Beatriz Sarlo, un peu plus aimable que Patricia Bullrich... |
Depuis quelques semaines, des figures saillantes
de la droite (étrangement toutes des femmes) multiplient les petites
phrases polémiques sur la souveraineté des îles Malouines. Cela a
d’abord été un mot d’esprit (ou soi-disant tel) de Patricia
Bullrich qui a suggéré un jour à la radio que le gouvernement
argentin aurait pu obtenir plus de doses de vaccins (occidentaux,
Pfizer pour ne pas le citer) contre la renonciation à ses
revendications sur l’archipel, aujourd’hui habité et exploité
de facto
par les Britanniques, comme d’autres territoires insulaires de
l’Atlantique Sud. Plus récemment, c’est un tweet d’une
candidate de Juntos para el Cambio (alliance du PRO et de l’UCR
pour un programme ultra-libéral aux élections de mi-mandat en
septembre-novembre prochains) qui est remonté d’un lointain
passé : cette historienne de profession souhaitait que les Malouines appartiennent au pays où elle aurait aimé que sa fille grandisse (voir ci-dessous). Elle faisait clairement allusion non à
l’Argentine mais au Royaume-Uni. Elle s’est excusée depuis auprès de "ceux que ce
propos aurait choqués". Mais de telles excuses ne retirent rien au
caractère peu patriotique du souhait émis au vu et au su de tous : pour une future
parlementaire, souhaiter que ses enfants aillent vivre à l’étranger,
c’est particulièrement défaitiste et ça manque singulièrement de courage face à l’avenir !
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Et hier, sur la chaîne télévisée de La Nación, dans une interview poussive où le journaliste tâchait de la faire se prononcer (contre le gouvernement) sur tous les sujets d’actualité y compris et surtout sur ceux sur lesquels elle-même se disait incompétente (ce qui pourtant ne l’empêchait pas de répondre !), Beatriz Sarlo, sociologue réputée dans sa discipline et qui se revendique de droite, a affirmé que les Malouines n’étaient pas argentines, qu’elles étaient britanniques depuis les années 1830. Son argumentation pour justifier de telles affirmations m’a clouée de stupéfaction. Elle a prétendu qu’à cette époque-là, l’Argentine n’existait pas puisqu’elle ne portait pas encore ce nom (ce qui est partiellement faux) (1), qu’elle n’était pas unifiée (ce qui n’est pas non plus tout à fait exact) (2) et qu’elle n’avait pas de constitution (et alors ? Combien de pays dépourvus de constitution existaient-t-ils de manière incontestable en 1833 ? Un bon paquet ! Allez donc poser cette condition à la Russie tsariste ou à la Sublime Porte, pour ne rien dire de l’Autriche par exemple !).
Or depuis 1853 et l’adoption de la première
constitution entrée en vigueur au niveau national, les Malouines
sont constitutionnellement argentines. Un citoyen tient donc des
propos anticonstitutionnels lorsqu’il affirme le contraire. De
surcroît, cette absence de constitution jusqu’à cette date
n’avait pas empêché la Grande-Bretagne de reconnaître le pays en
1824. La France de Louis-Philippe avait suivi en 1831. Le pays
existait donc bien en janvier 1833 quand les Malouines ont été
prises sans déclaration de guerre après un coup de main de la Royal
Navy. Ensuite la Grande-Bretagne a conservé ces terres dans
l’indifférence complète du reste de l’Europe parce qu’elle
était maîtresse des mers depuis Trafalgar (octobre 1805). Au 20e
siècle, l’Argentine est restée neutre pendant les deux guerres
mondiales. Aussi ni la SDN ni l’ONU, organisations internationales
montées par les vainqueurs dont le Royaume-Uni, n’ont prêté la
moindre attention à la revendication argentine. La question aurait
très certainement été réglée au bénéfice de l’Argentine dès
1945 (en 1947 au plus tard) si celle-ci s’était engagée aux côtés
des États-Unis
pendant la Seconde Guerre Mondiale puisque tant Roosevelt que Truman
étaient hostiles aux grands empires coloniaux. Il est très probable
que l’un ou l’autre des deux présidents aurait tordu le bras de
Churchill sur ce point comme ils l’ont fait sur d’autres.
D’autant que l’Argentine a du pétrole, il ne faut pas
l’oublier ! Et on le savait déjà.
En haut, à droite : un titre secondaire : "Mais qu'est-ce qu'elle raconte ?" Un article qui ne figure pas sur le site du quotidien Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Pendant toute la présidence de Mauricio Macri, on a pu constater son manque d’intérêt pour cette question territoriale. Il s’en contrefichait complètement ! Les petites phrases polémiques actuelles correspondent donc à une réalité de l’aile dure de l’actuel ultra-libéralisme argentin mais il est curieux que cela sorte en pleine campagne électorale ! Au premier abord, ces affirmations paraissent assez maladroites.
Pour aller plus loin :
lire l’article de Clarín
lire l’entrefilet de La Nación qui intègre toute l’interview en vidéo
(1) Un argument tiré par les cheveux ! Il
est vrai que la dame n’est ni historienne ni juriste. Prenons un
instant cet argument au sérieux. Pourquoi donc l’Argentine
a-t-elle pour fêtes nationales le 25 mai (pour une révolution
intervenue en 1810) et le 9 juillet (pour une déclaration
d’indépendance proclamée en 1816) ? Pourquoi le texte de
l’hymne national, composé et écrit en 1813, proclame-t-il « Al
gran pueblo argentino salud » ? Et en quoi le changement
de nom fait-il que le pays n’existait pas avant cette modification
toponymique ? Or imaginez un peu qu’avec cette bouillie
argumentative, Beatriz Sarlo est considérée par la droite comme une
des plus grandes intellectuelles argentines. A gauche, elle est
regardée non comme une intellectuelle mais comme une militante.