"Contre-courant" ou "En remontant le courant", allusion au retour à avant Carlos Menem |
La navigation
sur le Paraná, formidable cours d’eau qui se jette dans le Río de
la Plata, et relie cinq pays du bassin du Plata : le Brésil, la
Bolivie, le Paraguay, l’Argentine et l’Uruguay. En Argentine,
depuis 25 ans, la gestion du trafic et de la navigabilité de la
rivière gorgée d’alluvions (donc facilement ensablée) fait
l’objet d’une concession à un tandem privé formé par une
société belge, Jan de Nul, et sa partenaire argentine, EMEPA,
tandem baptisé Hidrovía SA.
Carte du bassin du Plata (Cuenca del Plata) (source : AFIP, ministère du Budget argentin) |
Le 30 avril
dernier, la concession arrivait à échéance et pour se laisser du
temps, le gouvernement argentin l’a prolongée de trois mois. C’est
que le cours d’eau est très complexe à exploiter : d’abord
pour des raisons techniques (outre la présence des dépôts
d’alluvion qu’il faut draguer en permanence, le débit varie sans
cesse, les crues et les sécheresses se succédant de façon peu
prévisible) et pour des raisons diplomatiques et juridiques
puisqu’il fait l’objet d’un traité international depuis 1969 entre tous
les pays riverains, dont il est une importante voie commerciale et
une réserve d’eau douce et de biodiversité essentielle pour tout
le continent, sur le cours principal et celui de deux affluents
majeurs, le Paraguay et le Tiéte.
L'info est traitée en titre secondaire (en haut à droite) La photo est réservée au lustre du Teatro Colón, descendu pour son entretien annuel Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Le gouvernement argentin vient de faire savoir que l’État allait reprendre la main sur l’exploitation de cette voie fluviale par laquelle transite 80 % du commerce extérieur national.
L’exploitation directe de la section argentine par la Direction des ports sera établie pour au moins un an, dès que le président aura apposé sa signature au décret qui a déjà reçu celle du Premier ministre et du ministre des Transports. Pendant ce temps, l’État percevra donc directement les droits acquittés par les armateurs dont les navires empruntent le fleuve et il se chargera de faire draguer le lit du Paraná.
Comme pour la nationalisation du fret ferroviaire avant-hier, l’opposition veut voir sous cette décision la main de Cristina Kirchner, qui avait pourtant renouvelé cette concession accordée sous la présidence de Carlos Menem dans les années 1990. Jusqu’à présent, le ministre des Transports refusait en effet cette solution radicale mais le ministre en question a trouvé la mort récemment dans un accident de la route et son successeur accepte. Voilà de quoi alimenter les rumeurs et les potins au cours d’une année électorale qui n’en manque pourtant pas, perturbée qu’elle est par une crise sanitaire mondiale qu’aucun homme politique au monde n’avait vu venir.
Dans un an, on
y verra peut-être plus clair.
D’un point de vue historique, le Paraná fut et reste l’un des plus forts enjeux de souveraineté nationale pour l’Argentine. C’est sur ce fleuve qu’en 1845, le 20 novembre, une coalition des États formant alors la Confédération argentine avait réussi à gêner considérablement la marche d’une escadre marchande française alors que la France et la Grande-Bretagne exigeaient la liberté de naviguer sur les cours d’eau du pays et que Buenos Aires leur interdisait l’entrée sur le territoire, exigeant que tout commerce étranger se fasse dans son port (qui recueillait les droits de douane et les redistribuait plus ou moins bien aux autres États confédérés).
Cette bataille fluviale, au lieu-dit Obligado, sur un méandre de la rivière, est techniquement une victoire française (un drapeau argentin flotte ainsi dans la cathédrale Saint-Louis du diocèse aux Armées, aux Invalides) mais c’est politiquement une victoire argentine puisque l’expédition commerciale s’est soldée par un échec cuisant et que les marins français n’ont pas pu faire réparer les avaries subies pendant le combat. L’une des chaînes qui avait été tendue en travers de la rivière pour arrêter les bâtiments étrangers a longtemps été exposée au Museo del Bicentenario avant d’en être retirée par Mauricio Macri, qui a aussi été tenté de supprimer le jour férié instauré par Cristina Kirchner le 20 novembre, comme fête de la Souveraineté. Pour le moment, j’ignore si ces énormes anneaux de fer ont retrouvé leur place dans les collections d’objets historiques de ce musée, situé dans les sous-sols de la Casa Rosada.
Pour aller
plus loin :
Ajouts du 1er juillet
2021 :
lire l'article de Página/12
lire l'article de La Nación