samedi 31 janvier 2009

Carlos Gardel, plus qu'un chanteur, un mythe [Troesma]

Photos de différentes plaques votives sur le tombeau de Carlos Gardel au cimetière de la Chacarita

Avec près de 400 articles au compteur de ce blog, lancé le 19 juillet 2008 (sur un vote négatif du Vice-président argentin), il me paraissait utile d'ajouter plusieurs raccourcis pour améliorer la navigation des internautes. Aussi, en même temps que je retire les voeux 2009 (1), j’ajoute dans la colonne de droite quatre raccourcis permanents : Humour porteño, Radio, Télévision, Les Troesmas et, à tout seigneur tout honneur, Carlos Gardel, Carlitos, el Zorzal Criollo comme il avait été surnommé, le Troesma par excellence (sur le sens de ce dernier titre, voir Trousse lexicale d’urgence, l’une des sections sur la droite de l'écran).
En Argentine, en Uruguay et dans toute l'Amérique Latine, Carlos Gardel (1890-1935) est beaucoup plus qu’un chanteur. Il est un mythe. Le premier personnage historique argentin non politique à avoir accédé à ce statut. Avant lui, les autres mythes sont tous de grands hommes politiques. Il s'agit de José San Martín (1778-1850), de Juan Manuel de Rosas (1793-1877) et de Faustino Domingo Sarmiento (1811-1888). Curieusement et tout comme lui, ces trois héros de l'Argentine indépendante sont eux aussi morts hors du pays, le premier en France, à Boulogne-sur-Mer, le second en Angleterre, à côté de Southampton, tous les deux en exil, volontaire pour l’un, contraint pour l’autre, et au Paraguay pour le Président Sarmiento, qui y réalisait une tournée, dans un effort de développement économique à l’échelle régionale. Après Gardel, il est probablement trois ou quatre autres mythes soient nés, à l'échelle argentine pour trois d'entre eux, à l'échelle du continent pour le 4ème : il s'agit de Juan Domingo Perón (1893-1974) et/ou d’Evita Duarte de Perón, sa seconde épouse (1919-1952), de Ernesto Guevara de la Serna, el Che (1928-1967) et enfin, le seul toujours vivant dont on puisse déjà dire cela avec presque de la certitude, de Diego Armando Maradona, dont je vous reparlerai au mois de février... (On a un rendez-vous important !). (2)

A cette élévation de Gardel au rang de mythe, à cette apothéose d'Empereur romain, il y a une multitude de raisons.

A commencer par le talent, incontestable, celui du chanteur, du compositeur, de l'acteur et, même si on le sait peu, le talent du danseur de tango. En 2003, sa voix a été inscrite au patrimoine de l'humanité par l'UNESCO.

Il y a aussi son succès, international, la toute première notoriété mondiale d’une personnalité populaire argentine et même, plus largement, latino-américaine. Carlos Gardel a déclenché l'enthousiasme du public partout en Amérique Latine ainsi qu’aux Etats-Unis, sur la côte Est (il a fait une carrière cinématographique à New-York), en Europe (notamment en Espagne et en France, à l'Opéra de Paris, où il n'en a pas cru ses oreilles et aux studios de Joinville, en région parisienne, où il a tourné plusieurs longs métrages sur des scénarios de Alfredo Le Pera). Alors que la majorité des pays d’aujourd’hui étaient encore vassalisés, voire totalement colonisés, seuls les deux empires asiatiques, le Japon et la Chine, n’ont pas eu le temps de le recevoir.

Il y a aussi sa mort. Cette mort atroce en pleine maturité et en pleine gloire, à 45 ans, dans l’incendie de deux avions lancés à pleine allure l’un face à l’autre et entrés en collision sur la piste de l'aéroport de Medellín en Colombie, dans l'après midi du 24 juin 1935.

Il y a aussi son célibat. Etrange pour un homme qui faisait rêver toutes les femmes et dont tant d’hommes tentaient d’imiter l’élégance naturelle... Célibat pourtant moins surprenant qu’il n’y paraît pour autant que vous vous penchiez un peu dessus. Comme il l'a déclaré lui-même dans une interview devenue célèbre depuis et à plusieurs proches, notamment des cousins albigeois, il se considérait marié à son art, au tango, au chant, à la musique. Il se consacrait pleinement à son métier. Et puis il semble bien n’avoir jamais eu vraiment qu’une seule femme dans sa vie, sa mère, phénomène fréquent chez les fils uniques d'une fille-mère quand ils s'en savent aimés. Dans sa vie, les autres femmes ont été des amies (comme la chanteuse et compositrice Azucena Maizani) ou n'ont été que des amourettes de passage, y compris et surtout celle qui se fit passer sa vie durant pour "la fiancée de Gardel" et qui ne le fut sans doute jamais, cette Isabel del Valle de 20 ans sa cadette, qu’il avait rencontrée alors qu’elle avait 14 ans et qui fut pour lui plus qu'une fiancée un assez insupportable boulet (3). Ajoutez que la société argentine des années 1910-1920 comptait encore beaucoup plus d'hommes que de femmes. Car les hommes immigraient généralement seuls, espérant faire venir plus tard leur fiancée restée au pays ou retourner chez eux, fortune faite, pour y contracter alors un beau mariage. En 1880, date à laquelle on fixe conventionnellement la naissance du tango, il y avait à Buenos Aires 1 femme pour 7 hommes... Ce qui y fit prospérer la prostitution dans des proportions dont nous n'avons guère idée aujourd'hui et dont témoigna le répertoire du tango jusqu'à la fin des années 40 (et même encore un peu au-delà).

Et puis il y a le mystère de sa naissance, ce mystère qui n'en est en fait pas un mais il faut bien rêver...

Carlos Gardel, el Zorzal Criollo, la quintessence de la portégnitude, n'était pas né à Buenos Aires qu'il a si bien chanté (ici, en 1934). C'est le seul point sur lequel tout le monde s'accorde en ce qui concerne sa naissance : il n'est pas né à Buenos Aires. Et il ne s'appelait même pas Carlos Gardel, mais sur ce point déjà, les avis divergent...

En fait, il est né à Toulouse, dans le sud-ouest de la France, de père inconnu, dans un très vieil hôpital de la capitale occitane, en fait une ancienne prison pour miséreux et filles de joie, l'hôpital Saint Joseph de la Grave (aujourd'hui Hôpital de La Grave, dans le quartier Saint Cyprien). C’est là qu’il a vu le jour, le 11 décembre 1890. Sa mère, Berthe Gardes, était elle aussi née à Toulouse. Le 14 juillet 1865. De qui fut le père, on ne sait presque rien de manière sûre. Berthe Gardes a emporté son secret dans la tombe le 7 juillet 1943. Plusieurs hypothèses existent néanmoins, dont deux ont les faveurs des exégètes de la cause gardéleinne : un cousin de Berthe, mal identifié (c'est la version la moins répandue) ou un certain Paul Lasserre, presque titré père de Gardel par certains gardéliens (surtout pour se démarquer de la thèse dite uruguayenniste). Paul Lasserre est né à Toulouse, le 1er août 1866 (un an après Berthe) et il y est décédé, veuf, le 20 novembre 1921, il s'y était marié en 1898 et avait des enfants (il a toujours des descendants aujourd'hui). Sur cette paternité, rien n'a jamais été prouvé et on ne voit pas très bien ce qui aurait empêché les deux amoureux de se marier, les deux familles étant du même niveau social, ni comment il se sont rencontrés puisqu'il semble bien que Berthe ne vivait pas alors à Toulouse mais à Bordeaux, où sa famille s'était installée depuis le retour du Vénézuela. Ils avaient en effet séjourné dans ce pays d'Amérique du sud pendant quelques années, le temps pour Hélène Gardes née Camares, la mère de Berthe, de mettre au monde, sans susciter de ragots, Charles Carichou, le fils qu’elle avait eu de son compagnon, avec lequel elle vivait maritalement depuis sa séparation de corps avec Vital Gardes, le père de ses deux aînés, Jean et Berthe.

Aussi la grossesse illégitime de 1890 fut-elle fort mal reçue dans cette famille déjà marquée par cette épreuve. La tension monta tant et si bien que Berthe quitta Bordeaux et alla s'installer à Toulouse, où malgré son métier respectable de blanchisseuse, elle connut l'inévitable et commune déréliction sociale propre à toutes les filles-mères à cette époque. Accouchant même à l'hôpital, ce qui est alors le comble de la déchéance. Elle ira toute seule déclarer son fils à la mairie sous le nom de Charles Romuald Gardes. Les employés des archives de la Ville Rose ne comptent plus les historiens argentins venus demander un extrait de naissance de l'illustre bambin...

Berthe a débarqué à Buenos Aires avec son fils dans les bras le 12 mars 1893 (certains récits disent le 9 ou le 11) parce qu'une amie à elle, Anaïs Beaux, patronne d'une blanchisserie dans la capitale argentine et heureusement mariée à un Argentin, lui avait proposé un emploi de repasseuse. Elle n'avait pas hésité. Un mois seulement sépare la délivrance de son passeport à Bordeaux de son inscription dans les registres de l'immigration au port de Buenos Aires, où elle arrive à bord du vapeur Don Pedro.

Carlos Romualdo Gardes a vécu à côté de sa mère la vie quelque peu accidentée de tous les gamins de ce milieu d'immigrants pauvres. Il est allé à l'école jusqu'à 14 ans, terme de la scolarité obligatoire, et pas un jour de plus. De cette scolarité, sont parvenues jusqu’à nous des inscriptions et des bulletins de notes qui montrent qu'il était plutôt bon élève. Comme tous les gamins de son milieu, il se fait un peu d'argent en exécutant après l'école toutes sortes de travaux peu qualifiés. On sait qu'il a aidé à décharger des cageots à l'Abasto, le marché central aux fruits et légumes, installé esquina Corrientes y Agüero en 1893. C’est là qu’a été construit en 1934 le somptueux bâtiment qu'on appelle aujourd'hui Abasto et que lui ne connut pas : en 1934, il était en tournée mondiale, cette tournée dont il n'est pas revenu. On sait qu'il a chanté dans la rue. On sait qu'il a fait quelques fugues, rien d’exceptionnel pour un môme (pibe) des quartiers ouvriers. Dans un commissariat où il a été amené un jour, à 14 ans, on a retrouvé sa trace sur les registres où furent consignés quelques éléments d'identité avant qu'il soit reconduit chez sa mère, rue Uruguay au numéro 160. On sait qu'il a été repéré par José Betinotti (1978-1915), prestigieux payador du quartier de l'Abasto (ici dans Obsequio), qui habitait juste derrière la dernière école qu'il ait fréquentée, une école de pères salésiens à Almagro, et dont j'ai déjà parlé un peu en août, à propos de la fête du Bx Ceferino Namuncurá, un Indien mapuche qu'il a vaguement connu sur les bancs de l'école. On croit savoir que Betinotti l'a emmené avec lui dans les payadas qu'il donnait la nuit dans les cafés du quartier et que là, Gardel le secondait. On sait qu'il a donné un coup de main aux machinistes des théâtres de la rue Corrientes (qui ne devint une avenue qu'en 1938, après avoir été élargie à sa taille actuelle) et jusque dans les coulisses du teatro Colón, sur la Plaza Lavalle. On sait qu'il y a écouté les grands chanteurs de Bel Canto de l'époque et qu'ils l’ont beaucoup marqué. Eux qu'après sa mue, il imitait le soir pour les clients du bar Cuatro Chanta juste à côté de l'Abasto. Le patron de ce bistrot, qui l'aimait bien, payait son protégé en lui offrant le couvert. A 20 ans, Carlos Gardel pesait 120 kg. On a dû mal à se l'imaginer et pourtant les photos, celles qu’on peut voir dans le salon du Museo Casa Carlos Gardel, en portent témoignage.

En 1911, Carlitos, qu'on appelle encore El Francesito dans son quartier, rencontre José Razzano, un autre chanteur, né le 25 février 1887 à Montevideo mais arrivé tout petit, comme Gardel, à Buenos Aires où il passa toute son enfance. C’est l’époque où Carlitos change la dernière lettre de son nom : il commence à chanter sous le nom de Gardel, parce qu'il trouve que ça mieux (ce qui n'est pas faux, dans le contexte portègne). C’est sous ce nom de Carlos Gardel qu’il enregistre son tout premier disque en 1912. C’est sous ce nom qu’il apparaît dan son premier film, Flor de Durazno (fleur de pêcher ou fleur de Durazno, une ville d'Uruguay), en 1917 (un film muet). C’est enfin sous ce nom qu’il enregistre son premier tango, qui est aussi le premier tango-canción, Mi noche triste, où Pascual Contursi a raconté une histoire sur une partition instrumentale de Samuel Castriota (Lita). En 1917 aussi. Les disques d’avant présentent des chansons de la pampa, du folklore, dont il est parfois l’auteur, seul ou avec José Razzano. Très vite après leur rencontre, ils forment un duo de chanteurs (ténor et barytons). Ils s'accompagnent eux mêmes à la guitare comme des payadores. Ils se produisent professionnellement un peu partout en ville avec un succès tout à fait honorable. Ils ont des habitudes au Café de los Angelitos, qui a réouvert en juin 2007 après plusieurs années de fermeture à la suite d'un incendie. C'est là qu'ils créeront plusieurs valses, milongas et tangos de José Betinotti. Une dizaine d'années après la mort de Carlitos, José Razzano se souviendra avec nostalgie de cette période de sa vie et composera un tango intitulé Café de los Angelitos (ici, par Libertad Lamarque, en 1944). Dès sa réouverture, ce café a été porté sur la liste des Bares Notables (voir l'article que j'ai consacré en novembre à cette institution portègno-cafetière et à son rôle dans la vie culturelle de la capitale). Gardel et Razzano ont chanté au Café Hansen dont on vient de découvrir les vestiges des caves et du rez-de-chaussée à Palermo (voir l’article). Ils se sont produits à La Boca dans diverses gargotes fréquentées par les gauchos qui convoyaient les troupeaux jusqu'au port (exportation de viande) et les bouchers qui travaillaient aux abattoirs situés eux aussi dans le sud de la ville, au bord du Riachuelo (où l'on jetait les déchets d'abattage). Enrique Cadícamo et Ángel D'Agostino en ont évoqué le souvenir dans une milonga devenue un classique : El Morocho y El Oriental, comme le duo était connu à ses débuts (le Brun et l'Uruguayen). Et puis une nuit d'été, le 29 décembre 1913, ils furent invités par un haut dignitaire de la République à venir enchanter les oreilles des invités d’une fête qui se termina bruyamment dans un restaurant chic de Palermo, el Armenonville. Là, le duo continua de chanter. Et c'est ainsi que le patron du restaurant les entendit et leur offrit sur le champ un contrat mirobolant qu'ils acceptèrent sans en croire leurs oreilles (le cachet d'une soirée à l'Armenonville représentait ce qu'ils gagnaient jusqu'alors en 15 jours !). Ils se présentèrent pour la première fois sur l'estrade de l’Armenonville le 1er janvier 1914 et firent les beaux jours du prestigieux établissement, plusieurs soirs par semaine, jusqu'en 1920, année de sa fermeture, après seulement 10 ans d'existence.
Avec l’argent ainsi acquis, Carlos Gardel acheta, pour lui et sa mère, un appartement luxueux dans la rue Rincón à quelques cuadras du Café de los Angelitos, où il aimait aller souper après le travail, au coude à coude avec d'autres clients, nettement moins recommandables (la nuit, le milieu et les artistes se côtoyaient au point que la bonne société prenait volontiers les uns pour les autres). Et avec tout cela il n’avait jamais entamé la moindre procédure de naturalisation. Au reste, pourquoi aurait-il cherché à adopter la nationalité argentine ? La procédure n'apportait que des devoirs et pas de droit. Il fallait, surtout à son âge et malgré ses 120 kilos, accomplir son service militaire. Mais pour voter, il n'en était pas question. Le droit de vote venait d'être élargi en 1912 : il était désormais accordé à tous les citoyens mâles majeurs et argentins de naissance, ce qui éloignait des urnes la quasi-totalité de la tourbe ouvrière, essentiellement composée d'immigrants, et pas tous très soumis sur le plan social ! Des rouges ! Des roses ! Des noirs même, beaucoup, beaucoup de noirs : l'Argentine a toujours eu un fort courant anarchiste, métissage entre l'anarchisme natif des payadores et celui des bakounistes débarquant d'Europe...

Aussi le matin du 1er août 1914 le trouva à Buenos Aires mais toujours français. En tout cas sur le papier. Sur ses papiers. Sans doute ne lui vint-il même pas à l'idée, ce matin-là (plutôt cet après-midi-là, il ne se levait jamais avant midi) ni même les jours d’après, d'aller se faire enrôler au Consultat de France. Comment aurait-il pu se sentir concerné par ce qui se passait dans un pays avec lequel il n'avait jamais eu aucune relation ? Un pays qui avait si mal traité sa mère que même à la maison entre eux ils ne parlaient jamais français (son interprétation, incompréhensible, de Parlez-moi d'amour en fait foi)... Il est probable, cependant, que son surpoids et sa méconnaissance du français l'auraient fait réformé, tout au plus aurait-il pu être requis pour des tâches de manutention au Consulat pour permettre à un diplomate incorporable de partir sur le front.
Toujours est-il que les ennuis arrivèrent assez vite : en 1915, première opportunité de tournée internationale. Pas bien loin, mais hors des frontières tout de même : l'Uruguay, le Brésil et le Chili. Comment sortir d'Argentine sans prendre le risque de se faire faire arrêter à la demande des représentations diplomatiques françaises ? Des admirateurs haut placés le pourvurent, ni vu ni connu, de faux papiers, qui le vieillissaient de 20 ans (soyons prudents), l'avaient marié et l’avaient même doté de quelques enfants (on n’est jamais trop prudents : on n’osera pas arrêter un père de famille chargé de nourrir des têtes blondes).

Cette première tournée sud-américaine se passa bien, personne n'inquiéta le chanteur. Mais une fois la paix revenue, comment gagner l'Europe et en particulier la France où Eduardo Arolas remportait de vifs succès ? Et Toulouse, cette grand-mère avec laquelle Berthe venait de se réconcilier, cet oncle Jean et son épouse, leurs enfants, ses cousins... L'Armistice avait ressoudé la famille. Peut-être parce que l'enfant de la honte était devenu un artiste reconnu dans son pays qui offrait à sa maman un niveau de vie respectable et même enviable, lui permettant ce long voyage tous les ans, ce long voyage du retour que si peu d'immigrants purent réaliser. Plus probablement encore parce que Charles Carichou était mort au front, pendant la seconde bataille de la Marne, le 11 octobre 1918, à l'âge de 42 ans. Il avait fait toute la guerre... Deuil familial qui est sans doute une part de l'inspiration de Gardel, qui composa en 1932 le poignant tango Silencio qui évoque le désastre qui avait ensanglanté quelques années avant "los campos de Francia" (la campagne de France). Ici dans l'enregistrement que Gardel en fit à Buenos Aires en 1933.

Et c'est ainsi qu'un jour de 1920, Gardel se présente au consulat d'Uruguay (sans doute à la suite d'une combine montée dans les hautes sphères pour l'aider une nouvelle fois). Il est accompagné de deux témoins, dont José Razzano, et demande un certificat de naissance en déclarnat être né le 11 décembre 1887 à Tacuarembo, fils de Carlos et María, citoyens uruguayens décédés (comme ça, ils ne pouvaient pas dire le contraire). Aussitôt, le Consul fait établir le document au nom de Carlos Gardel, fils de Carlos et María Gardel, ce qui fait sursauter le juriste qui sommeille en vous. Figurez-vous que les juges uruguayens en 1936 ont eu la même réaction !

Avec ce papier, Gardel fit un peu plus tard un voyage à Montevideo, où un service officiel, tout aussi expéditif, valida le document. Et au retour, il entama une procédure de naturalisation qui aboutit en 1924 à la délivrance d'un livret militaire (sans service effectif) et d'un passeport argentin (ce passeport à demi-brûlé sur la foi duquel à Medellín la paroisse établira l'identité sous laquelle il sera enterré, le 25 juin 1935, et qu'Horacio Ferrer a transformé en une magnifique oraison déclamée par le récitant dans Oratorio Carlos Gardel, dont Horacio Salgán a signé la musique, en 1974). Sous cette identité (fausse), Carlos Gardel a parcouru le monde pendant 10 ans. Il est venu plusieurs fois à Toulouse et dans sa région, sans être jamais inquiété par la maréchaussée. Et pourtant on sait que tout le voisinage l'identifiait parfaitement au petit bâtard né à Berthe en 1890... Et puis un jour, avant de partir pour une tournée mondiale qui devait durer deux ans, il décida d'établir un testament. A toutes fins utiles. Un testament dont l'authenticité, aujourd'hui reconnue par plusieurs décisions judiciaires en Uruguay et en Argentine, sera constestée, très vivement contestée...
Et encore aujourd'hui, nombreux sont les Uruguayens qui refusent ce document et restent attachés à ce que, du côté argentin, on appelle la "thèse uruguayenniste"...
Depuis 1996, la République Orientale de l'Uruguay a fixé au 24 juin la célébration du Día Nacional del Tango (pour se distinguer du grand voisin).

En cette ville de Buenos Aires, le 7 novembre 1933, me trouvant en pleine jouissance de mes facultés intellectuelles, j'établis ce document, qui est mon testament olographe, disposant par lui de mes biens après mon décès, comme suit :

Premièrement : je suis français, né à Toulouse le 11 décembre 1890 et je suis le fils de Berthe Gardes.

Deuxièmement : j'atteste expressément que mes véritables prénoms et patronyme sont Carlos Romualdo Gardes mais pour motif de ma profession d'artiste j'ai adopté et pris toujours le patronyme Gardel et sous ce patronyme je suis connu en tout lieu. De même j'atteste que les comptes que je détiens dans les banques, nommément la Banque de la Nation Argentine, comme mes titres de propriété et autres papiers, sont établis universellement avec mon prénom et mon patronyme d'adoption, c'est à dire Carlos Gardel.
[...]
Cinquièment : je désigne pour unique et universelle héritière de mes biens et de mes droits ma mère, ci-dessus dénommée [...] J'atteste que la présente a été rédigée de ma main et sans interruption à la date mentionnée ci-dessus.
(Traduction Denise Anne Clavilier)


Photo du testament de Carlos Gardel, prise au Museo Casa Carlos Gardel, par autorisation spéciale.
(cliquez sur l'image pour la voir en grande résolution)

En esta ciudad de Buenos Aires, el día 7 de noviembre de 1933, encontrándome en pleno goce de mis facultades intelectuales otorgo éste, mi testamento ológrafo, disponiendo en él de mis bienes para después de mi fallecimiento, en la siguiente forma.

Primero: Soy francés nacido en Toulouse el día 11 de diciembre de 1890 y soy hijo de Berthe Gardes.

Segundo: Hago constar expresamente que mis verdaderos nombres y apellido son Carlos Romualdo Gardes pero con motivo de mi profesión (sic) de artista he adoptado y usado siempre el apellido "Gardel" y con este apellido soy conocido en todas partes. Asimismo hago constar que cuentas que tengo en los bancos, expresamente en el Banco de la Nación Argentina, así como mis títulos de propiedad y demás papeles, figuran universalmente con mi nombre y apellido de adopción o sea Carlos Gardel.
[...]
Quinto: Nombro por mi única y universal heredera de mis bienes y derechos a mi nombrada madre [...] hago constar que el presente ha sido redactado de mi puño y letra y de una sola vez lo firmo en la fecha de arriba mencionada.


(1) Vous pouvez cependant retrouver ici, en cliquant sur le lien, tous les articles que j’avais consacrés aux fêtes avec les poèmes, tableaux, portraits et autres montages photographiques qu’à cette occasion m’ont envoyés Litto Nebbia, Chilo Tulissi, Luis Alposta, Héctor Negro et Francisco Torné...
(2) Sur ces différents personnages, vous trouverez dans les colonnes de ce blog quelques articles sous la rubrique Histoire (pour ce qui est de San Martin, Rosas, Sarmiento et Peron) ou Jactance et Pinta (pour ce qui est de Maradona). Les rubriques prédéterminées sont répertoriées dans le haut de la colonne de droite. Vous pouvez vous construire vos thématiques en cliquant sur les mots-clés apparaissant en dessous des titres des articles.
(3) En fait, il semble que la famille d’Isabel profitait fort impudemment (mais ils n'étaient pas les seuls) de la générosité matérielle de l’artiste, qui était tout aussi désireux de gagner beaucoup d’argent que capable de le redistribuer aussitôt autour de lui comme de le dépenser en folies (cartes, dés, paris hippiques, fêtes et autres tournées générales). On a de lui quelques lettres adressées à José Razzano, du temps où celui-ci gérait ses affaires. Il s’y montre d’une sévérité sans ambiguité : "Affaire Isabel, je ne veux plus entendre parler de ces gens. S’ils te demandent quoi que ce soit, ne leur donne plus un centime !" Après la mort de Gardel, Isabel a exhibé différents clichés où on les voit tous les deux côte à côte, à l’en croire profondément amoureux. Mais il faut se lever tôt pour trouver une différence avec les autres photos où il est avec une ou des amies, dont on sait, pour le coup en toute assurance, qu’elles furent des amies et non des maîtresses.
(4) Voir aussi, dans ce blog, l'article du 11 novembre 2008 sur les souvenirs rapportés par Enrique Cadícamo sur la journée du 18 novembre 1918 et les trois autres qui suivirent... à Buenos Aires.