Photo d'archives (La Nación) |
Le chanteur Juan Carlos Godoy est
décédé hier, à l'âge vénérable de 93 ans. Avec lui et avec
Alberto Podestá, décédé il y exactement deux mois (et dont la
carrière était plus significative), ce sont les derniers grands
chanteurs de l'époque dorée du tango, la época de oro,
c'est-à-dire les années 1940-1950 à Buenos Aires, qui s'en va. Il
avait débuté en 1950, à la toute fin de cette période faste du
genre, avant la grande crise qui commença après le renversement de
Perón en 1955.
En 2008, Juan Carlos Godoy avait
participé au film de Gustavo Santaolalla et Miguel Kohan, Café de los Maestros, qui
l'avait ramené sous les feux des projecteurs.
Sa disparition intervient en même
temps que celle d'un ancien ministre de Carlos Menem, de dix ans son
cadet et dont la mort occupe bien davantage la presse argentine
aujourd'hui que celle de ce vieux chanteur de tango, à la moue souvent hautaine et à l'âme faubourienne.
Juan Carlos Godoy, à la Academia Nacional del Tango, du temps de Horacio Ferrer (sans doute une photo transmise par Cecilia Orillo à Télam) |
Ce n'est pas le plus grand des artistes
de sa génération. Dans les années 1950, il fut un chanteur
d'orchestre parmi d'autres, et pour des orchestres de second ordre
mais dans un monde tanguero où la qualité était généralement
très élevée, où il était par conséquent très difficile de se
faire une place au soleil comme ont pu le faire Castillo, Julio Sosa
ou Goyeneche. Ceci ne l'a pas empêché de connaître un succès
considérable en Colombie, dont la radio nationale lui rend
aujourd'hui hommage avec plus d'empressement que ne le font les
médias argentins. Il s'était même établi en Colombie dans les
années 1980, ne rentrant dans son pays natal qu'en 2004. On ne peut
pas dire qu'il ait eu une très grande influence dans le milieu
artistique mais son âge en faisait l'un des rares témoins
privilégiés de ce moment que nous traversons et où les tangueros
cherchent depuis un peu plus de vingt ans à renouer les fils de la
tradition, à retracer l'histoire du genre, à rattraper le temps
perdu par la rupture des années 60 à 80 qui a cassé la
transmission et l'enseignement entre les générations. C'est ainsi
que Gabriel Soria, actuel président de la Academia Nacional del
Tango, et son épouse d'alors, Cecilia Orillo, lui ont fait
enregistrer son premier disque comme soliste en 2010, Canchero, selon
le titre d'un tango et en clin d'œil à sa passion pour les courses
de chevaux (le "canchero", c'est le turfiste invétéré, celui qui est
toujours dans les gradins des hippodromes). Il y a deux ans, Cecilia
a produit, seule cette fois, son second disque, Obsesión, et le lui
fait présenter au Festival de Buenos Aires, pour célébrer ses
quatre-vingt-dix printemps. Et c'est encore elle hier qui a informé la presse de son décès, après la cérémonie des obsèques, qui s'est réalisée dans l'intimité de la famille et des amis proches.
Il devait son nom de scène, qu'il
n'aimait pas, au compositeur et chef d'orchestre Ricardo Tanturi, qui
voulait qu'il y ait un accent tonique, que ne possédait pas son nom
d'état-civil.
Sa mort n'a que peu d'écho dans la
presse de cet été austral. Seuls Página/12 et La Nación lui
rendent hommage aujourd'hui, parmi les grands quotidiens nationaux. Divers titres de la presse provinciale reviennent toutefois sur l'événement...
Pour aller plus loin :
lire la dépêche de Télam
consulter sa page sur l'encyclopédie en ligne Todo Tango (on peut y écouter sa voix)
consulter la fiche du film Café de los Maestros sur le site Internet Cine Nacional.