Semaine
chargée pour la Présidente argentine d'ici quelques jours :
après s'être rendue à l'ouest, à Santiago du Chili, pour
l'installation de Michelle Bachelet à la Moneda, cap à l'est, en
direction de l'Europe, pour Tango 01, l'avion officiel argentin.
L'entrevue au Vatican en manchette à gauche et le chef d'œuvre supposé du Palais Royal en vedette avec une photo couleur ! |
Escale
le 17 mars à Rome pour une audience privée à la Maison Sainte
Marthe où réside le Pape François avec lequel elle déjeunera à
13h. Le Pape a en effet fait annoncer, en décembre, un voyage en
Argentine mais seulement en juillet 2016 (voir mon article du 19 décembre 2013), or Cristina ne sera plus chef d'Etat à cette
date-là puisque son second mandat s'arrête constitutionnellement en
décembre 2015. On murmure qu'elle compense ainsi la déception de
n'être pas sur les photos du "retour" du pape argentin sur le sol
national...
Elle
enchaînera ensuite avec une visite d'Etat à Paris, avec déjeuner à
l'Elysée le 19 et inauguration du Salon du Livre à la Porte de
Versailles le 20, en compagnie de Jean-Marc Ayrault, puisque
l'Argentine est l'invitée d'honneur du salon à l'occasion du
centenaire de Julio Cortázar, qui a vécu à Paris ces dernières
années, des années très remuantes.
Ce
matin, tous les journaux traitent de l'audience pontificale, avec des
commentaires plus ou moins gauchisants (Página/12), méprisants
(Clarín) ou acides (La Nación - sous une autre plume que celle de
Elisabetta Picqué ou de Sergio Rubín, deux de ses journalistes
solides sur ces sujets, le quotidien en remet une couche acrimonieuse sur le retournement de la Présidente, qu'il n'attribue qu'à un bas calcul politique, et le
soi-disant refus, pourtant démenti par la Conférence épiscopale
argentine dès le 3 avril 2013, de la Présidente de recevoir le
cardinal Bergoglio à la Casa Rosada) (2), cette même Nación qui
ajoute, en une, un article sur ce qu'il y a de plus futile dans
l'hommage rendu à Paris à l'écrivain argentin à l'occasion du
Salon du Livre : l'installation sur la place du Palais Royal de
quelques gigantesques marelles (probablement incompréhensibles pour
les Parisiens qui ignorent tout à fait la signification de ce décor
incongru) (3), tout ça dans le soi-disant but de rappeler l'un des
plus grands romans de l'écrivain, Rayuela, où Cortázar emmêle les
deux capitales, Paris et Buenos Aires. Quelle faribole ! Et l'on
voit Hernán Lombardi, actuel ministre de la Culture de la Ville de
Buenos Aires, jouant à la baballe magenta avec les peintres
argentins Seguí et Minujín toute de rose vêtue.
Quoi
de plus consternant, surtout en pleine campagne électorale
municipale en France, que ces mondanités qui minaudent à la
mords-moi le nœud dans les beaux quartiers – mais à Paris, c'est
d'un chic ! Où est passé l'écrivain puissant et révolté,
fichtrement castriste, qu'était Julio Cortázar, dans cette
niaiserie ? En plus, ça a dû coûter un gros paquet de fric,
ces collages roses au bord de la rue de Rivoli, entre le Conseil
d'Etat et le Louvre ! C'est sans doute à cela que passent les
impôts locaux en hausse constante à Buenos Aires, et le pourquoi du
comment du montant du prix du ticket de métro, pardon du boleto de
subte...
Dans
le genre gaudriole, Clarín n'est pas en reste, qui traite dans
son supplément féminin, au rayon Bien-être (sic), de la création
d'une page Facebook italienne de remerciements au Pape François à
l'occasion, très prochaine, du premier anniversaire de son élection
(13 mars). Il faut se pincer pour y croire !
Capture d'écran sur le site Web de Clarín. Il faut le voir pour le croire... |
Et
c'est d'autant plus enrageant que si la presse d'opposition voulait
faire son travail sur toute cette séquence, ce ne serait pas très
difficile d'attaquer l'actuel gouvernement sur le choix
ultra-partisan des écrivains qu'il envoie à Paris, au salon de la
Porte de Versailles. Qu'ils aient ou non du talent (et certains en
ont beaucoup), ce sont tous des électeurs de Cristina. Or toute
l'intelligentsia argentine n'est pas unanimement derrière elle. Il y
a plein d'artistes de valeur à d'autres endroits du spectre
politique. On pourrait imaginer que ces rédactions réclament une
vraie représentativité, dans la diversité du paysage littéraire
et intellectuel national.
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 sur le déjeuner prévu avec le Pape
lire l'entrefilet de Clarín sur le même sujet
lire l'article de Clarín sur la page Facebook de reconnaissance au Saint-Père
lire l'article de La Nación sur la visite présidentielle au Vatican
lire l'article de La Nación sur les onéreuses simagrées de la place du Palais Royal.
(3) Et il y a sans doute dans ce changement d'attitude une décision politique mais il y a aussi de la sincérité, comme on l'a vu à plusieurs reprises dans l'enthousiasme spontané qu'elle a manifesté à Rio de Janeiro (voir mon article du 29 juillet 2013) et l'humour dont elle avait déjà fait preuve pour la fête des Apôtres Pierre et Paul en juin dernier (voir mon article du 6 juillet 2013 - une lettre vraiment très drôle et que La Nación n'avait pas appréciée du tout).
(2)
Voir mon article du 5 avril 2013 sur ce ferme et très rapide démenti
apporté par la CEA elle-même. Cette manœuvre de La Nación, c'est
vraiment de la désinformation et de la manipulation de l'opinion
publique. Ils sont indécrottables.
(3)
Et même pire, car ça doit inspirer aux passants des commentaires
aigres du genre : "ils ne nous ont pas assez em... avec leur
saleté de colonnes de Buren ? il faut encore qu'ils nous
colorisent le pavé !"