Sur le côté, l'article intitulé El contra Mayo francés concerne les manifestations anti-mariage gay en France |
Mercredi
dernier, la Présidente argentine, Cristina Fernández de
Kirchner, que ses partisans surnomme CFK en hommage à qui vous
imaginez dans l'hémisphère nord et les années
60, a annoncé d'importantes décisions
économico-sociales dont j'ai rendu compte le lendemain (voir
mon article du 23 mai 2013).
Au
milieu des augmentations en quelque sorte habituelles depuis son arrivée à la magistrature suprême, elle a glissé une décision peu commentée mais qui casse
certains modèles en vigueur : pour les allocations
familiales réservées aux personnes exclues du
dispositif de sécurité sociale (donc les plus
défavorisés d'entre les Argentins, les chômeurs,
les salariés non déclarés, parfois mieux payés certes que leurs homologues déclarés mais sans aucune couverture
sociale, etc.), les AUH, elle a décidé que désormais ces sommes seraient versées tous les mois aux
mères et non plus aux pères de famille comme c'était
le cas jusqu'à présent. Pourquoi ? Pour prémunir
ces femmes du risque que le père des enfants, lorsqu'il
abandonne le domicile conjugal sans s'acquitter d'une
pension alimentaire, ne continue à toucher l'allocation pour
ses enfants dont il s'est détourné. Ce qui revient à
mettre tous les pères (pauvres) dans le même sac, une
stigmatisation dont je ne suis pas sûre que ceux qui, malgré
les difficultés sociales et professionnelles qu'ils rencontrent, assument
leur devoir vis-à-vis de leur progéniture l'apprécient
beaucoup...
Tout
un système est en cours d'installation à l'ANSeS,
l'administration de la Sécurité Sociale argentine, pour
créer les comptes des nouvelles bénéficiaires et
faire en sorte que tout soit prêt pour le 1er juin,
date du début de la réforme. Página/12 y
consacre rien moins que sa une ce matin, y voyant une victoire contre
le système patriarcal que le journal voue aux gémonies...
Quand
on sait les dégâts que, depuis une quarantaine d'années,
dans les pays développés et en particulier dans leurs
ghettos défavorisés, la progressive
déresponsabilisation des pères et le discrédit institutionnel et réglementaire qui a ainsi été jeté sur eux, provoquent dans
l'intégration et la réussite sociales de leurs enfants,
on frémit en voyant cette tendance gagner du terrain en
Argentine. Sans doute fallait-il trouver une solution pratique et
efficace contre les pratiques malhonnêtes de certains pères
(et beaux-pères) mais de là à voir dans cette
évolution un progrès social !
Le
système de règlement au père de famille est
toutefois maintenu pour les familles régulièrement
couvertes par le système de Sécurité sociale, ce
qui instaure une Sécu à deux vitesses, entre des
familles réputées stables, pour lesquelles l'Etat fait
a priori confiance aux pères (et non aux deux parents à
part égale) et des familles dont les pères seraient a
priori irresponsables, voire quelque peu voyous et susceptibles
d'agissements dont l'Etat protège les mères (1). C'est injuste et c'est humiliant alors que l'AUH affichait à ses débuts l'objectif inverse (voir mon article du 26 novembre 2009 sur cette création d'un nouveau droit). Il va
sans dire que cette brèche ouverte dans le modèle
familial traditionnel et l'influence que cela peut avoir sur le
regard que des enfants pourront à terme porter sur leur père
heurtent de front les valeurs traditionnelles toujours très
vivaces dans une grande partie de la société argentine.
Il est probable que pendant la campagne électorale, cette
brèche va participer à marquer les camps respectifs et
aggraver la fracture idéologique déjà bien
profonde dans le pays (2) et c'est peut-être la raison pour
laquelle Página/12 a choisi d'en faire sa très étrange
une ce matin. Pour autant, il n'est pas sûr que les Argentins
connaissent la nature et les éléments constitutifs de
la crise morale que traversent nos sociétés
post-industrielles.
La
campagne électorale officielle commence à la fin du
mois de juin, avec les primaires universelles et obligatoires pour
tous les partis, en vue de désigner les candidats qui se
présenteront aux suffrages pour les sièges de députés,
nationaux et provinciaux, et de sénateurs à renouveler
cette année.
Pour
aller plus loin :
(1)
On n'est pas loin du préjugé qui existait pendant la
Grande Immigration (1880-1930), où l'on distinguait les
familles bien (en général aisées, bien logées
et socialement intégrées de longue date) et les
familles suspectes, celles des étrangers, celles des faubourgs
et des conventillos (taudis habités par les pauvres et les
miséreux)... On se croirait dans un texte de tango de l'Age d'Or (1930-1940)... Etonnant de voir resurgir ainsi ce modèle
sous une plume de Página/12, fermement installé dans le
camp progressiste. Il est vrai toutefois que le journaliste et le
titreur renversent quelque peu les valeurs traditionnelles, en
décrivant la femme chef de famille comme une héroïne
des temps modernes. Ce qu'elle est bien entendu. Cela permet aussi de
contrecarrer l'un des arguments des adversaires du système
actuel des AUH, qui voient dans cette allocation un schéma
d'assistance qui encourage la paresse. En effet, l'allocation est
bien soumise à un contrôle concernant les enfants
(scolarisation, suivi médical) mais à aucun contrôle
pour vérifier que les parents cherchent effectivement du
travail. Toujours la même idée ultra-libérale qui
veut que les bénéficiaires d'une aide de la
collectivité soient tous des profiteurs qui vivent aux
crochets des autres. Pourtant l'instauration des AUH ont visiblement
réduit la mendicité infantile (on ne voit plus de
petits mendiants en semaine, ils sont à l'école) et
elle a considérablement amélioré les conditions
de vie concrètes des enfants des classes les plus défavorisés.
(2)
Contrairement à ce qu'on observe en Europe, les partis
politiques ont tendance à radicaliser leurs positions
respectives pendant une campagne électorale alors qu'ici, ils
ont la tendance inverse : ils tâchent d'aller chasser dans les
périphéries de leurs adversaires politiques, pour
séduire une partie de leurs électeurs. D'où un
discours parfois très confus.