dimanche 28 février 2016

Très joli poncho ! Merci, Monsieur le Président [ici]

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Tout le monde doit bien le reconnaître, malgré tous les démentis préalables qui ont été publiés du côté argentin comme de celui du Saint-Siège, le courant ne passe pas entre Mauricio Macri et le Pape François. On se disait bien aussi que la politique sociale, très agressive, mise en place par Mauricio Macri dès sa prise de fonction, avait peu de chance de convenir à un Souverain Pontife qui ne cesse de dénoncer la soumission de l'homme à l'économie alors que l'Evangile réclame l'inverse.

Hier matin, le Pape avait sa tête des mauvais jours. Visage figé, sans un sourire, celui-là même qu'il arborait quand il avait douché à l'écossaise un François Hollande qui tâchait de récupérer auprès de lui et en pleine tempête du mariage pour tous une aura de lutteur pour l'équité sociale...

Página/12 laisse une grande place à Milagro Sala, toujours sous les verrous
Il semblerait qu'elle détenait une immunité parlementaire qui a donc été violée par son arrestation
Il y a quelques jours, le Pape lui a fait parvenir un chapelet qui est interprété comme un soutien politique
Le gros titre fait référence à la suggestion faite à la prisonnière par le gouvernement national :
qu'elle demande le régime de résidence surveillée

L'audience en tête-à-tête n'aura duré que vingt-deux minutes, ce qui est très court et nettement moins que ce qu'il accordait à Cristina Fernández de Kirchner (en général, les audiences aux chefs d'Etat durent 25 minutes. L'une accordée à Cristina avait dépassé l'heure). En revanche, qu'il ait reçu Macri dans son bureau du palais pontifical n'a pas la signification négative que certains journaux lui donnent. Au contraire. Il y a belle lurette maintenant que le Pape ne reçoit plus les chefs d'Etat et de Gouvernement en visite officielle à la Casa Santa Marta où il vit mais au palais pontifical où il fait déployer tout l'apparat qui s'impose dans les relations diplomatiques.

Les visages n'étaient pas plus détendus au moment des échanges de cadeaux. Le Pape a reçu un énième poncho, très beau il est vrai (tissé en alpaga dans un camaïeu de beige), une croix dont l'histoire est liée à l'évangélisation de l'Argentine par les jésuites, l'ordre auquel appartient le Saint Père et un coffret de douze CD de musique populaire argentine (1). Or on se souvient de la joie avec laquelle le Pape avait accueilli le service à mate offert par Cristina lors de sa toute première audience, le 19 mars 2013. Il est vrai toutefois que c'était le jour de son installation à Saint Pierre de Rome et que l'émotion devait être forte de recevoir ainsi quelque chose qui soit aussi lié au concret de sa vie la plus quotidienne dans le diocèse qu'il venait de quitter sans avoir même imaginé qu'il n'y retournerait pas...

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Página/12 se frotte les mains de ce qu'il analyse comme un camouflet pour sa bête noire qu'est le nouveau Président.
La Nación se bat les flancs pour atténuer sa propre déception et cette calamiteuse impression de loupé qui se dégage des images où le sourire du président n'a jamais paru aussi forcé.
L'un et l'autre quotidiens analysent chacun de son point de vue le non-dit qui s'exprime entre les deux hommes à travers leur gestuelle et leurs attitudes corporelles et La Nación se console avec la première protocolaire réservée au couple présidentiel : ce serait la première fois que le Pape recevrait, au cours d'une audience diplomatique, la femme d'un chef d'Etat alors que le couple, catholique, n'est pas marié à l'église (Macri en est à son troisième mariage après deux divorces, Juliana Awada et lui font donc partie de ces divorcés-remariés civilement qui ne peuvent pas s'approcher des sacrements) (2).
Le chroniqueur religieux de Clarín, Sergio Rubín, fait lui aussi des pieds et des mains pour atténuer le contraste entre la chaleur qui régnait entre le Pape et Cristina et la fraîcheur de mise hier matin tout en concédant qu'en effet les deux hommes n'ont guère d'atomes crochus (3). Et c'est d'ailleurs peut-être bien la raison pour laquelle la diplomatie blancoceleste a fait ce virage dès la prestation de serment de Macri en insistant sur la nécessité de donner aux relations entre la République argentine et le Saint-Siège la respectabilité et le caractère institutionnel qui leur convient. Cela permet en plus de critiquer le comportement du gouvernement antérieur (4).

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La Casa Rosada faisait hier le service minimum sur cette rencontre : deux photos en tout et pour tout (ce qui n'est pas vraiment inhabituel), un communiqué laconique, l'absence de sa fillette dans les apparitions publiques du couple présidentiel, tant au Vatican qu'à titre privé, ensuite, dans les petites rues de Rome, or l'enfant fait pourtant le voyage avec ses parents. Rien sur le canal Youtube de la présidence, pas même la conférence de presse qui a suivi l'audience papale ! Il n'en reste pas moins que la première dame était très bien habillée : chic et sobre, avec une impeccable maîtrise des codes vestimentaires de la vieille aristocratie européenne (et ça, Cristina ne savait pas faire. Elle était toujours très chic mais assez voyante, il faut bien reconnaître).

Pour en savoir plus :
lire l'article sur le décodage de la gestuelle dans Página/12
lire l'article de La Nación sur la gestuelle
lire l'article principal de La Prensa, dont le titre est différent de celui qui apparaît sur la une

La Nación publie plusieurs articles supplémentaires, dont un sur les règles du protocole qui s'imposaient à Macri (je n'ai aucun souvenir qu'ils aient fait la même chose lorsque Cristina était concernée, indication forte qu'ils tentent d'amoindrir la déception provoquée par cette audience des plus froides), une analyse très fouillée de l'exception faite au bénéfice de Juliana Awada de Macri et un billet de l'éditorialiste Joaquín Morales Solá qui explique tout cela par la différence de caractère entre les deux hommes.



(1) L'équipe francophone de Radio Vatican, qui n'a fait décidément aucun progrès dans sa connaissance de la réalité argentine depuis l'élection du 13 mars 2013, parle de "12 CD de tango". Comme s'il n'y avait que du tango en Argentine. Il s'agit en fait d'un tour du pays en musique, avec toutes les traditions rurales et urbaines. Le tango, c'est la musique des grandes villes et uniquement des grands centres urbains.
(2) Mais il est bien possible qu'il s'en contre-moque puisqu'on le dit converti, officieusement du moins, au bouddhisme.
(3) Il oublie aussi de dire qu'une part de la chaleur humaine qui existait entre François et Cristina vient du fait que celle-ci a complètement changé de regard sur le pape après son élection et qu'elle a abandonné les préjugés qu'elle nourrissait à l'encontre du cardinal Bergoglio. Or quand une relation entre deux être humains passe ainsi de la détestation à la bienveillance et à l'écoute mutuelle, il n'est pas anormal que cela se traduise par une certaine euphorie dans le reste de la relation, surtout avec deux personnalités aussi extraverties que le Pape François, surtout après son élection (le cardinal était beaucoup plus retenu), et Cristina Kirchner. A côté de leur jovialité communicative, qui témoigne de la profondeur de leur culture populaire, Mauricio Macri, qui appartient à cette upper class quelque peu britannique du Nouveau Monde, montre un comportement beaucoup plus réservé.
(4) Qu'ils pourraient se contenter plus justement de critiquer sur d'autres terrains.