Alors que la grève des producteurs de viande se prolonge, pour protester contre la fermeture temporaire des frontières à l’exportation de bœuf décidée par le gouvernement, de petits et moyens agriculteurs viennent de s’unir en une organisation professionnelle pour mieux résister à la pression de ces gros acteurs du marché : il s’agit de la Mesa Agroalimentaria Argentina (le bureau agroalimentaire argentin). Ils reprennent ainsi le vocabulaire du grand patronat qui a créé lors du premier mandat présidentiel de Cristina Kirchner la Mesa de Enlace (ou bureau de liaison) pour résister à la politique du gouvernement de gauche en place.
La Mesa Agroalimentaria Argentina se compose d’agriculteurs qui produisent pour le marché intérieur. Ils se disent patriotes. Ils entendent en effet nourrir leur pays en lui fournissant des vivres de qualité dans tous les domaines : viandes, œufs, produits laitiers, céréales, fruits, légumes, légumineuses, huiles et oléagineux et bien sûr yerba mate.
La MAA a été
fondée à Mendoza, dans une exploitation récupérée par des
paysans sans terre, entre trois organisations paysannes déjà
existantes et très actives dans l’économie alternative :
l’Union des travailleurs et travailleuses de la Terre (UTT), le
Mouvement national paysan indigène Nous sommes Terre (MNSCI ST) et
la Fédération de Coopératives fédérées (FECOFE). La MAA veut
implanter son modèle, une agriculture visant « la
souveraineté » alimentaire, une nourriture saine pour tout le
monde et la justice sociale. Ce faisant, elle combat le modèle
dominant, celui d’un patronat qui produit d’abord pour exporter
et s’enrichir en accumulant des devises en payant le moins d’impôt
possible (y compris par l’évasion fiscale et celle des
capitaux) (1).
L'un des stands de vente |
A peu près au
même moment, les artisans pêcheurs se battent eux aussi pour
améliorer leur situation économique et défendre le consommateur
argentin. Ils viennent d’organiser sur Plaza de Congreso,
c’est-à-dire à sous les yeux des parlementaires, une grande vente
directe de poissons à la population de Buenos Aires à partir de
leurs camions frigorifiques en provenance d’assez loin : 100
pesos le kilo de poisson, toutes espèces confondues. Or ces
artisans, qui pêchent souvent en eaux douces, pour profiter de
l’intense réseau de rivières, de fleuves et de lacs de
l’Argentine, se disent tenus à la gorge par les grossistes qui
leur achètent leur pêche entre 20 et 40 pesos le kilo pour la
revendre à la grande distribution au cours mondial. Ce qui mène le
poisson pour le consommateur final au même prix qu’en Europe ou en
Amérique du Nord. Exactement ce que dénonçait récemment le
président Alberto Fernández au sujet de la viande de bœuf dont il
dénonçait les prix au détail : les mêmes que ceux pratiqués
dans les boucheries parisiennes. Ce qui explique qu’il ait fermé
les frontières.
La file des acheteurs faisait le tour de la place. Notez que tous respectent la distanciation physique |
Cette opération médiatique des artisans pêcheurs a intéressé la presse (sauf La Nación qui n’en dit pas un mot) mais la naissance de la MAA n’a retenu que l’attention de Página/12. Comme d’habitude. Il est vrai qu’une vente sur Plaza de Congreso a plus de chance d’être visible par un journaliste de Buenos Aires qu’une conférence de presse au fin fond de la province si lointaine de Mendoza. D’autant que les journalistes eux aussi ont peu être séduits par ce poisson ultra-frais à très bon marché.
Pour aller
plus loin :
(1) Le peso argentin n’est pas convertible. S’enrichir en devises fortes, c’est garantir la pérennité de sa fortune. D’où la recherche permanente de clients à l’exportation. Le peso connaît des fluctuations incessantes. Le peso est même en chute libre face au dollar et à l’euro depuis que Mauricio Macri a fait appel au FMI, il y a quatre ans.