lundi 15 février 2016

Première vendange aborigène à Tucumán [Actu]

La cave de Amaicha (photo Angel y Vino)

C'est La Gaceta de Tucumán, le quotidien local de cette province, qui nous l'annonce : la communauté diaguita Amaicha s'apprête à faire ses premières vendanges sur le vignoble collectif qu'elle possède à Amaicha del Valle, une bourgade aborigène de la célèbre et magnifique région de Valle Calcharquí, dans la Province de Tucumán, au nord-ouest de l'Argentine.

Les 5 000 membres de cette communauté amérindienne espèrent produire un vin correspondant à leur identité culturelle et à leurs valeurs ancestrales. Son conseil des Anciens a en particulier choisi pour cacique un jeune avocat très dynamique, le Dr. Eduardo Nieva.

Son vin sera un breuvage d'altitude (2 500 m au-dessus de la mer) et correspondra donc à la viniculture la plus recherchée en Argentine depuis que le réchauffement climatique menace les vignobles de plaine (notamment celui de Mendoza) et que les producteurs se sont mis à chercher dans les montagnes des terroirs où puissent s'équilibrer le chaud et le froid indispensables au bon développement des arômes des divers cépages acclimatés au fil des siècles en Argentine.

La cave pendant sa construction
présentée sur la revue du défunt secrétariat d'Etat à l'agriculture familiale

Amaicha est le premier vignoble indien du pays et seulement le second dans le monde. La petite vigne, surtout à l'échelle du vignoble argentin, qui se mesure en km2, a été plantée en 2011 : 25 élargis à présent à 35 hectares, plantés en malbec (LE cépage argentin par excellence), cabernet-sauvignon et merlot, deux autres cépages abondamment représentés dans l'œnologie du pays. Il s'agit d'une viticulture durable, sans pesticide ni engrais, bref ce sera du vin bio ! Les vignerons en espèrent 100 000 bouteilles par an, en vitesse de croisière...
La communauté a fait construire une petite cave sobre mais équipée du matériel le plus moderne qui soit (le vin sera fabriqué et élevé en cuves métalliques). Elle se dresse sur un modeste promontoire, non loin du site archéologique des Ruines de los Quilmes, ancienne forteresse remontant au VIIIème siècle av. JC, restaurée à la fin des années 1980 comme partie du patrimoine national argentin. Le bâtiment très sobre, très beau, respecte les critères de la construction diaguita traditionnelle et n'emploie que des matériaux locaux. Les vendangeurs devraient récolter dans environ un mois, la date classique pour des vendanges en Argentine, puisqu'elles s'étalent de fin mars à fin avril (hors vendanges tardives et vins de glace, encore très peu fréquents). La Gran Nación Diaguita, qui présente la particularité d'avoir survécu en maintenant intactes ses traditions politiques, en dépit de la domination coloniale espagnole sur ses terres, a fait appel pour mener à bien son projet à des experts de différentes régions viticoles le long des Andes, depuis Mendoza, qui est le leader historique du vin dans le pays, jusqu'à Tucumán.

A noter donc dans vos carnets pour un prochain voyage sur les routes du vin argentin... Celle de Tucumán est particulièrement développée. Le village et sa cave en formation sont inscrits sur la route des communautés amérindiennes de la Province et participent d'ores et déjà du programme touristique provincial Ruta del Vino.

La Nación
(facsimilé d'un article de 2014 sur le tourisme du vin et des vendanges)
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Le plus souvent, l'Argentine fait du vin blanc avec des cépages blancs, d'où le cliché...

La communauté vit déjà d'agriculture variée et d'artisanat (du tissage notamment) et d'autres activités qu'ils dirigent de manière autonome. Ils ont voulu éviter le sort d'une communauté voisine, à Tafí del Valle, qui sont eux des salariés de propriétaires terriens d'origine européenne (et quand on sait ce que c'est que le statut d'ouvrier agricole dans ce pays : droits sociaux, néant ! Payés à l'élastique ou à la tête du client...). Amaicha propose aussi des activités touristiques à haute valeur culturelle ajoutée, dont plusieurs festivals d'arts vivants, entre autres le traditionnel festival de la Pachamama autour du culte ancestral à la Terre-mère sur lequel les peuples du Noroeste argentin tiennent comme à la prunelle de leurs yeux, même si les touristes y voient trop souvent hélas un folklore pittoresque dans le mauvais sens de l'expression.

Cette agriculture biologique aborigène correspond exactement au champ d'action qui était celui du secrétariat d'Etat à l'agriculture familiale qui vient de disparaître au ministère de l'Agriculture nationale à Buenos Aires.

Pour en savoir plus :
lire aussi cet article de La Nación du 12 avril 2015 sur les routes du vin de la région (en jpg pour illustrer cette entrée).