mal an essentiellement grâce au bénévolat de bon nombre de ses membres, au premier rang desquels il faut nommer le Maestro Horacio Ferrer lui-même, à leur dynamisme et à leurs capacités à eux-mêmes négocier d'autres accords de partenariat ici et là. C'est aussi la raison pour laquelle l'ANT loue ses salles dès qu'elle sont libres et que tous les cours de danse ou les spectacles qui s'y donnent ne sont pas nécessairement des activités académiques. En général, les activités académiques sont gratuites, à part les formations au long cours (Seminario de Letrista Homero Expósito, Conservatorio Argentino Galván). Les activités payantes n'entrent pas dans le cadre institutionnel. Elles sont seulement locataires du lieu. Soyez donc prudents et ne prenez pas des vessies pour des lanternes (que no les vendan un buzón), en particulier si ces activités font de la retape sur le trottoir au pied de l'immeuble, à la sortie du Tortoni ou des autres grands cafés du voisinage (London City, 36 Billares et autres...). Les activités officielles de l'ANT ne démarchent pas les passants. Quant aux salariés, dont Horacio Ferrer parle dans la phrase suivante, la plupart d'entre eux, ont un deuxième travail ailleurs pour pouvoir boucler les fins de mois (llegar a fin de mes). Et il faut voir ce qu'est leur semaine de travail ! La photo de une, en illustration de cet article, a été prise dans le Salón de los Angelitos Horacio Ferrer et vous pouvez voir qu'effectivement les locaux sont plutôt mignons. La photo intérieure, que vous trouverez en cliquant sur le lien vers l'article du journal a été prise dans la pièce baptisée le Rincón de los Académicos (le coin des Académiciens), l'antichambre du bureau présidentiel.