samedi 10 juillet 2021

Le « Campo » sort les tracteurs et les chevaux [Actu]

"Durant une journée de manifestations contre les restrictions,
le patronat agraire a demandé un changement de politique", dit le gros titre
sur l'une des photos les plus impressionnantes de la foulé à San Nicolás
Remarquez en haut à droite, sous le titre du journal,
un titre secondaire sur l'affaire bolivienne
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Le patronat agraire (el campo) ne décolère pas depuis qu’il y a un peu plus d’un mois, en constatant le prix exorbitant de la viande sur le marché au détail, le gouvernement argentin a mis des limites à l’exportation de ce produit qui rapporte de grosses devises moins au pays qu’à quelques propriétaires terriens qui ont souvent une caisse-enregistreuse à la place du cœur et même, pour certains, du cerveau.

Comme à chaque date patriotique depuis le retour au pouvoir de la gauche, en décembre 2019, cette partie de la droite qui se proclame démocratique mais qui ne supporte pas le résultat des élections quand il ne va pas dans son sens a donc choisi de faire de la fête de l’Indépendance, le 9 juillet, un énième rendez-vous pour manifestation antigouvernementale.

C’est ainsi qu’à San Nicolás de los Arroyos, à la frontière entre les provinces agricoles de Buenos Aires et de Santa Fe, sur la route n° 9, qui relie Buenos Aires à la Bolivie, les opposants se sont donné rendez-vous, malgré les consignes de prudence sanitaire, pour contester et vilipender tout ce que fait ce gouvernement qu’ils exècrent : la politique agricole, la politique vaccinale, la politique sanitaire, la politique judiciaire et j’en oublie. Bref, rien ne trouve grâce à leurs yeux en cette période où leurs griefs sont approfondis par les enjeux électoraux de mi-mandat. Et le lieu n’a pas été choisi au hasard : il est au carrefour de plusieurs routes qui conduisent aux quatre points cardinaux du pays, sans parler de son port fluvial, sur le très fréquenté Río Paraná qui dessert une proportion écrasante du commerce argentin avec les pays limitrophes. Toute l’Argentine de la colère pouvait donc se retrouver là en cette journée fériée, qui plus est à la veille d’un week-end.

Patricia Bullrich à cheval hier, à San Nicolás
Photo Carolina Camps-Leandro Teysseire

Clarín nous dit que les organisateurs ont évalué à 65 000 personnes le nombre de manifestants et avoue tout de go que c’est clairement exagéré. Effectivement, quand on regarde les photos d’ensemble, on a du mal à croire ce chiffre. D’autant que s’il existait des photos laissant apercevoir plus de monde, il n’y a guère de doute qu’elles auraient été mises en avant. Le secteur qui se veut le moteur de l’opposition montre donc ici sa propension à mentir, propension bien connue par ailleurs et depuis un certain temps, et c’est un quotidien de droite populaire qui le dit !

65 000  personnes ?
Photo Mario Rafael Quinteros (pour Clarín)

Clarín nous a aussi gratifiés d’autres clichés. On y voit Patricia Bullrich, la présidente du parti ultra-libéral PRO, défiler à cheval, déguisée en gaucho d’opérette, avec le même visage crispé que d’habitude. En tout cas, pas du tout celui d’une bonne cavalière heureuse de monter en pleine campagne comme elle semble vouloir le dire en adoptant cette tenue « campagnarde ». Or Patricia Bullrich vient de se discréditer en échouant lamentablement à se qualifier comme candidate aux élections de mi-mandat et la presse de droite ne s’est pas privée de commenter cet échec en long en large et en travers pendant une bonne partie de la semaine. Le ton du journal (qui lui est plutôt favorable d’ordinaire, puisque c’est la présidente du Pro) reste ambigu : est-ce vraiment de l’admiration pour ce « sain » attachement à un cliché du folklore de la pampa (ici dans son expression la plus rétrograde) ou une franche rigolade de la rédaction devant un spectacle grotesque ?

Ce n'est pas la grosse foule, devant la porte de la résidence présidentielle
Photo Marcelo Carroll

Dans plusieurs villes, la droite a aussi profité de cette date symbolique pour manifester une nouvelle fois sa sempiternelle colère et se répandre en slogans haineux. Sans grand succès si on en croit les photos de presse publiées tant à droite qu’à gauche. Manifestations clairsemées devant la résidence présidentielle de Olivos, au nord-ouest de Buenos Aires, et au pied de l’Obélisque, dans la capitale fédérale. Dans un cas comme dans l’autre, les gestes barrière n’ont pas vraiment été respectés (ce public a tendance à nier le danger épidémique). Il y avait pourtant toute la place nécessaire pour assurer la « distance sociale » entre les participants. En revanche, à Tucumán, où avaient lieu comme tous les ans les cérémonies officielles, les mouvements de foule ont empêché le président de faire les quelques visites inscrites à son agenda par le gouverneur provincial. Le 17 juin, à Salta, Alberto Fernández avait déjà eu affaire à des excités qu’il avait laissé passer pour éviter toute accusation de censure. Résultat : cela avait tout de même provoqué un pataquès politique dans le gouvernement provincial. Il a dû juger qu’il valait mieux ne pas prendre de risque cette fois-ci. Plutôt que de risquer de jeter de l’huile sur le feu, il a donc laissé tomber les visites. Il a eu raison mais la presse de droite n’en fait pas moins des gorges chaudes.

La vue qu'avait un drone sur la manifestation
au pied de l'Obélisque à Buenos Aires
On y a vu des manifestations plus denses, y compris l'hiver
Parmi les voitures, il y en a qui circulent. En tout cas elles essayent.

Il est possible que ces journaux en fassent d’autant plus qu’ils semblent avoir bien du mal à dégonfler l’affaire du matériel de guerre (ou de maintien de l’ordre) envoyé en Bolivie pour soutenir le coup d’État parlementaire de Jeanine Añez contre Evo Morales dans les toutes dernières semaines du mandat présidentiel de Mauricio Macri, lequel savait déjà qu’il allait devoir rendre les clés le 10 décembre.

Les unes de la presse d’opposition restent d’une discrétion inhabituelle pour un tel sujet.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :
sur la manifestation principale à San Nicolás

sur Patricia Bullrich déguisée en gaucho
lire l’article de Página/12 (on sent qu’ils ont bien rigolé pendant la conférence de rédaction !)
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
sur quelques unes des autres manifestations
Curieusement, La Prensa, plutôt favorable d’habitude aux grands propriétaires terriens supposés veiller sur les bonnes vieilles traditions et les conserver pieusement, ne parle pratiquement pas de ces manifestations sur son site.

Ajout du 11 juillet 2021 :
lire cet article de
Página/12 sur le secteur des exploitations familiales qui a tenu à se désolidariser de la manifestation de vendredi à San Nicolás et revendique l’existence d’une politique propre pour leur secteur.

Ajout du 14 juillet 2021 :

Le « Campo » se déchire entre droite dure et droite ouverte à la négociation avec le gouvernement en exercice, sans oublier la composante des petites exploitations qui ont une vision politique tout à fait différentes des grands propriétaires qui pratiquent une agriculture à l’échelle industrielle.
Pour aller plus loin :
lire cet article de une de Página/12

Ajout du 15 juillet 2021 :
La Mesa de Enlace (bureau de coordination des organismes patronaux agraires) a rendez-vous avec le gouverneur de San Luis. La Nación reprend sans réserve le chiffre invraisemblable de 65 000 manifestants avancé par le collectif et que Clarín avait mis en doute.