"Cette place n'appartient ni à hier, ni à aujourd'hui mais au futur" |
Rarement
les Te Deum du 25 Mai auront autant attiré l'attention de la
rédaction de Página/12 ! Pas moins de trois articles
sur le sujet (assez répétitifs d'ailleurs) dans
l'édition d'hier matin.
Outre
cette une renversée consacrée à la fête
politique et musicale organisée par le Gouvernement national
sur Plaza de Mayo et les trois articles consacrés aux
initiatives de celui-ci pour cette journée, dont le discours
très électoraliste tenu à la nuit tombée
par Cristina de Kirchner, qui célébre les dix ans au
pouvoir du courant de pensée qu'elle représente (son
défunt mari a été élu en 2003), le
journal a fait aussi la tournée des Te Deum sur tout le
territoire, du nord au sud, d'est en ouest, transformant les homélies
prononcées par les évêques et archevêques
en une série de petites phrases où les journalistes ont
cherché les sous-entendus partisans. Sans pouvoir en
débusquer. L'épiscopat à l'unisson s'est tenu à
un discours très conciliant et particulièrement
pacificateur.
Dans
les colonnes du journal, la déclaration présidentielle
du soir, "Yo quiero la unidad de todos los argentinos. Pero
quiero la unidad con memoria, con verdad y con justicia porque sin
eso no hay unidad posible y la necesitamos" (Je veux l'unité
de tous les Argentins mais je veux l'unité en même temps
que la mémoire, la vérité et la justice, parce
que sans cela il n'y a pas d'unité possible et nous avons
besoin d'elle – traduction Denise Anne Clavilier) (1), fait écho
à des citations (tirées de leur contexte) piquées
ici et là dans la bouche des célébrants
liturgiques, l'un à Luján en présence du Chef de
l'Etat, l'autre à Buenos Aires en présence de Mauricio
Macri, d'autres à Córdoba, Santa Fe (dont l'archevêque
est l'actuel président de la Conférence épiscopale
argentine, donc épié par la gauche en quête d'un
faux pas), Río Grande, Corrientes et San Juan. A la poursuite
de ces homélies locales, le journal a établi une
véritable chasse à la citation papale (du temps où
François s'appelait Jorge Bergoglio et où le monde
entier ignorait jusqu'à son existence, mais pas Página/12
qui l'attendait au tournant de tout et n'importe quoi), quelque chose
comme une chasse aux œufs de Pâques mais à la Trinité
et par matin frisquet. Où le journal reconnaît entre les
lignes que l'Eglise argentine veut, elle aussi, le progrès
social, une juste redistribution, la solidarité entre les catégories sociales et les générations, et qu'elle les réclame, à ceci près qu'à
l'inverse du monde politique, elle le fait en cherchant à
dépasser les brèches partisanes qui divisent le pays
(encore plus dans une année électorale comme celle que
nous vivons). Le lecteur a droit aussi à des interprétations
fantaisistes et réductrices comme on peut le voir sur ce
passage tiré du reportage sur la cérémonie de
Luján :
“El
desprecio a los derechos de los pueblos más vulnerables, la
trata de personas –incluso de niños– son moneda corriente.
Nuestros errores como Iglesia no quedan fuera de este panorama”.
Esto último quizá fue una alusión a los casos de
pedofilia perpetrados por curas que se conocieron tanto en la
Argentina como en diversas partes del mundo.
Página/12
"Le
mépris des droits des peuples les plus vulnérables, la
traite des personnes -y compris celle des enfants- sont monnaie
courante (2). Nos erreurs, à nous l'Eglise, ne sont pas à
écarter de ce panorama" (3). Ce dernier point était
peut-être une allusion aux cas de pédophilie perpétrés
par des prêtres et qui ont été révélés
tant en Argentine qu'en diverses parties du monde.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Que
vient faire la pédophilie, crime individuel d'une poignée
de pervers, je vous le demande un peu !, dans cette dénonciation
d'un système socio-économique à l'échelle
planétaire qui met l'homme au service du profit d'un petit
nombre de gens très puissants (type Mittal et autres magnats
équipé d'un portefeuille en guise de cervelle et de
cœur) et d'une structuration de l'ordre mondial qui asservit l'homme
(4). Le journaliste ne se rend pas encore compte qu'il passe à
côté du véritable discours de l'homme et va
chercher l'explication du mauvais côté.
Le
journal s'attarde aussi lourdement, il faut dire qu'il y a matière,
sur les contradictions de Mauricio Macri, venu avec tout son
Gouvernement parader au Te Deum de la cathédrale de Buenos
Aires présidé pour la première fois par le
nouvel Archevêque. Mgr Mario Poli n'a cessé d'appeler
lui aussi au dialogue entre les différents courants du pays
avec des phrases pesées au trébuchet. Mais pas plutôt
sorti de l'église, le Chef du Gouvernement portègne,
qui a fait semblant de l'approuver, s'est lancé dans son jeu
favori : casser du sucre sur le dos de la Présidente et pour
un oui ou un non, prouvant une nouvelle fois, si c'était
nécessaire, qu'il récupère et instrumentalise
tout, le tango, la religion et le reste. C'est une tactique assez
pitoyable mais elle marche, car seuls les lecteurs de Página/12,
dont on est assuré qu'ils ne voteront jamais pour lui, peuvent
prendre connaissance de ce comportement puisque ni Clarín, ni
La Nación ni La Prensa ne se font écho de ces
perpétuelles contradictions chez lui entre le fond et la
forme, le discours et les actes.
Pour
aller plus :
lire
l'article principal de Página/12 sur le rassemblement sur
Plaza de Mayo (dix ans de progrès et de succès, selon
le slogan kirchneriste)
lire
l'article de Página/12 sur la fête musicale sur Plaza de
Mayo (surtout du rock nacional et du folclore)
lire
l'article de Página/12 sur le Te Deum de Luján, auquel
la Présidente a participé (5)
lire
l'article de Página/12 sur le Te Deum de Buenos Aires et les
tartarinades de Mauricio Macri, au côté d'une Vice-Chef
du Gouvernement qui avait choisi samedi de porter un noir très
strict, à la manière de Cristina (quelle manipulation
de l'image, tout de même !)
lire
l'article de Página/12 sur la tournée des Te Deum dans
le pays (et la chasse aux œufs !)
(1)
C'est très difficile d'appeler à l'unité
nationale en Argentine parce que ce thème a été
usé jusqu'à la corde et dans le mensonge par la
Dictature, jusque dans les remerciements que la famille Videla a
publiés dans le carnet de La Nación à la fin de
la semaine dernière pour exprimer sa gratitude aux nombreuses
personnes qui, d'après elle, lui ont manifesté leur
sympathie après la mort de l'ex-dictateur. Elle a appelé
à prier pour la concorde de tous les Argentins et la démocrate
que je suis constate qu'elle s'est gardé de toute allusion à
la Dictature elle-même. Ce qui semble indiquer au moins que
même au sein de cette famille ultra-compromise dans les années
de plomb, on reconnaît que les temps ont changé et qu'il
n'est plus envisageable de faire la moindre apologie d'un régime
condamné unanimement par toute la presse dès que la
mort de Videla a été connue. C'est à cause de ce
mésusage de la notion d'unité que Cristina est obligée
de mettre des conditions à son emploi et que les évêques
et jusqu'au Pape associent l'idée à celle de dialogue à
instaurer dans le pays (puisque personne, c'est sûr, ne peut
associer la dictature au dialogue). C'est aussi pour cette raison,
entre autres, que les appels à l'unité,dès lors
qu'ils étaient formulés par l'Eglise et singulièrement
par le Cardinal Bergoglio alors archevêque de Buenos Aires, ont
systématiquement été interprétés
en mauvaise part par Página/12 et par ses lecteurs. J'en
connais plusieurs et je me souviens de discussions épiques (et
douloureuses pour eux comme pour moi) avec des amis "progre"
(de gauche) à ce sujet. Ils étaient si remontés
qu'ils étaient sourds à tout ce que je pouvais leur
dire. Impossible pour eux d'aller regarder le fond des choses,
putréfié par les mensonges entretenus par la Junte
militaire pendant sept ans. Aujourd'hui, l'action publique du Pape,
parce tout se passe à Rome dans un autre contexte médiatique
et géo-politique, a sans doute permis à bon nombre de
ces Argentins de prendre conscience du caractère partisan
qu'ils ont attribué à la signification de certains
mots. Et la réciproque est sans doute vraie pour au moins une
partie de la droite, même si ni Clarín, ni La Nación
ne me permettent de m'en rendre compte depuis Paris. On verra sur
place comment se présente la situation d'aujourd'hui.
(2)
Si vous êtes désormais familiers du style du Pape
François, vous avez d'ores et déjà reconnu une
phrase du Cardinal Bergoglio. Ses mots sont exactement les mêmes
aujourd'hui.
(3)
Le cardinal dit clairement ici que l'Eglise en Argentine a sa part de
responsabilité dans cette mise en place systémique, ce
qui est tout à fait dans la ligne de ce qu'il dit aujourd'hui
comme Pape (il ne cesse de mettre le doigt sur les comportements
anti-évangéliques au sein de l'Eglise, tous les jours
dans son homélie, souvent avec un grand sens de l'humour et de
la formule. Vérifiez sur le site du Vatican, si vous ne me
croyez pas). Ce qu'il disait là va dans le sens de Página/12
mais le journaliste est tellement persuadé que c'est
impossible qu'il se bat les flancs pour trouver une autre explication
qui tienne debout et ça tourne à l'obsession sexuelle.
(4)
Les scandales de pédophilie semblent remplir l'horizon de la
rédaction de Página/12 un peu coupée dans son
élan pamphlétaire il y a quelques jours par la décision
d'un évêque de porter en justice des actes criminels
dont un prêtre de son diocèse s'est rendu coupable. Le
journal en a honnêtement rendu compte tout en laissant paraître
sa perplexité devant une situation tactique à laquelle
il a du mal à s'adapter. Comment continuer à taper sur
l'Eglise à bras raccourcis si elle fonctionne désormais
en obéissant à ces consignes qui datent Benoît
XVI et il y a un bon moment ? Mince alors !
(5)
La droite réclame le retour à ce qu'elle appelle le "Te
Deum historique" et que Radio Vatican appelle le "Te Deum unitaire" (unissant le pouvoir temporel et l'autorité religieuse dans
une même célébration patriotique). De mémoire
d'homme, depuis deux cents ans que le 25 Mai est institué fête
nationale (par l'Assemblée de l'An XIII), le Te Deum dit
national est celui qui est célébré dans la
cathédrale de Buenos Aires et aucun autre. Bon nombre
d'Argentins vivent donc comme une insulte à l'histoire que la
Présidente aille fêter ce Te Deum ailleurs. En
Argentine, le processus de constitution de la Nation n'est pas
achevé. Il est donc encore impossible symboliquement de
bousculer un tant soit peu les traditions. Ce qui nous paraît à
nous, Européens, complètement ahurissant. A cela
s'ajoute que le choix de Néstor puis de Cristina Kirchner
d'aller voir ailleurs si le ciel est plus bleu s'explique par le
boycott (insultant) du Cardinal Bergoglio qui a eu le courage, mais
aussi le malheur, en 2004 de mettre en garde Néstor Kirchner,
pendant ce Te Deum national, contre un risque d'autoritarisme dans le
pays (risque bien réel dans un Etat à terre après
la faillite de tout le système financier et qui venait
d'appeler à sa tête un courant politique historiquement
connu pour son autoritarisme, le péronisme, qui est à
l'Argentine ce que le bonapartisme est à la France). Néstor
Kirchner semble ne lui avoir jamais pardonné cette mise en
garde et lui a fait une guerre inimaginable jusqu'à sa mort en
octobre 2010, favorisant, pour autant qu'on puisse l'interpréter,
le développement des ragots et des rumeurs sur l'attitude du
cardinal pendant la Dictature, ce qui reste encore la meilleure
manière de déconsidérer un adversaire en
Argentine comme très longtemps en France et en Belgique, les
politiciens se sont débarrassé d'opposants ou de rivaux
gênants en leur attribuant, à tort ou à raison,
des conduites indignes sous l'Occupation...