Hier au Vatican, s'est tenue cette
fameuse audience qui alimente la presse argentine depuis quinze jours (voir mon article du 14 mai 2016) et qui a provoqué un grossier scandale, monté précipitamment pour
décrédibiliser le Pape, qui pourrait bien venir non pas de
militants lambda du Pro, qui auraient débordé la direction du
parti, mais bel et bien d'une source gouvernementale, si l'on en juge
par la manière dont depuis mercredi dernier, le Président Macri a
brutalement tombé le masque et rejeté, non sans un certain cynisme,
les suggestions de l'Eglise qu'il se donnait jusqu'à présent toutes
les apparences de vouloir ménager.
Cette audience, c'est celle que le Pape
François a accordée dans un salon de réception de la Casa Santa
Marta, où il réside, à Hebe de Bonafini, la turbulente et peu
démocratique présidente de l'association Madres de Plaza de Mayo,
une femme qui a passé des années à l'insulter et à le calomnier
quand il était archevêque de Buenos Aires.
Photo diffusée par Hebe de Bonafini sur les réseaux sociaux Elle a fait chauffer les pixels hier, sitôt l'audience terminée ! |
L'entretien a duré une heure et demie
(Página/12 parle de "deux heures" et La Nación d"'un peu plus d'une
heure", cherchez l'erreur). D'après certaines sources, Hebe de
Bonafini a demandé pardon (1) pour les propos calomnieux qu'elle a
soutenus pendant des années en disant à celui qui la recevait chez
lui qu'elle s'était trompée sur son compte et le Pape, en chrétien
qu'il est, aurait balayé ce passé peu ragoûtant d'un revers de
main ("on arrête là, lui aurait-il dit selon un témoin de la scène,
nous faisons tous des erreurs").
Dans l'après-midi qui a suivi (heure
de Rome), Hebe de Bonafini, fidèle à elle-même, a répondu aux
questions des journalistes et utilisé les propos qu'elle attribue au
Souverain Pontife pour dénoncer la politique du Gouvernement actuel,
qu'elle continue de voir comme son ennemi alors qu'il a été
démocratiquement élu (2). Elle a même comparé la situation
actuelle à celle qui a suivi le coup d'Etat de septembre 1955, qui a
renversé Perón (et mis l'économie et la diplomatie argentines en
coupe réglée au profit des Etats-Unis d'Amérique) – c'est la
première fois que je vois faire ce rapprochement, mais il est vrai
que Bonafini, avec ses 87 printemps, a l'âge de la faire.
Radio Del Plata, une station de
l'opposition qui émet depuis Buenos Aires en modulation de fréquence
et par streaming, l'a interviewée plus tard encore dans son émission
de l'après-midi (heure de La Plata), Secreto de Sumario (secret de
l'instruction). Cet entretien, découpé en plusieurs
enregistrements, est en ligne sur le site Internet de la radio et
peut même, sous certaines conditions, être téléchargé sous forme
de podcast.
Les services de communication du
Vatican restent muets sur cette réunion, y compris dans les pages en
espagnol, puisque cette audience était inscrite à l'agenda privé
du Saint Père dans le cadre de son ministère sacerdotal et n'a donc
rien à voir avec l'exercice de son ministère pétrinien. En
revanche, en Argentine, l'agence de presse catholique s'est fendue
d'une courte dépêche qui parle d'une entrevue d'un peu plus d'une
heure, est illustrée d'une photo où le Pape et Bonafini se saluent
d'une bise (désormais traditionnelle en Argentine) et ne dit rien du
contenu de l'entretien, sauf ce qui en a été dit autour de la
demande de pardon qui a été acceptée par le Pape (on ne voit
d'ailleurs pas comment elle aurait pu être rejetée !) (3). Sur
les critiques du Gouvernement sur lesquelles Hebe de Bonafini s'étend
elle-même longuement, pas l'ombre d'un mot. C'est donc bien conforme
à ce que François en avait hier il y a deux jours par mail à l'un
des prêtres du diocèse de Buenos Aires avec lequel il est resté en
contact : la récupération dont Bonafini pourra se rendre
responsable ne le concerne pas (d'ailleurs, s'il n'affiche pas cette
indifférence, il ne pourra plus recevoir aucun Argentin, car ils
tirent à peu près tous parti du moindre contact avec lui pour au
mieux se faire mousser, au pire lui faire soutenir leurs décisions).
Comme d'autres médias, AICA souligne
toutefois que la militante s'était fait accompagner par l'épouse
d'un ministre de Cristina Kirchner, l'un des plus
détestés par la nouvelle majorité, Guillermo Moreno (un type tout
aussi sectaire que Hebe elle-même). Le voyage a dû coûter à
l'association un bon paquet de pesos si l'on en croit la suite dont
Hebe de Bonafini était entourée...
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12, qui ne
comprend toujours pas ce qu'est l'Année de la Miséricorde et croit
que ce dernier terme désigne une sorte d'aumône condescendante ou
de pardon accordé du bout des lèvres (le journaliste interprète
donc comme un appui du Pape à l'opposition la longueur de
l'entretien, qu'il exagère à dessein)
lire l'article de La Nación, qui
ajoute un éditorial, mesquin, dépité et vipérin, dans lequel le
journaliste feint de ne pas faire la différence entre les relations
qu'un Pape peut entretenir avec un chef d'Etat qui exerce une
responsabilité politique dans ce bas-monde (Mauricio Macri) et
celles qu'il peut avoir avec une simple particulière, aux opinions
politiques aussi arrêtées que connues, et qui a vu ses enfants lui
être enlevés pour être torturés et assassinés au nom d'un Etat
signataire de la déclaration universelle des droits de l'homme (Hebe
de Bonafini) (4)
lire l'article de Clarín
écouter l'interview sur Radio Del Plata
lire le communiqué officiel de Madres de Plaza de Mayo qui en parle aussi sur sa page Facebook et le reste
des réseaux sociaux.
Ajouts du 29 mai 2016 :
lire cet éditorial de Joaquín Morales Solá dans La Nación où le journaliste cherche à ramener la querelle sur l'audience à Hebe de Bonafini à ses dimensions spirituelles. Il était temps.
A cet éditorial s'ajoute, dans la même édition, l'interview qu'à Rome le neurologue argentin Facundo Manes donne à Elisabetta Piqué, correspondante de La Nación en Italie, où le chercheur en médecine tâche de ramener lui aussi le lecteur à la raison et à une saine interprétation de l'entrevue d'avant-hier.
Lire également l'entrefilet de La Prensa sur les commentaires de l'ancien évêque de San Isidro (Prov .de Buenos Aires).
Ajouts du 30 mai 2016 :
lire l'éditorial de Página/12 sur les efforts du Gouvernement pour réparer les erreurs de communication qu'il a multipliées autour du 25 mai et qui ont révélé au grand jour les dissensions entre lui, le Pape et la conférence des évêques argentins...
Il aura fallu attendre le lendemain de l'audience, le 28 mai, pour que les services du Vatican mettent en ligne un bref communiqué de Radio Vatican sur cette rencontre dans les pages en espagnol.
Ajouts du 29 mai 2016 :
lire cet éditorial de Joaquín Morales Solá dans La Nación où le journaliste cherche à ramener la querelle sur l'audience à Hebe de Bonafini à ses dimensions spirituelles. Il était temps.
A cet éditorial s'ajoute, dans la même édition, l'interview qu'à Rome le neurologue argentin Facundo Manes donne à Elisabetta Piqué, correspondante de La Nación en Italie, où le chercheur en médecine tâche de ramener lui aussi le lecteur à la raison et à une saine interprétation de l'entrevue d'avant-hier.
Lire également l'entrefilet de La Prensa sur les commentaires de l'ancien évêque de San Isidro (Prov .de Buenos Aires).
Ajouts du 30 mai 2016 :
lire l'éditorial de Página/12 sur les efforts du Gouvernement pour réparer les erreurs de communication qu'il a multipliées autour du 25 mai et qui ont révélé au grand jour les dissensions entre lui, le Pape et la conférence des évêques argentins...
Il aura fallu attendre le lendemain de l'audience, le 28 mai, pour que les services du Vatican mettent en ligne un bref communiqué de Radio Vatican sur cette rencontre dans les pages en espagnol.
(1) On peut parler à l'indicatif
puisque ce sont les propres déclarations de Hebe de Bonafini sur ce
qu'elle a dit elle -même au pape.
(2) Elle devrait donc parler
d'adversaire politique et non d'ennemi et se présenter comme
opposante, au lieu de contester la décision du peuple souverain.
(3) François avait d'ailleurs laissé
fuiter avant-hier qu'il n'était pas dupe de la dimension politique
que Hebe de Bonafini voulait et allait donner à cet entretien mais
que ce n'était pas là son problème. Ce qui est vrai. Le Pape
reçoit qui il veut, quand il veut. C'est la seule manière pour lui
de se tenir au courant de ce qu'il se passe réellement dans le monde
et tant qu'il ne fait aucun commentaire politique, il n'y a pas
d'ingérence de sa part dans la vie interne d'un pays.
(4) Il fallait comparer la durée de
l'audience accordée à Macri avec celles, souvent beaucoup plus
longues, accordées à Cristina (ou à Dilma Roussef, à Evo Morales,
à Barack Obama ou David Cameron...). Ces comparaisons-là auraient
eu du sens. Mais pas celle en une audience officielle et une autre,
privée et pastorale, accordée à une vieille dame qui passait son
temps à l'insulter quand il vivait à Buenos Aires, quand bien même
cette même dame ne saurait pas tenir ses comptes ou aurait fermé
les yeux sur des gens jouissant de sa confiance mal placée et qui
piquaient dans la caisse remplie d'argent public. Reymondo Roberts va
même plus loin lorsqu'il rapporte, comme un trait d'esprit lourd de
rancœur, des anecdotes qu'on peut interpréter diversement et dont
il prétend déduire que la mésentente manifeste entre Macri et
François est le fait du Pape alors que ce dernier avait très bien
reçu le premier avant son élection à la magistrature suprême.
C'est donc que le problème réside chez Macri et non pas chez le
Pape. Cet éditorial, qui s'en prend aussi à l'archevêque de Buenos
Aires, dont il tente de faire le portrait d'un homme stupide et
immature, est écœurant. Qui plus est, l'anecdote vaticane dont il
est fait usage est loin d'être crédible : a) parce qu'il est
assez peu vraisemblable que la Secrétairie d'Etat ait eu besoin de
rappeler au Pape argentin l'imminence et les devoirs du 25 mai (à
d'autres, par pitié !) b) parce que la réponse attribuée au
Pape, si tant est qu'elle soit authentique, pourrait très bien être
attribué à son humour, très ignacien au demeurant, c) parce qu'il
est assez difficile de croire que François ait la légèreté de
signer un message diplomatique, qui plus est à l'intention de
l'Argentine, sans le lire auparavant et ni en peser précisément
chaque mot... Cet éditorialiste prend ses lecteurs pour des crétins.