Encore une péripétie politique qui ne
surprend guère mais qui en choque plus d'un. La loi imposant un
moratoire de six mois sur les licenciements, dans le secteur privé
comme dans le secteur public, impulsée par le Frente para la
Victoria (FpV), actuelle opposition et ancienne majorité, a obtenu une
majorité hier à la Chambre des Députés après l'avoir obtenue au
Sénat, où le FpV est légèrement majoritaire. Ce vote au Sénat
avait été le premier coup d'arrêt à la politique libérale du
nouveau président. Dès que le second vote, qui valide la
proposition de loi et en fait une norme qui n'attend plus que la
publication au Journal officiel pour entrer en vigueur, le Président
Macri a fait part de son intention de s'y opposer et il a fait savoir
qu'il l'annoncerait lors de sa visite à Cresta Roja, une entreprise
qui a vu la première manifestation de salariés matée dans la
violence des forces de l'ordre, cet été, lorsqu'il venait de prêter
serment au Sénat. On peut difficilement faire mieux dans le symbole
provocateur vis-à-vis de la minorité de gauche !
Dans la chambre basse, la loi a été
votée grâce à une manœuvre politicienne du groupe PRO (parti de
Mauricio Macri) afin que le Président dispose des conditions
constitutionnelles pour opposer son veto. Ce qui n'a pas manqué :
ila aujourd'hui mis en échec le parlement, à la façon dont le
Premier ministre français (1) le fait depuis quelques temps avec le
célèbre 49.3 (article 49, alinéa 3 de la Constitution de la Vème
République). Le veto est un stratagème légal auquel Mauricio Macri
a souvent eu recours lorsqu'il se trouvait à la tête de la Ville
Autonome de Buenos Aires.
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Sergio Massa, qui a tenté de jouer au
centre, en proposant des amendements, a été méchamment blackboulé
par la majorité et ne décolère pas. Le jeune loup plein d'avenir
d'il y a trois ans paraît bel et bien menacé d'un destin à la
François Bayrou...
Les syndicats, qui étaient derrière
l'initiative du FpV, sont eux aussi d'autant plus furieux qu'une
partie d'entre eux, les trois CGT qui se mangent le nez d'ordinaire,
viennent de signer avec le Gouvernement et les représentants
patronaux un nouvel accord d'augmentation du salaire minimum (2), aux
termes duquel le SMVM (salaire minimum, indexé et révisable) se
voit relevé de 33% en trois temps (3), d'abord en juin où il sera
élevé à 6 810 $/mois (contre 6 060 aujourd'hui) puis en
septembre où il atteindra les 7 560 et enfin en janvier 2017 où
il sera porté à 8 060 $ ARG par mois. Les centrales ouvrières
ont l'impression, peut-être exacte, de s'être fait piéger, la CTA
a voté contre (le syndicat voulait une augmentation du double) et
parle de défaite comme à la guerre, et le Congrès, avance La
Nación, un quotidien qui soutient pourtant le Gouvernement, craint
(sic) que le recours au veto ne devienne la stratégie de
gouvernement la plus courante pour faire face, pendant cette première
partie du mandat (4), à la situation déséquilibrée née des
élections législatives, puisque le Congrès n'est pas acquis au
Gouvernement et qu'il lui faut négocier au coup par coup les voix
d'appoint qui lui manquent.
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Au cours de la même réunion, le
forfait d'indemnité chômage a été fortement réévalué : il
passe de 400 $ ARG par mois (montant fixé en 2006 et jamais modifié
depuis) à 3000 $ ARG, soit une augmentation de 650 %, qui est la
bienvenue eu égard à la hausse du chômage due aux vagues
successives de licenciements qui dévastent autant le secteur
publique que le secteur privé, notamment à Buenos Aires, où toutes
ces mesures ont fait baisser la consommation.
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Les syndicats non signataires, qui
appartiennent à la centrale CTA (qui est un peu à l'Argentine ce
que Sud est à la France) parlent déjà d'appeler les salariés à
de nouvelles grèves et à des manifestations monstres. D'autant que
les augmentations des factures d'énergie, pour les particuliers (5),
les professionnels, les entreprises et les services publics, mettent
toute l'économie à l'épreuve : il y a des Provinces en
Patagonie, où il est impératif de chauffer les bâtiments et en
particulier les hôpitaux et les écoles, qui sont menacées de ne
plus pouvoir fonctionner. Sans parler des entreprises dont les prix
de revient sont fortement impactés par ces hausses démentielles,
qui vont, dans certains cas, jusqu'à 700% en six mois.
Pour aller plus loin :
sur le veto présidentiel
lire l'article de Clarín
sur les augmentations du SMVM et de
l'indemnité chômage
lire l'article de La Nación, le seul
journal à lier explicitement les deux éléments
lire l'article de Clarín
lire l'article de Clarín sur les
négociations paritaires de l'enseignement supérieur, qui était
dans la rue il y a quelques jours, et qui vient d'obtenir une
revalorisation salariale.
(1) En fait, politiquement, la décision
est celle du chef de l'Etat mais c'est le premier Ministre qui en
porte la responsabilité puisque c'est lui qui doit se retirer si la
manœuvre échoue.
(2) De ce point de vue, tout est
relatif en Argentine où l'économie au noir est presque aussi
importante que l'économie déclarée. Donc le salaire minimum ne
concerne que les employeurs de (très) bonne foi et ce n'est pas
toujours la majorité d'entre eux.
(3) Ce qui marque là encore un recul
social puisque sous le gouvernement antérieur, ces augmentations
étaient étalées sur deux dates seulement, le plus souvent en mars
et en septembre ou en septembre et en janvier.
(4) Comme aux Etats-Unis, il y a en
Argentine des élections législatives de mi-mandat éxécutif. Il
est possible que Maurico Macri espère obtenir une majorité nette
lors de ces prochaines élections et avoir dès lors les coudées
plus franches.
(5) Trois millions de ménages ont
demandé à bénéficier du tarif social pour le gaz et
l'électricité, un tarif accordé à tous ceux qui touchent les
minimums sociaux jusqu'à un plafond de revenus. Trois millions de
ménages sur une population totale de 40 millions d'habitants, ça
fait une jolie proportion !