La magistrature vient d'accepter la demande des parties civiles au tribunal qui juge, depuis février 2011, les responsables du plan systématique d'adoption frauduleuse des enfants d'opposants exécutés sous la dernière dictature militaire des années 1976-1983, Jorge Videla et Reynaldo Bignone, ainsi que quelques dignitaires de moindre envergure : il s'agit de citer comme témoin le cardinal Jorge Bergoglio dont les associations de droits de l'homme et en particulier Abuelas de Plaza de Mayo, sont persuadées qu'il sait des choses sur certains cas d'enlèvement d'enfants en bas-âge et de leur disparition sous une fausse identité.
Le code de procédure pénale prévoit pour les princes de l'Eglise (1) qu'ils ne soient pas contraints de se rendre à la barre, qu'il puisse y avoir un transport de justice jusqu'au lieu de résidence du dignitaire cité ou que ce dernier ait la liberté d'attester par écrit sans se déplacer. Le cardinal peut aussi renoncer à ce traitement de faveur et se rendre physiquemnet au tribunal de Comodoro Py, ce que réclament les parties civiles pour que le témoignage de l'archevêque ait toute la publicité et toute la transparence requises par la gravité des faits jugés.
La mise en cause du primat d'Argentine fait suite à la déclaration de Estela de La Cuadra qui a produit devant le tribunal les lettres que son père a envoyées au prélat, qui était alors le Provincial de la Compagnie de Jésus, au sujet de la recherche de sa fille et de sa petite-fille Ana, toutes deux disparues sous la Dictature, l'enfant étant née pendant la captivité de sa mère. Or le cardinal prétend n'avoir eu connaissance de la disparition d'enfants sous la dictature que depuis dix ans. Cette affirmation est en soi bizarre, la lutte de Abuelas de Plaza de Mayo étant très connue depuis beaucoup plus longtemps qu'une dizaine d'années. Et il est fort peu vraisemblable que le cardinal n'en ait entendu parler qu'à l'orée du présent millénaire... Estela de la Cuadra, est la fille, non disparue elle, de la première présidente de Abuelas, Alicia de la Cuadra. La naissance de sa nièce a dû se produire à la jointure entre 1977 et 1978 mais les faits sont encore difficiles à reconstituer.
La citation du cardinal est donc destinée à éclairer la situation mais les associations des droits de l'homme et les militants de gauche en général espèrent qu'il en surgira une certaine vérité sur la responsabilité ou la complicité qu'ils attribuent de longue date au prélat dans les agissements des partisans de la Dictature.
Pour en savoir plus :
lire l'article de Página/12 (en gardant bien en mémoire que Página/12 tient Bergoglio pour un ennemi de classe).
(1) Comme dans l'immense majorité des pays européens, il n'y a pas de séparation de l'Eglise et de l'Etat en Argentine, qui se présente malgré tout comme un état laïc, en ce sens qu'il reconnaît toutes les religions et non pas que la religion catholique, comme ce fut le cas à l'époque coloniale et jusqu'à l'adoption d'une constitution, ce qui n'intervint qu'en 1853. L'Eglise y est donc une institution officielle qui dispose de certains droits et traitements de faveur en tant que telle.