jeudi 10 juin 2021

L’autre agriculture s’organise face au grand patronat agraire [Actu]


Alors que la grève des producteurs de viande se prolonge, pour protester contre la fermeture temporaire des frontières à l’exportation de bœuf décidée par le gouvernement, de petits et moyens agriculteurs viennent de s’unir en une organisation professionnelle pour mieux résister à la pression de ces gros acteurs du marché : il s’agit de la Mesa Agroalimentaria Argentina (le bureau agroalimentaire argentin). Ils reprennent ainsi le vocabulaire du grand patronat qui a créé lors du premier mandat présidentiel de Cristina Kirchner la Mesa de Enlace (ou bureau de liaison) pour résister à la politique du gouvernement de gauche en place.

La Mesa Agroalimentaria Argentina se compose d’agriculteurs qui produisent pour le marché intérieur. Ils se disent patriotes. Ils entendent en effet nourrir leur pays en lui fournissant des vivres de qualité dans tous les domaines : viandes, œufs, produits laitiers, céréales, fruits, légumes, légumineuses, huiles et oléagineux et bien sûr yerba mate.

La MAA a été fondée à Mendoza, dans une exploitation récupérée par des paysans sans terre, entre trois organisations paysannes déjà existantes et très actives dans l’économie alternative : l’Union des travailleurs et travailleuses de la Terre (UTT), le Mouvement national paysan indigène Nous sommes Terre (MNSCI ST) et la Fédération de Coopératives fédérées (FECOFE). La MAA veut implanter son modèle, une agriculture visant « la souveraineté » alimentaire, une nourriture saine pour tout le monde et la justice sociale. Ce faisant, elle combat le modèle dominant, celui d’un patronat qui produit d’abord pour exporter et s’enrichir en accumulant des devises en payant le moins d’impôt possible (y compris par l’évasion fiscale et celle des capitaux) (1).

L'un des stands de vente

A peu près au même moment, les artisans pêcheurs se battent eux aussi pour améliorer leur situation économique et défendre le consommateur argentin. Ils viennent d’organiser sur Plaza de Congreso, c’est-à-dire à sous les yeux des parlementaires, une grande vente directe de poissons à la population de Buenos Aires à partir de leurs camions frigorifiques en provenance d’assez loin : 100 pesos le kilo de poisson, toutes espèces confondues. Or ces artisans, qui pêchent souvent en eaux douces, pour profiter de l’intense réseau de rivières, de fleuves et de lacs de l’Argentine, se disent tenus à la gorge par les grossistes qui leur achètent leur pêche entre 20 et 40 pesos le kilo pour la revendre à la grande distribution au cours mondial. Ce qui mène le poisson pour le consommateur final au même prix qu’en Europe ou en Amérique du Nord. Exactement ce que dénonçait récemment le président Alberto Fernández au sujet de la viande de bœuf dont il dénonçait les prix au détail : les mêmes que ceux pratiqués dans les boucheries parisiennes. Ce qui explique qu’il ait fermé les frontières.

La file des acheteurs faisait le tour de la place.
Notez que tous respectent la distanciation physique

Cette opération médiatique des artisans pêcheurs a intéressé la presse (sauf La Nación qui n’en dit pas un mot) mais la naissance de la MAA n’a retenu que l’attention de Página/12. Comme d’habitude. Il est vrai qu’une vente sur Plaza de Congreso a plus de chance d’être visible par un journaliste de Buenos Aires qu’une conférence de presse au fin fond de la province si lointaine de Mendoza. D’autant que les journalistes eux aussi ont peu être séduits par ce poisson ultra-frais à très bon marché.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 sur la vente de poissons sur Plaza de Congreso



(1) Le peso argentin n’est pas convertible. S’enrichir en devises fortes, c’est garantir la pérennité de sa fortune. D’où la recherche permanente de clients à l’exportation. Le peso connaît des fluctuations incessantes. Le peso est même en chute libre face au dollar et à l’euro depuis que Mauricio Macri a fait appel au FMI, il y a quatre ans.