"L'aide qui est arrivée d'un coup", dit le gros titre avec le jeu de mot traditionnel sur cette une |
Au surlendemain des révélations fracassantes du gouvernement bolivien concernant l’initiative bizarre attribuée à Mauricio Macri dans ses derniers jours à la Casa Rosada pour aider au triomphe du coup d’État parlementaire qui a installé Jeanine Añez au pouvoir en Bolivie en novembre 2019, les réactions en Argentine continuent à laisser l’observateur perplexe.
Les personnes impliquées au premier niveau ont fait savoir qu’elles ne reconnaissaient pas la pièce centrale sur laquelle se fonde le ministre des Affaires étrangères bolivien pour formuler ses accusations. Le chef d’état-major bolivien a fait savoir par le biais de son avocat que sa signature avait été contrefaite au bas du document et il a fourni des arguments qui pourraient aller dans ce sens. En effet, le courrier est daté du 13 novembre, or il avait été remplacé dans ses fonctions militaires dès le 12 et n’avait pas été en mesure d’utiliser encore ce papier à en-tête le lendemain (sauf à ce qu’il en ait emporté avec lui quelques feuilles). Par ailleurs, l’avocat fait valoir que l’étiquette militaire interdisait à un officier général de s’adresser à un ambassadeur et lui faisait obligation d’échanger avec son homologue, en l’occurrence l’attaché militaire le plus gradé à l’ambassade en question. Cet officier a été écroué aussitôt l’affaire connue du gouvernement bolivien, qui en profite peut-être pour régler quelques comptes avec une partie de son armée encore en délicatesse avec certains principes démocratiques.
Quant à l’ambassadeur argentin en poste à l’époque, il est issu du parti radical. Ce n’était donc pas un diplomate de carrière mais un homme politique engagé à droite. Aujourd’hui, il est ministre du travail dans le gouvernement provincial (très à droite) de Jujuy, à la frontière avec la Bolivie. Il a démenti formellement avoir jamais reçu ce courrier. Par ailleurs, il assure avoir porté assistance à des personnes menacées pendant les événements : plusieurs journalistes argentins et deux hautes personnalités du gouvernement de Evo Morales, qu’il a accueillis dans sa résidence diplomatique afin de les exfiltrer par la suite.
De leur côté,
les ex-ministres qui auraient dû être impliqués dans ces
opérations douteuses (si elles ont existé) ont tous nié en avoir
eu connaissance : Patricia Bullrich, alors ministre de
l’Intérieur, Oscar Aguad, alors ministre de la Défense et lui
aussi issu du parti radical, actuellement en difficulté dans le
dossier de la disparition accidentelle du sous-marin ARA
San Juan,
et Jorge Faurie, alors ministre des Affaires étrangères (de
tendance radicale certes mais diplomate de carrière). Des trois,
c’est Aguad qui s’avance le plus loin pour tenter de démontrer
l’absurdité de toute l’histoire. Avec vigueur, il a rappelé que
Mauricio Macri avait toujours travaillé en parfaite coopération
avec Evo Morales tant que celui-ci s’est trouvé dans son mandat
constitutionnel (1).
Bien entendu, s’ils n’ont rien su, ils ne peuvent pas le prouver.
Ce serait à leurs accusateurs d’apporter la preuve qu’ils
étaient au courant mais pour l’heure, personne ne les accuse
clairement.
Depuis l’Espagne, où il se repose et entretient son réseau personnel à droite, Mauricio Macri reste muet. Un silence plutôt curieux. Face à une accusation aussi grave, quand on est innocent et que son nom est mêlé à une manipulation internationale de cette magnitude, il semble qu’on le dit et qu’on rentre dare-dare au pays pour se justifier. Or l’ancien président, qui ne s’est pas précipité à l’aéroport, s’est contenté hier d’un tweet creux, une phrase de San Martín décontextualisée et vidée de son sens, Seamos libres (soyons libres), dont les manifestants de droite d’hier avaient fait l’un de leurs slogans.
En attendant, pendant que la presse de droite ne se hâte pas pour dénoncer le mensonge ni pour enquêter sur les faits, Página/12 ne laisse pas passer si belle occasion de répéter que Macri est un suppôt de la tyrannie et la rédaction s’embarque dans une enquête tous azimuts qu’elle étale à la une, ce qui est de bonne guerre en année électorale : les journalistes creusent donc les déclarations des ministres, de l’ancien ambassadeur et du général détenu en y voyant des contradictions ; ils examinent les rapports de la police bolivienne et les comparent avec ceux de la Gendarmerie argentine (le corps qui aurait conduit le vol pour livrer à La Paz les munitions) et enfin, ils s’efforcent d’éclaircir le rôle tenu par les agents de renseignement argentins alors en poste en Bolivie.
La presse de droite se contente d’annoncer que tantôt la justice bolivienne tantôt la justice argentine pourraient bien d’ici peu demander des comptes à l’ancien chef de l’État. Sans vraiment crier au complot ni apporter grand-chose de neuf par rapport à ce qu’on a appris hier de source officielle. Il n’est pas impossible que cette presse qui l’a longtemps soutenu soit en train de lâcher Mauricio Macri.
Par ailleurs, le scandale touche également le président équatorien, Lenin Moreno (de droite lui aussi, malgré son étrange prénom), selon des révélations faites par le ministre des Affaires étrangères bolivien à une agence de presse… russe ! Les putschistes auraient donc également reçu des secours en provenance du nord.
Pour aller
plus loin :
Ajouts du 11
juillet 2021 :
Mauricio Macri a fini par publier, depuis
l’Espagne, un long texte dans lequel il se défend enfin des
accusations portées contre lui en faisant tout son possible pour
honnir son successeur, qu’il traite de « menteur » et
de « président qui a perdu toute crédibilité ».
De son côté,
l’armée de l’Air bolivienne maintient ses accusations et affirme
que le courrier produit par le ministre des Affaires étrangères
jeudi est bien authentique.
La presse
argentine y va de son commentaire.
Pour aller
plus loin :
lire l’article
de Página/12
sur les arguments avancés par Macri
lire l’artcle
de Página/12
sur ceux de l’armée de l’Air bolivienne
lire l’article
de Clarín
sur la défense de Macri
lire l’article
de La
Nación
sur le même sujet
Ajouts
du 12 juillet 2021 :
lire
l’article
de Página/12
sur les accusations portées contre l’ex-président par l’actuel
ministre de la Justice argentin. Selon le code pénal argentin, Macri
se serait rendu coupable de contrebande d’armes puisque la
livraison à la Bolivie n’est pas passée par le Congrès comme la
loi le prévoit.
Quant à Patricia Bullrich, qui a
nié avoir eu connaissance de ces opérations, elle vient d’accuser
le président Fernández d’avoir accepté les affirmations du
gouvernement bolivien alors qu’il n’y avait pas « la
moindre preuve ». Or Bullrich est déjà poursuivie en
diffamation pour avoir sans preuve accusé le président d’avoir
saborder l’accord avec Pfizer en réclamant à ce laboratoire des
dessous de table. A ce sujet, on peut lire cet
article de Clarín. Depuis les accusations de Bullrich au
sujet du vaccin Pfizer, l’Argentine a conclu un accord avec le
laboratoire et des doses de vaccins commencent à arriver à
l’aéroport international d’Ezeiza.
(1) Il est vrai que si Evo Morales a pu être renversé par un coup d’État parlementaire, c’est parce qu’il s’était représenté pour un quatrième mandat, ce qu’un référendum ad hoc, qu’il avait perdu, lui avait défendu de tenter. Il a d’ailleurs depuis reconnu qu’il n’aurait pas du s’entêter ainsi à rester au pouvoir.