Le
Culpo (jeu de mot intraduisible entre culpa, faute, et pulpo, poulpe)
du dessinateur nourri de psychanalyse Miguel Rep s'en prenait ce matin
aux révolutionnaires de 1810...
Ce céphalopode denté,
vert-pomme et rabat-joie, hante en effet de loin en loin la vignette
quotidienne de Página/12.
Tous
les personnages sont coiffés du couvre-chef typique de
l'époque napoléonienne qui en vient à symboliser
dans la mémoire argentine ce moment historique comme en France
le bonnet phrygien nous suffit à faire remonter en nous des
émotions de prise de la Bastille.
Le Culpo : Ça ne vous
fait pas de peine de prendre des terres aux Espagnols ? Vous
n'avez pas honte de crier Révolution à un pauvre
vice-roi (1) et de le mettre à la porte ? Ça
ne vous gêne pas de profiter du fait que les pauvres Galiciens (2) souffrent à cause de Napoléon (3) ? Vous savez le
nombre de morts que ça va vous coûter le 25 Mai ?
Ingrats, c'est grâce à eux que vous parlez espagnol !
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
(1)
Le pauvre vice-roi en question, Baltasar de Cisneros, a laissé
en Argentine un souvenir épouvantable, un peu comme en France
Louis XVI et Marie-Antoinette. Cette image repoussante correspond
assez peu à la réalité historique qui était
elle beaucoup plus nuancée. En l'occurrence, l'homme était
un héros de la guerre de l'Espagne, alliée à la
France, contre les Anglais. Il était l'un des trois amiraux
espagnols qui avaient survécu à Trafalgar, dont il
était sorti invalide : il avait perdu l'ouïe à
cause d'un obus qui avait explosé tout près de lui. Ce
handicap explique un part de son comportement pendant la Semaine de
Mai : il n'entendait pas les bruits de la ville et il n'a compris que
très tard son impopularité et le niveau de
mécontentement du peuple. Il a été surpris par
la révolution un peu comme Ceaucescu, dont il n'avait
cependant ni la cruauté ni les délires mégalomanes
et paranoïaques.
(2)
Une particularité linguistique argentine : désigner
tous les Espagnols comme Galiciens, comme les Français
prennent tous les Britanniques pour des Anglais ou tous les
Néerlandais pour des Hollandais. Contrairement à ce
qu'on serait tentés de croire, ce n'est pas le résultat
de la grande Immigration des années 1880-1930. Le phénomène
se rencontre déjà dans les documents historiques de la
guerre d'indépendance. Dans ses mémoires, parues en
deux volumes en 1827 et 1828, le général William
Miller, qui fut l'un des collaborateurs du général José
de San Martín pendant la campagne de libération du
Pérou (1820-1822), raconte une anecdote savoureuse sur ces
mauvaises manières des Argentins vis-à-vis des
Péninsulaires, y compris ceux qui s'étaient rangés
du côté de la Révolution américaine et qui
en ont vu des vertes et des pas mûres.
(3)
Allusion à l'invasion de l'Espagne par l'armée
impériale entre 1808 et 1814.