vendredi 6 août 2021

Affaire bolivienne : on en sait un peu plus [Actu]

"Opération risquée". Jeu de mots intraduisible
entre une expression toute faite et les mots qui fâchent
(armas, armes, et llevar, emporter)
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Cette affaire, la justice argentine l’a qualifiée de « contrebande de matériel de guerre » de la part de l’ancien président Mauricio Macri et de deux de ses ministres pour l’envoi en Bolivie, en plein coup d’État militaro-parlementaire contre Evo Morales (élu dans des conditions plus que contestables du point de vue constitutionnel) au profit de la très droitière députée Jeanine Añez (aujourd’hui en prison), de matériel anti-émeute « made in Argentina ». Du matériel retrouvé par les nouveaux pouvoirs publics boliviens dans des réserves de la police du pays andin. Le silence de la presse de droite en pleine campagne électorale est si assourdissant qu’il en devient accablant pour les inculpés.

C’est à peine si La Nación a tenté, à la fin du mois de juillet, d’allumer un contre-feu en révélant que, sous le présent gouvernement argentin, de gauche, les organismes compétents (gendarmerie et autorité d’exportation du matériel sensible) avaient prolongé à deux reprises, en janvier et en avril 2020, alors que Jeanine Añez gouvernait toujours le pays voisin, le droit pour l’ambassade argentine de détenir ce matériel à La Paz.

Cette stratégie du journal n’a été soutenue par personne. Il apparaît que les documents incriminés relèvent d’une gestion courante qui ne remonte donc pas jusqu’aux responsables politiques. D’ailleurs, ce serait bien sous prétexte d’assurer la sécurité de l’ambassade que le matériel aurait été envoyé. Cette explication elle-même n’en est pas moins étrange : une ambassade a le droit d’assurer sa propre protection mais certainement pas de tirer sur la foule dans la rue du pays où elle est installée. De plus, si ce matériel répondait bien à cette nécessité de sécurité, pourquoi a-t-il atterri dans des réserves de la police bolivienne et pourquoi le chef d’état-major bolivien (à présent derrière les barreaux) aurait-il remercié l’ambassadeur argentin pour cet envoi ? Autre tentative, toujours dans La Nación et toujours avortée, la publication d’une déclaration de la Fundación Idea, de José María Aznar, ancien président du gouvernement espagnol (Partido Popular, rassemblant alors une droite libérale démocratique et une autre post-franquiste, partie depuis dans Vox), pour présenter Mauricio Macri comme victime d’une manœuvre de la « gauche antidémocratique ». La déclaration est signée par plusieurs anciens chefs d’État et de gouvernement de la droite hispanophone. L’opération n’est même pas sortie de cet environnement historico-linguistique. Or si Macri était effectivement victime d’une telle manipulation, il aurait dû pouvoir bénéficier d’un appui venu d’hommes politiques ayant tenu des fonctions dans de grandes démocraties (États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Tasmanie, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie, Pays-Bas, etc.).

C’est sur ce vide sidéral que Página/12 feuilletonne les documents complémentaires qu’on découvre dans les archives du gouvernement argentin et le moins qu’on puisse dire, c’est que les faits découverts sont de plus en plus graves. Même Jorge Faurie, le très diplomatique ministre des Affaires Étrangères que le juge a laissé hors de la procédure, semble sinon avoir trempé sciemment dans l’opération du moins en avoir eu vent, ce qu’il a nié avec constance dès le début du scandale. On a découvert la tenue de réunions suspectes entre ministres. On publie des courriers compromettants qui ont échappé à la procédure d’enregistrement des communications gouvernementales. Le Premier ministre de Macri, Marcos Peña, se voit à présent impliqué dans l’affaire alors qu’il n’est pas dans la procédure d’instruction. Le quotidien de gauche ne lâche pas le nonosse. Le gouvernement non plus. La campagne électorale est là et la majorité n’a pas l’intention de se priver. Tout cela est de bonne guerre, comme l’était en France, il n’y a pas longtemps, le rappel permanent par la gauche des ennuis judiciaires de Sarkozy.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

lire l’article de La Nación du 27 juillet sur l’appui public d’IDEA à Macri
lire l’article de La Nación du 28 juillet sur les actes de gestion gouvernementale concernant l’autorisation renouvelée à l’ambassade de détenir du matériel de maintien de l’ordre
lire l’article de Página/12 du 31 juillet où l’actuelle ministre de la Sécurité laisse entendre que l’affaire remontait bien au chef de l’État en place
lire l’article de Página/12 du 2 août sur la découverte d’un document compromettant pour Macri
lire l’article de Página/12 du 4 août sur les réunions ministérielles suspectes
lire l’article de Página/12 d’aujourd’hui sur le rôle tenu par Marcos Peña dans l’opération (c’est l’article qui implique aussi Jorge Faurie)