Depuis
la conférence de presse mercredi dernier et les prises de position péremptoires et
contestables de l'ex-femme de Alberto Nisman, la juge fédérale Sandra Arroyo
Salgado, qui se drape dans son décorum judiciaire alors qu'elle n'est pas magistrat dans cette cause mais partie civile, le quotidien de l'opposition La
Nación prend, dans les articles techniques consacrés à l'affaire, ses distances avec la thèse de l'homicide soutenue par Arroyo Salgado. Cependant, les éditorialistes du journal conservent leur ton
polémique, arrogant et injurieux à l'égard du gouvernement qu'ils
persistent à vouloir impliquer dans le scandale d'une manière ou
d'une autre.
La Nación est le plus ancien quotidien argentin. Il est
possible que la rédaction tienne à sa crédibilité nationale et
internationale. A moins qu'elle continue à entretenir une
schizophrénie bien utile à la droite qui peut ainsi manipuler à
l'envi l'opinion publique avec des arguments qui disent tout et son contraire.
Tout
ce week-end et ce matin encore, La Nación publie articles et
analyses qui s'éloignent quelque peu des théories complotistes et
manipulatoires de la juge fédérale partie civile, qui se comporte depuis mercredi comme si elle ne connaissait plus rien aux règles
du droit et de la procédure dont elle a fait son métier.
C'est
ainsi que samedi, on trouvait dans ce journal
- un article rapportant les avertissements de la procureur Viviana Fein, en charge de l'enquête préliminaire, qui signale que les fuites du dossier sont utilisées dans les médias pour embrouiller l'opinion publique (confundir a la sociedad),
- un autre qui relaye sa stupéfaction devant les résultats divergents entre les expertises ordonnées par elle-même et la juge d'instruction d'une part et les interprétations avancées par les experts désignés par la partie civile d'autre part (lesquels n'ont pas effectué une expertise au sens judiciaire du terme mais établi un simple rapport, comme l'a démontré dimanche matin un médecin légiste extérieur à l'affaire interviewé par Página/12),
- une analyse des premiers résultats de l'examen de l'ordinateur de Alberto Nisman, qui contredisent les affirmations catégoriques de son ex-femme, que le journaliste ne ménage guère. En effet, elle a prétendu qu'il était mort le samedi soir alors qu'il apparaît qu'il a consulté plusieurs sites Internet à 8h du matin le dimanche (il se trouvait alors seul chez lui), soit une quinzaine d'heures avant que sa mère et l'un de ses gardes du corps le découvrent baignant dans son sang dans la salle de bain.
Schéma publié par La Nación hier |
Hier
dimanche, La Nación continuait à étudier les arguments qui
invalident la théorie de l'assassinat avec un article qui reprend le déroulé des faits du week-end tragique (17 et 18 janvier) et montre le peu de zèle des collaborateurs et
gardes du corps de Nisman à faire leur travail en
temps et en heure (ce dimanche-là devait être une journée ouvrée pour le procureur), cet article est accompagné d'un schéma
récapitulatif bien fait et clair qui illustre cette entrée de Barrio de Tango ;
Dans
un autre article, plus tardif, un journaliste résume l'analyse de
Raúl Zaffaroni qui a accordé hier matin une interview matinale à
trois journalistes de Radio Nacional Rock. Zaffaroni est un ex-membre
de la Cour Suprême. Sommité du droit largement reconnu par ses
pairs en Europe et aux Etats-Unis, il ne cesse d'être accusé par
l'opposition de faire le jeu du gouvernement. Or hier il a tenu des
propos qui méritent d'être relevés : il a d'abord mis en
doute le fait que le défunt procureur Nisman soit l'auteur ou
l'auteur unique du réquisitoire contre la Présidente, un document
qu'il dit répétitif, confus et difficile à lire ; il a
ensuite reconnu le professionnalisme de la procureur Viviana Fein,
sournoisement attaquée par la partie civile qui tente de lui mettre
des bâtons dans les roues en multipliant toujours à contretemps des
demandes d'expertise incohérentes ; il a enfin écarté une
nouvelle fois la possibilité d'entamer un procès pénal pour des
actes qui n'ont pas connu le moindre début de commission et ne sont
donc pas répréhensibles dans le code pénal argentin.
Ce
matin, c'est en une que La Nación évoque l'existence d'une enquête Nisman qui ne serait en fait qu'une querelle de pouvoir.
Si
un quotidien aussi opposé au gouvernement en place que La Nación
prend ses distances avec des arguments qui visent à déstabiliser le
gouvernement, il est à souhaiter qu'on atteigne un tournant de
l'affaire, un point d'inflexion à partir duquel elle cesserait
d'être instrumentalisée sur le plan politique. Mais il reste à
voir si les éditorialistes abandonneront leurs insinuations polémiques
qui pervertissent la démocratie et à connaître la décision de la
chambre fédérale quant à l'appel du parquet contre l'ordonnance de
non-lieu en faveur de la présidente, prise le 26 février par le
juge d'instruction Daniel Rafecas (voir mon article du 27 février 2015 sur le sujet).
Autre
journal de la droite, La Prensa revient elle aussi, sans distorsion,
sur les propos de Raúl Zaffaroni.
Le
lecteur pourra avantageusement comparer ces articles de l'opposition
avec ceux que publie sur les mêmes questions Página/12 aujourd'hui
même :
- l'analyse des propos de Raúl Zaffaroni
- le billet de Horacio González qui, en sa qualité de sociologue, tente de démonter les mécanismes de rumeur à l'œuvre et le recours à la science à la manière des positivistes du 19e siècle par la partie civile qui investit ses apparitions publiques des codes de la fonction judiciaire pour donner de la crédibilité à ses propos partisans (González dirige la Biblioteca Nacional Mariano Moreno)
- et celui que Eduardo Aliverti consacre ce matin aux ambiguïtés de la presse oligopolistique (Clarín, La Nación, La Razón, La Prensa, etc) et au récent discours du président de la Cour Suprême (qui ne cache pas son esprit partisan de droite) lors de l'ouverture de l'année judiciaire.
En
cliquant sur le lien, écoutez l'interview radiophonique de Raúl Zaffaroni sur Radio Nacional Rock hier (24 mn environ).