dimanche 13 juin 2021

« Las Señoritas », un livre sur les premières institutrices de l’Argentine [Disques & Livres]


La filiale argentine de Penguin vient de publier un ouvrage d’histoire très intéressant. Le sujet est assez peu étudié en Argentine : l’arrivée dans le pays, à partir de la fin des années 1860 jusqu’à la fin du siècle, d’une soixantaine d’institutrices recrutées aux États-Unis par le gouverneur de San Juan puis président de la République argentine, Domingo Faustino Sarmiento (1811-1888), le père de l’école obligatoire, publique et laïque dans le pays (loi de 1883).

L'auteure à la une du supplément de Página/12


L’historienne Laura Ramos s’est intéressée à vingt de ces femmes éduquées, la plupart du temps protestantes, courageuses et audacieuses qui allèrent fonder des écoles normales dans les capitales régionales jusqu’au fin fond du territoire argentin de cette époque (la Patagonie n’en faisait pas encore partie pas plus que l’actuelle province de Chaco, qui appartenait encore au Paraguay). A cette époque, l’éducation des filles était peu développée et elle dépendait entièrement de l’Église, ce que Sarmiento, profondément anticlérical comme tous les francs-maçons en pays catholique, voyait d’un mauvais œil. A l’exemple de ce qu’il avait vu aux États-Unis, en Angleterre et dans la France de la Monarchie de Juillet agonisante, il s’était donc attaché à fonder des instituts de formation des maîtres. Pour les écoles de garçons, il avait sur place des enseignants capables de former les futurs instituteurs. Pour celles des filles, il fallait aller chercher à l’étranger. Et désireux de modeler l’Argentine sur l’exemple des États-Unis, premier pays du continent à avoir conquis sa liberté et surtout pays dominé par le protestantisme, ce qui flattait son espoir de diminuer le poids politique de l’Église catholique, il se tourna vers la côte Est du grand pays du l’Amérique du Nord.

Sara Boyd (debout) et Mary Conway (assise) à Tucumán
avec l'un de leurs élèves de l'école normale de la ville

Laura Ramos est allée consulter les archives de l’université de Duke, en Caroline du Nord, qui ont conservé de nombreux documents sur cette aventure féministe.

Ce chapitre de la vie mouvementée et éclectique de Sarmiento (1) fait l’objet d’une belle salle dans le musée qui lui est consacré à Buenos Aires.

L’ouvrage est en vente, sur le site de l’éditeur, en format papier (broché), au prix de 1 499 pesos argentins et sous la forme numérique (ebook) au prix de 499 pesos.


Sarmiento dans sa jeunesse,
tel que San Martín l'a connu à Paris en 1847
On ne connait aucun portrait de lui
nous laissant penser qu'il a jamais souri de sa vie !

Pour le moment, seul Página/12 fait référence à cet ouvrage. Il en fait même la une de son supplément mensuel Яadar qui sort aujourd’hui. Et c’est quelque peu inattendu. Sarmiento représente en effet une vision européanisante, oligarchique, anglo- et francophile de l’Argentine, que Página/12 vomit dans toutes ses pages. On s’attendrait donc à voir La Nación (fondée par l’un des alliés politiques et culturels de Sarmiento, le président Bartolomé Mitre, lui aussi libéral oligarchique et franco-anglophile) devancer dans cette affaire son concurrent de gauche… Mais peut-être s’agit-il d’une dimension trop féministe et une préoccupation trop sociale dans l’œuvre du grand intellectuel ! Laissons passer un peu de temps pour voir si l’un ou l’autre quotidien de droite s’intéresse à la question.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12
lire l’article de Infobae, un quotidien en ligne qui s’est fait en quelques années une très belle place au soleil en Argentine et qui publie ici une longue interview de l’auteure
lire la présentation sur le site Internet de l’éditeur



(1) Sarmiento a été lui-même instituteur dans ses premières années d’adulte et un excellent instituteur. Entièrement autodidacte, il fut un écrivain (le plus brillant en Argentine avant Borges). Il fut officier pendant la guerre civile, homme politique dans sa province natale de San Juan puis à l’échelon national, ingénieur, urbaniste, zoologue et botaniste. C’est à lui que l’Argentine doit l’importation de son cépage emblématique, le malbec, qu’il fit venir du Béarn. C’est aussi à lui qu’on doit les grands parcs urbains dessinés par le Français Charles Thays (Carlos Thays en Argentine). Bref, c’est un personnage incontournable de l’histoire du pays et de ses voisins (il s’était exilé au Chili et mourut au Paraguay).