vendredi 27 août 2021

Campagne électorale ou pas, la justice a l’air de faire son boulot [Actu]

En photo centrale, l'attentat sur l'aéroport de Kaboul
En haut : "Mis en cause pour l'anniversaire, Alberto
offre une compensation sous forme de mensualités",
dit le gros titre
Tout en haut, l'adieu au café La Paz qui fait l'objet
d'un autre article dans Barrio de Tango
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Les procédures sur les affaires politico-judiciaires qui pullulent en Argentine ne semblent pas ralentir, ni dans un sens ni dans l’autre, du fait de l’imminence du premier scrutin des élections de mi-mandat (les PASO, primaires obligatoires, entre ce week-end et la mi-septembre).

La première de toutes vient de passer une étape : le président, Alberto Fernández, la Première dame, Fabiola Yañez, et leurs dix invités viennent de se voir notifier une mise en cause pour la fête d’anniversaire de Madame en plein confinement le 14 juillet 2020. Au moment même où tombait la décision du procureur, le président, par l’intermédiaire de son avocat, présentait des conclusions demandant un non-lieu et proposant de donner pendant plusieurs mois la moitié de son indemnité présidentielle à l’Institut Malbrán, qui effectue les tests anti-covid et orchestre la recherche de traitements médicamenteux contre le fléau. Cette argumentation qui n’a pas convaincu le procureur (qui n’a pas eu le temps d’en prendre connaissance et cela vaut sans doute mieux pour lui) agace, et c’est un faible mot, l’opposition, qui n’avait déjà pas besoin de cela pour montrer toute son agressivité contre le gouvernement. Par ailleurs, il est fort peu probable qu’elle soit de nature à convaincre les indécis, ce qui risque donc de peser sur les élections, malgré des sondages qui ne devaient pas être si mauvais que l’opposition le laisse entendre, puisque celle-ci n’aurait pas à ce moment-là répandu les sornettes dont elle parsème la campagne. Cette mise en cause politiquement malencontreuse a fait perdre son calme à l’avocat du président qui n’a rien trouvé de mieux à faire publiquement que de mettre en doute la probité du magistrat, ce qui lui a valu de perdre sur le champ son illustre client, lui-même spécialiste de droit pénal.

Les personnes mises en cause par le procureur dépendent donc maintenant de la lecture de l’affaire que fera le juge d’instruction puis l’instance de jugement devant laquelle il est probable qu’ils devront comparaître dans un délai qui reste indéterminé mais que les deux principaux prévenus, le président et sa femme, n’ont sans doute pas intérêt, politiquement parlant, à retarder. L’infraction est manifeste, elle est reconnue. En l’absence d’une immunité présidentielle qui ne figure pas dans la constitution, mieux vaut conclure vite, payer l’amende, sans doute salée, qui sera prononcée et verser à l’institut de recherche médicale les sommes déjà proposées, sans assujettir ce don à la clémence du juge.

"Le procureur a mis en cause le Président,
Fabiola et neuf invités"
En bas, Biden en pleurs à l'évocation de l'attentat de Kaboul
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De l’autre côté, dans le camp anti-Kirchner et anti-Fernández, la justice poursuit son travail sur l’anniversaire de Elisa Carrió, révélé quelques jours après celui de Fabiola Yañez. Le parquet vient d’entendre en qualité de témoins les mariachis qui ont animé la fête avec 70 invités, dont les principales têtes de l’opposition au niveau national, bonaerense et portègne. Le chef de l’exécutif de la Ville autonome de Buenos Aires, clairement reconnaissable sur les photos (il faut dire que son physique singulier passe difficilement inaperçu), vient de se voir notifier à son tour une mise en cause pour violation des règles du semi-confinement qui régnait en décembre dernier. Ce qui discrédite ses critiques acerbes contre le président et le « Olivosgate », puisqu’il est désormais lui-même mouillé dans le « Carriógate » (1).

Une d'hier : elle annonçait
la mise en cause éminente du président
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Par ailleurs, un procureur national vient de s’opposer à la famille Macri sur le transfert à une chambre d’appel de la justice portègne (justice locale) de l’instruction puis du jugement de la faillite de Correo Argentino, la poste nationale, que la holding de la famille s’était vu adjugée il y a vingt ans en concession publique et pour laquelle elle n’a jamais rempli ses obligations vis-à-vis de l’État. La justice portègne serait plus accommodante, pense la famille. Ce qui est en soi scandaleux et encore plus lorsque ce sont des proches d’un ancien président de la République qui font ce calcul sordide. Où l’on voit que tous les procureurs ne sont pas nécessairement vendus à la droite. Si les choses avancent comme elles le doivent dans un État de droit, il est possible que ladite holding soit dans un délai raisonnable redevable envers la République d’une somme colossale composée de la somme des dettes accumulées pendant ces deux décennies et des pénalités y afférentes, ce qui pourrait entraîner sa faillite (d’où la recherche désespérée de solutions douteuses). Comme cette information est un caillou dans la chaussure de l’opposition, elle n’apparaît pas dans les journaux de droite. Curieux, non ?

N’y apparaît pas non plus une autre étape judiciaire qui au lieu de charger la droite comme ci-dessus allège la gauche : le magistrat de jugement qui vient d’entendre les conclusions des parties dans l’affaire du Mémorandum avec l’Iran a retenu leur validité. Il a donc accepté de les examiner. Cristina Kirchner, hier présidente et aujourd’hui vice-présidente, a en effet demandé un non-lieu en sa faveur et en faveur de ses anciens ministres pour absence de faits délictueux dans le cadre de cet accord diplomatique qui aurait permis à un magistrat argentin d’aller entendre en Iran des hommes soupçonnés par la justice argentine d’avoir commandité un attentat antisémite à Buenos Aires. Accord ratifié par le Congrès argentin (dans ce cas, pourquoi poursuivre pour haute trahison le chef de l’État ?) mais jamais entré en vigueur puisque le parlement iranien ne l’a pas ratifié. Quel crime peut-on donc imputer à Cristina et son gouvernement ?

La situation judiciaire affaiblit donc les deux camps mais elle semble moins lourde à gauche, sans que l’on puisse douter de la probité des juges qui semblent prendre plus au sérieux l’indépendance de leur pouvoir. C’est plutôt le signe que la démocratie, toute boiteuse qu’elle soit par définition, progresse dans le pays.

Les médias mainstream se chargent de rectifier le tir et s’y prennent fort habilement en période électorale. Ils se taisent !

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :

Sur les suites judiciaires de l’anniversaire de la Première dame :
lire l’article de Página/12 qui analyse les conclusions présentées par le président et son avocat
lire l’article de La Prensa sur la mise en cause
lire l’article de La Prensa sur les conclusions du président
lire l’article de Clarín sur la mise en cause
lire l’article de La Nación sur la mise en cause
lire l’article de La Nación sur la lecture politique des conclusions, avec leur copie intégrale en pdf
lire l’article de La Nación sur l’analyse juridique des arguments développés
sur les suites judiciaires de l’anniversaire de Elisa Carrió :
lire l’article de La Prensa (le quotidien catholique n’épargne donc pas une politicienne qui affiche sa pratique religieuse catholique et tire sur le pape, trop gauchiste pour elle, comme pour la rédaction du journal)
sur l’affaire de Correo Argentino :
lire l’article de Página/12
sur l’affaire du Memorandum avec l’Iran :
lire l’article d’hier dans Página/12

Ajouts du 31 août 2021 :
lire cet article de Página/12 sur la réouverture de l’enquête sur la totalité des 70 personnalités ayant bénéficié d’un passe-droit pour une première dose de vaccin à la discrétion de l’ancien ministre de la Santé (qui a démissionné au milieu du scandale). Cette nouvelle étape judiciaire est le résultat d’un appel interjeté contre un non lieu pour inexistence d’infraction prononcé, il y a déjà plusieurs mois, au profit de 65 des copains du ministre qui avaient bénéficié d’une vaccination en douce, ce qui leur avait épargné les procédures ordinaires, beaucoup plus fastidieuses. Or le président s’est prévalu de ce premier jugement, pourtant frappé d’appel, pour demander un non lieu à son profit, dans l’affaire de l’anniversaire de son épouse. Voilà qui tombe très mal pour la majorité en cette fin de campagne pour les primaires de mi-mandat !
lire cet article de Clarín
lire cet article de La Nación

Ajout du 7 septembre 2021 :

En suivant sa propre jurisprudence, un tribunal fédéral vient de rejeter l’un des arguments présentés par la défense du président. Selon son raisonnement, comme personne n’était tombé malade après l’anniversaire, il n’y aurait pas eu mise en danger de la santé publique. Cela ne tient pas, répond le tribunal compétent.
Pour aller plus loin :
lire l’article de La Prensa



(1) Pour le président, les faits se sont produits dans la ville de Olivos, où il a sa résidence officielle. Pour Carrió, ils se sont produits dans un village baptisé Exaltación de la Cruz. C’est très compliqué de créer un néologisme avec ce suffixe gate !