La Casa Rosada, de nuit, en août 2011 avec un éclairage spécial bicentenaire |
Le Gouvernement argentin a
fait savoir que le Président Macri entendait transformer en
profondeur la décoration de la Casa Rosada : d'une part, il va
moderniser l'ameublement, faire une place au design actuel, façon
Pompidou en France au tournant des années 60 et 70, et transformer
ce lourd palais fastueux, chargé d'histoire, en un lieu de travail
fonctionnel (1), d'autre part, il va remettre les symboles à leur
place légitime en "désidéologisant" les arrangements très
partisans, à la limite du sectaire, effectués par Cristina
Kirchner.
C'est ainsi que les bustes
des héros péronistes et revisionistas (2) ainsi que celui de
l'ancien président Néstor Kirchner vont faire place nette dans le
grand vestibule d'honneur où Cristina leur avait attribué une place
privilégiée. Désormais, les héros non argentins, les anciens,
comme Simón Bolívar, et les contemporains, comme Hugo Chávez, vont
disparaître ainsi que les héros non institutionnels comme Evita
Duarte de Perón, dont Cristina a usé et abusé autant qu'il lui a
été possible (c'est la grande héroïne du féminisme péroniste, tout de même !). Place aux Argentins et uniquement à eux. Adieu le
rêve de la Patria Grande, si chère à la gauche sud-américaine : tout le continent uni dans une même fédération...
Les bustes des présidents seront bientôt rassemblés dans une
galerie où ils seront présentés dans l'ordre historique de leur
mandat et sans distinction de personne. Bien entendu, le geste
significatif sera ce qu'il fera des présidents de facto, ceux qui
ont emménagé à la Casa Rosada après avoir réussi un coup d'Etat.
Le musée national du
Bicentenaire, installé à l'arrière du palais présidentiel, avec
vue sur Plaza Colón, va lui aussi être entièrement repensé afin
d'y équilibrer le discours historique : Rosas et Perón seront
descendus de leur piédestal revisionista et Sarmiento, bien
maltraité par le discours kirchneriste, sera réhabilité (3) (voir à ce sujet le Vademecum historique dans les Petites Chronologies de la Colonne de Droite). Le
travail devrait être confié à des muséologues et des historiens
dignes de ce nom (en tout cas, c'est ce qu'on nous annonce). Il
faudra voir pour en avoir le cœur net.
Copie d'écran de Gobierno Abierto |
Par ailleurs, le
Gouvernement vient de mettre en place deux nouveaux portails Web,
Gobierno Abierto et Datos, dont l'objectif est d'injecter de la
transparence dans l'information publique : de nombreuses données
y seront accessibles pour en terminer avec la politique d'opacité
que Macri critique chez ses deux prédécesseurs. L'Argentine est en
effet classée au 57ème rang pour l'accessibilité des
données publiques tandis que le petit voisin qu'est l'Uruguay
arrive, lui, à la 7ème place. L'Argentine a donc des
progrès à faire : le ministre de la Modernisation et celle des
Affaires étrangères se sont donc réunis il y a quelques jours pour
présenter à la presse le nouveau site Internet. Plusieurs
municipalités de la province de Buenos Aires, comme Bahía Bianca,
Junín et Rivadavia (4), ont déjà accepté de participer au portail
Datos en déposant leurs données officielles. Y participent aussi
les provinces de Misiones et de San Luis, qui sont dans l'opposition
nationale (majorité provinciale kirchneriste) (5).
Dernière révolution
symbolique qui clôt ces 100 jours d'ouverture du nouveau
gouvernement : le ministère de la Sécurité réfléchit à la
mise en place d'un système de protection qui permette de retirer le
jeu de hautes barrières métalliques derrière lequel la Casa Rosada
se retranche depuis des années. Cela rendrait enfin à la Plaza de
Mayo cette belle perspective dégagée qu'elle mérite, non pas
qu'elle soit également belle sur ces quatre côtés mais l'équilibre
qui existe entre le Cabildo à l'ouest, la Casa Rosada à l'est et
la cathédrale au nord, avec au centre le pyramidion de Mai et la
statue équestre de Belgrano, mérite une mise en valeur patrimoniale
que la laideur de ces barrières grises à grillage serré gâche
irrémédiablement... J'attends donc le mois d'août avec impatience
pour découvrir tous ces changements !
Pour aller plus loin :
lire l'article de La Nación sur les deux portails Web de la transparence gouvernementale
lire l'article de La Nación sur le projet de libérer Plaza de Mayo de ses hideuses
protections
Consulter le portail
Datos.org.ar et le portail Gobierno Abierto.
(1) Mauricio Macri semble
passablement insensible à la dimension patrimoniale et historique en
général. La manière très cavalière dont il a photographié son
chien assis dans le fauteuil présidentiel, une image qu'il a
aussitôt diffusée sur Twitter, avait déjà alerté sur cette
absence de sensibilité. Il est possible que le dépoussiérage qu'il
prétend faire relève de ce manque de considération pour
l'épaisseur du temps que matérialise le patrimoine de la Casa
Rosada, une épaisseur du temps qui n'avait jamais quitté la
conscience de Pompidou.
(2) Revisionismo :
cette théorie et cette pratique académiques consistent en une
interprétation de l'histoire qui combat la vision forgée à la fin
du XIXème siècle par des génies intellectuels
conservateurs, voire réactionnaires, que furent Sarmiento et Mitre.
C'est leur vision qui a imprégné les manuels d'histoire de l'école
publique obligatoire jusqu'à aujourd'hui, malgré les efforts de
Cristina Kirchner pour dépoussiérer tout cela. Le revisionismo se
veut une déconstruction de ce qui est devenu un prêt-à-penser à
tel point intégré par les Argentins qu'ils sont très désarmés
pour le contester. En particulier avec sa réintégration du rôle du
peuple et des réactions collectives, contre une histoire
événementielle, constituée tout entière de batailles et de grands
hommes, cette démarche est donc très probablement une étape
indispensable pour relancer une démarche critique sans laquelle il
n'est pas de réflexion historique qui vaille mais le revisionismo a
pour défaut majeur son caractère idéologique, que par ailleurs il
revendique (il a donc le mérite de ne tromper personne sur la
marchandise !). Du fait de ce parti pris idéologique, tout
assumé qu'il soit, la lecture que ses tenants font de l'histoire est
aussi critiquable que celle qu'ils prétendent déconstruire. Il y a
dans ce courant des historiens intéressants à lire et
raisonnablement solides (Norberto Galasso, par exemple) et d'autres,
tantôt farfelus tantôt superficiels, tout à fait dénués
d'intérêt (c'est le cas d'un Pacho O'Donnell par exemple, le
fondateur malheureux du désormais dissous Institut National de
Revisionismo historique Manuel Dorrego – voir mon article du 5 janvier 2016).
(3) Il se trouve que
Sarmiento, grand génie, écrivain, ingénieur, agronome, pédagogue
et homme d'Etat qui a puissamment contribué à développer
l'Argentine dans à peu près tous les domaines, est aussi un
personnage rugueux, fort peu sympathique, très représentatif des a
priori de son époque, raciste et peu scrupuleux dans le combat
politique et idéologique. Sur ces points, il n'est pas sans nous
rappeler Jules Ferry : comme lui, il a imposé l'école
obligatoire dans son pays (1883). En revanche, sur le plan financier,
c'était un homme d'une honnêteté inattaquable, dans une époque où
la corruption était monnaie courante. Avec Mitre, c'est la bête
noire de la gauche souverainiste en Argentine. Il n'est donc pas très
bien traité dans le très beau Museo Nacional del Bicentenario,
voulu par Cristina Kirchner et ouvert en 2010.
(4) Des villes baptisées
Rivadavia ou Junín, il y en a dans à peu près toutes les
provinces, c'est comme San Martín, Belgrano ou Sarmiento... Il faut
donc ne jamais oublier d'indiquer la province quand on les cite.
(5) Les Gouverneurs FpV
(Frente para la Victoria) se répartissent désormais en deux
catégories : ceux qui restent droits dans leurs bottes
partisanes et ceux qui acceptent le dialogue et la coopération avec
le gouvernement national. De la même manière, le groupe FpV s'est
scindé en deux à la Chambre des Députés nationale : le
nouveau groupe entend jouer le rôle d'une opposition constructive.
L'autre compte bien rester campée dans une opposition obstructive
mais n'y parviendra pas systématiquement, eu égard à la
défaillance du petit noyau des dissidents qui ont définitivement
pris leurs distances avec Cristina, sans qu'on sache s'ils en sont
soulagés ou s'ils quittent un navire qu'ils sentent en danger de
sombrer...