Cette couverture est en soi tout un poème. Photo qui joue le culte de la personnalité Sous-titre sensationnel : "l'homme qui veut changer l'Eglise" |
Hier,
à la Feria del Libro, le journaliste de La Nación
Mariano de Vieda (à droite sur la photo ci-dessous)
présentait, à côté d'un prêtre, dont
il parle comme d'un de ses anciens camarades d'école, le Père
José Di Paola (Padre Pepe pour les intimes, le journaliste s'en délecte comme s'ils gardaient les cochons ensemble toute la journée !), la première biographie en espagnol du nouveau Pape.
Au titre passablement démagogique : Francisco le Pape du Peuple
(paraphrase de la formule inventée par Tony Blair pour la
princesse Diana).
Même
si l'ouvrage est écrit par un journaliste argentin pour qui ce nouveau Pape ne pouvait pas être un inconnu, il va sans
dire que le peu de temps qu'il a consacré à sa
rédaction (1), pour une sortie le 25 avril, ne peut en faire qu'un bouquin de
circonstance, une publication opportuniste, dont un lecteur avisé
évitera de s'encombrer (2). C'est d'autant plus évident que, comme je vous l'ai montré ces dernières
semaines, les articles de La Nación sur le fait religieux ne brille guère par la profondeur de leur contenu. Or l'auteur est justement
le chroniqueur religieux du quotidien.
Le
livre, publié chez Destino, une filiale du géant
espagnol Planeta, fait ce matin l'objet d'un entrefilet dans La
Nación, avec plus de place pour la photo que pour le texte (on
est jamais mieux servi que par soi-même ou par les siens). Le
papier, signé Fernando Massa, est si indigent qu'il m'évite
d'avoir à vous le traduire. Il contient essentiellement une
anecdote absurde sur une dame qui s'est un jour confessée
auprès du Cardinal Bergoglio dans le métro (quelle idée
!) et qui, au lieu de se réjouir d'avoir prié, s'est
mise à se vanter auprès des autres voyageurs d'avoir
été confessée par le prélat. Proprement
affligeant ! L'autre fait saillant du papier (si l'on peut dire) est cette
mention qui nous présente, comme en passant, le père Di Paola
comme le "référent des curés villeros"
(des bidonvilles), ce qui ne veut rien dire. Lui-même,
pour soutenir le livre de son vieux copain d'école, aurait
tenu les propos mémorables, repris par Massa en citation
indirecte, que voici : la biografía es un libro que acerca
mucho a la figura de Bergoglio en sus días en la Argentina,
cuando viajaba en subte, colectivo o tomaba mate con un grupo de
gente en alguno de los asentamientos de la ciudad. (La Nación)
– "Cette biographie est un livre qui nous montre bien la figure de
Bergoglio quand il vivait en Argentine, qu'il se déplaçait
en métro et en bus et qu'il buvait le mate avec un groupe de
gens dans l'un ou l'autre quartier déshérités de
la ville" (traduction Denise Anne Clavilier).
On
en apprend des choses, n'est-ce pas ? Il est clair que le journal, qui
instrumentalise à longueur d'année la gravité
des problèmes sociaux du pays pour attaquer la gauche, surtout
si elle est au pouvoir, sans jamais proposer de solutions un tant
soit peu réalisables ou justes à ce phénomène,
se sert ici de cet homme comme d'une caution morale.
Avec
de pareils amis, l'Eglise n'a pas besoin d'ennemis en Argentine...
Et l'on comprend dès lors que le Cardinal Bergoglio
n'ait jamais accordé d'interview à la presse.
Pour
aller plus loin (si le cœur vous en dit) :
lire
la présentation du livre sur le blog de l'éditeur,
Destino (c'est du même tonneau, discours amphigourique et
creux, avec des réflexions imbéciles, du genre :
comment est-il devenu le premier pape argentin et jésuite en
2000 ans ? Vu que l'Argentine a deux cents ans et la Compagnie de
Jésus cinq cents, cette question est en soi un non-sens).
(1)
Il dit lui-même, dans cet article, avoir écrit le
bouquin à Rome où il est parti au lendemain de
l'élection comme envoyé spécial pour l'ouverture
du nouveau pontificat. Il est peu probable qu'il ait eu sa
documentation avec lui (pour être de qualité, une grande
partie de celle-ci ne peut être constituée que de
documents imprimés épars, livres, feuillets de messe,
bulletins paroissiaux et diocésains, documents émis par différentes conférences épiscopales, nationale et régionale, auxquelles a appartenu le cardinal, voire qu'il a présidées,
revues spécialisées, coupures de presse argentine,
sud-américaine, vaticane et italienne...). Or une fois dans la Ville Eternelle, il a dû avoir du travail à revendre vu l'agenda
ultra-chargé du nouvel élu ces jours-là et il
n'a passé en Italie qu'une petite semaine tout au plus, car
la charge économique que représente pour un journal sud-américain le séjour d'un de ses journalistes en Europe ne permet pas
d'y maintenir plus longtemps un envoyé spécial et c'est
à Rome, nous dit-il, qu'il a fini le livre !
(2)
Mieux vaut attendre un ou deux ans pour voir apparaître dans
nos librairies des travaux dignes d'intérêt. En France
aussi, un éditeur s'est précipité sur le sujet
et le journaliste Michel Cools a signé un truc, sorti bien trop tôt pour que le rapport qualité/prix
soit à l'avantage du lecteur. Ce qui est en revanche
intéressant dès à présent, ce sont les
recueils d'homélies et de réflexions déjà
en vente ou en cours de préparation. Le travail critique est
bien moindre pour l'éditeur qui constitue le recueil et les
ouvrages sont donc réalisables dans les délais impartis
par les exigences du marché, à un moment où le
secteur du livre se porte modérément bien, à
cause de la crise et de la piraterie sur Internet. Ce qui n'oblige
aucun éditeur à gruger le client pour autant.