Güemes tel qu'il existe dans l'imagerie traditionnelle ce portrait par Eduardo Sciaffino date de 1902 |
Ce serait une vraie surprise qu'une
telle loi passe surtout sous le présent mandat mais voilà que le
Sénat a déjà voté l'intégration au calendrier officiel de la
République argentine d'un nouveau jour férié, le 17 juin, en
l'honneur de Martín Miguel de Güemes (1785-1821), héros de la
guerre d'indépendance et chef par excellence de la Guerra Gaucha, la
première guérilla qui se soit levée sur le sol national, pour
lutter en ce temps-là contre le régime colonial. Martín Miguel de
Güemes est mort assassiné par traîtrise par la main d'un
absolutiste un 17 juin, dans sa province natale de Salta dont il
était chef de guerre et gouverneur fédéral, la bête noire des
unitaires qui gouvernaient alors à Buenos Aires, au début de la
guerre civile qui ne trouverait son plein apaisement qu'en juin 1880
après la séparation juridique entre la capitale Buenos Aires et la
province homonyme qui l'entoure.
Etonnante nouvelle donc puisque Güemes
est l'un des héros les plus respectés par la gauche nationaliste
qui vient d'être reléguée dans l'opposition. Il est l'un des
personnages mis en valeur par les historiens, ou plutôt les
historiographes, du courant idéologique qu'on appelle le
revisionismo, dont l'institut national a été dissous à la fin de
décembre dernier. Etonnante encore parce que ce serait instituer un
jour férié supplémentaire tout près du 20 juin, lui-même chômé
au nom de la fête du drapeau (Día de la Bandera), en hommage à
Manuel Belgrano (1770-1820). Etonnante enfin parce qu'ajouter un jour
férié national à proximité de cette date est l'assurance d'un
beau viaduc à courte échéance dans une époque de l'année où les
possibilités de pont et de long week-end ne manquent pas (1er
mai, 25 mai, 20 juin, 9 juillet, 17 août). Pas vraiment dans
l'esprit assez capitaliste et fort peu social du nouveau
Gouvernement.
Aussi l'initiative est-elle venue d'un
sénateur FpV (Frente para la Victoria, le parti de Cristina
Kichner), représentant la Province de Salta, dont était originaire
Güemes, où il était né et où il est mort, assassiné par le
parti absolutiste, où il est aujourd'hui encore vénéré comme
héros patriotique plus local toutefois que national. C'est une
revendication très ancienne de Salta que de voir son héros mis sur
le même pied d'égalité que d'autres héros nationaux, une
revendication objectivement discutable dans la mesure où précisément
Güemes, qui est une figure historique très intéressante, n'a
cependant joué aucun rôle national mais s'est contenté d'une
action locale, d'une indéniable portée mais réduite à son champ
d'action nord-occidental, comme c'est le cas de tous les fédéraux
partout en Argentine pendant la guerre civile, à deux exceptions
notables, celles de Juan Manuel de Rosas (1793-1877), qui dirigea la
représentation diplomatique de la Confédération Argentine entre
1835 et 1852, et de son successeur, Justo José de Urquiza
(1801-1870), premier Président de la Nation qui entama le processus
de fédéralisation constitutionnelle du pays.
Au Sénat, le FpV dispose d'une courte
majorité et l'opposition sénatoriale, qui est la majorité
nationale, s'est opposée à cette adoption. Federico Pinedo, qui
dirige le groupe Pro à la chambre basse, a proposé une loi
alternative (dictamen de minoría) qui ferait du 17 juin un jour où
les enfants des écoles devraient saluer la mémoire du héros en
chantant un hymne qui lui soit consacré (1). L'initiative du
sénateur FpV a tout l'appui des descendants de Güemes, comme on
peut l'imaginer.
Pour entrer en vigueur, cette
proposition de loi doit donc encore être approuvée par la Chambre
des Députés, où le FpV est minoritaire (de peu mais bel et bien
minoritaire).
Pour en savoir plus :
lire l'article de Clarín, très
sceptique
lire l'entrefilet de La Nación, plus
objectif.
(1) En Argentine, à partir des années
1890, le gouvernement a fait créer des hymnes en l'honneur de chaque
grand personnage de l'histoire (San Martín, Belgrano, Sarmiento,
etc.) pour faciliter la cohésion nationale et le sentiment
patriotique chez les enfants, dont beaucoup à cette époque-là
avaient pour parents des immigrés venus de toute l'Europe, qui
ignoraient tout de l'histoire de leur nouveau pays et qui devaient
s'y intégrer. La chanson était un bon moyen de fédérer tout ce
monde diversifié. Contrairement au répertoire patriotique dans les
différents pays d'Europe, qui est contemporain des événements dont
il témoigne, le répertoire argentin a été créé après coup,
avec une intention politique monolithique, celle de la droite
conservatrice qui était alors au pouvoir. Il existe des chansons en
mémoire de Güemes inventées localement, dans le Nord-Ouest où le
personnage est resté populaire, alors qu'il est assez méconnu ou
assez défiguré dans les autres régions du pays.